Sur Zazie dans le métro, calendrier et cours 1

Nous utilisons l’édition « folioplus classiques » de Gallimard, 2006-2009, 286 p.

Calendrier du cours

Du 10 avril au 19 juin 2010 :

  1. Le 10 avril : chapitre 1version audio
  2. Le 17 avril : chapitres 2 et 3version audio
  3. Le 24 avril : chapitres 4 et 5
  4. Le 8 mai : chapitres 6 et 7
  5. Le 15 mai : chapitres 8 et 9
  6. Le 22 mai : chapitres 10 et 11
  7. Le 29 mai : chapitres 12 et 13
  8. Le 5 juin : chapitres 14 et 15
  9. Le 12 juin : chapitres 16 et 17
  10. Le 19 juin : chapitres 18 et 19

Notes de cours

1. Le 10 avril : chapitre 1 8-O

En 1959, quand Zazie… est publié, Queneau a 56 ans. Il est un peu connu depuis 1942 (Pierrot mon ami), puis un peu plus vers 1947 (Exercices de style) ou comme auteur de la chanson Si tu t’imagines par Juliette Greco (1950). Mais le grand public ne connaît pas son passé surréaliste ni son goût pour les mathématiques. Le succès vient avec Zazie dans le métro.

Le succès de Zazie… surprend beaucoup Raymond Queneau. Le film de Louis Malle (1961) ne fera que confirmer ce succès. Il s’explique pourtant, outre l’indiscutable qualité littéraire, par l’adéquation du roman avec l’air du temps : la personnalité de Zazie, la place accordée à la ville de Paris et aux transformations de la société, la domination du langage oral (comme à la radio, au cinéma ou à la télé) et surtout la langue quotidienne (avec ses tournures, ses impropriétés et sa trivialité) en font une sorte de photographie de l’époque, que l’humour rend agréable à voir malgré l’ironie grinçante de beaucoup de passages.

« Doukipudonktan, se demanda Gabriel excédé », le premier mot (incipit) est un coup de maître !

  • du point de vue narratif et structurel :
    • entrée dans le vif du sujet (pas de commencement comme naissance, famille, etc.),
    • pensée (se demanda) et parole sans guillemets (rupture de codes typographiques et d’habitudes de lecture),
    • interjection et question rhétorique parce que Gabriel sait bien que cette odeur vient des gens qui sont autour de lui…
    • c’est également une caractérisation du personnage de Gabriel : il se montre différent des gens qui l’entourent,
  • du point de vue stylistique et linguistique :
    • création d’un mot (néologisme subjectif ressemblant à une onomatopée, un bruit) qui est un agrégat de sons formant une expression,
    • incorrection linguistique : « D’où qui pue donc tant ? » doit être compris comme : « Où et qui est-ce qui pue donc autant ? » (et « D’où vient…? » + « Qui pue donc tant ? »),
    • réalisme phonétique presque scientifique : les gens parlent comme ça, la graphie ressemble à un enregistrement du son.

Contenu narratif du chapitre 1 :

  • Gabriel attend à la gare d’Austerlitz (p. 7-9),
  • arrivée du train, de Jeanne et de Zazie (p. 9-11),
  • ils prennent le taxi plutôt que le métro, en grève, bizarre traversée de Paris (p. 11-17) — qui constitue donc la plus grande partie de ce chapitre, comme si le mouvement (du taxi) allongeait l’action, alors que les trois autres parties, statiques, sont plutôt brèves…
  • ils s’arrêtent pour prendre l’apéritif (p. 17-18).

Notes sur le chapitre 1 :

page 7

— Ce 1er paragraphe est un monologue intérieur, avec intervention de narrateur omniscient (qui lit dans l’esprit de Gabriel et nous rapporte ses pensées). Ce monologue va d’une attitude scandalisée (injuste, exagérée) à un raisonnement tout à fait logique, sociologique et statistique (« choix », « hasard », « supposer », « raison »), en passant par une phase de documentation (« Dans le journal… »).
— Le raisonnement est comme la plaidoirie d’un avocat : d’un côté, ces gens sont coupables d’avoir une mauvaise hygiène, « D’un autre côté », ceux-ci ne sont pas pire que d’autres = c’est la nature des Parisiens ou des Français = relativisation.
— Se laver « sans » salle de bains, c’est ce que Marceline proposera implicitement à Zazie en mettant dans sa chambre « une table, une cuvette, un broc » (début du ch. 3, p. 30). Mais Zazie ne vient pas d’une « cambrousse reculée », elle connaît le « bidet » et « l’art sanitaire » (même p.) — c’est donc que Marceline, parisienne (?), a une fausse image de la province (d’où vient Zazie). Finalement écœurée par « ce primitisme », Zazie manifeste en fait le même goût que son oncle pour l’hygiène ; nous verrons que Gabriel et Zazie ont de nombreux points communs
— Par ailleurs, les témoignages sont nombreux pour affirmer que la France d’après-guerre n’a pas encore le niveau d’hygiène qu’ont atteint d’autres pays européens ou d’Amérique du Nord, sans parler du Japon. On peut aussi penser que Gabriel ne vient pas souvent se mêler à la foule d’une gare. Du fait de sa position sociale ? De son statut d’artiste ?
— Cependant, cette accusation est contrebalancée peu après par la remarque d’une femme qui trouve que Gabriel sent mauvais, c’est-à-dire sent trop fort un parfum déplaisant. Le narrateur ne prend pas partie, le lecteur non plus (« elle était pas égoïste » serait presque une remarque ironique qui se retourne contre Gabriel…). Un duel verbal commence.

— note linguistique : dans le monologue (et ailleurs, ce n’est ici qu’un début), des tournures orales se trouvent écrites, rompant avec les conventions. « Ils doivent pas » pour « ils ne doivent pas », « Y a pas de raison » pour « Il n’y a pas de raison », « On peut pas supposer », etc. En revanche, « Doukipudonktan » ou « Tout de même quelle odeur » (fin du §1) ne reçoivent pas les marques de ponctuation qui montreraient l’exclamation ; c’est donc au lecteur de comprendre et de compenser
— outre le verbe « puer », considéré comme impoli, Gabriel s’exprime très correctement. Ce n’est pas le cas du narrateur. Quelle surprise pour le lecteur ! De voir celui qui est d’habitude son allié, son aide, celui qui maintient la distance avec des personnages parfois ignobles et triviaux, employer soudain un langage argotique, vulgaire ou des tournures impropres : « s’en tamponna le tarin », « ce meussieu » (p. 7), la « rombière », « un ptit type », « celui qu’avait le droit de la grimper légalement » (p. 8), etc., expressions qui ne semblent pas venir d’un discours indirect libre (DIL) de Gabriel mais bien de la bouche du narrateur. C’est pourtant une des grandes inventions de Queneau : le narrateur parle comme ces personnages, parfois d’une façon pire — et le lecteur est entraîné dans cette révolution verbale et discursive.

— avoir « de la vitesse dans la repartie », variante intensifiée de « avoir la repartie facile »
— Barbouze, de chez Fior, voir note de bas de page.

page 8

« Ça devrait pas être permis de… » expression courante d’appel à la loi et à la puissance de l’État (« sûre de son bon droit »)
« rombière », argotique et populaire, selon le TLF.
« tu te trompes, ptite mère, tu te trompes », reprise de forme et de sens de « Si tu t’imagines » et « ce que tu te goures » (texte de la chanson écrite par Queneau au début des années 1950 et chantée par Juliette Greco, voir lien ci-haut). Voir aussi « fillette, […] qu’est-ce que tu t’imagines » (p. 16). N’y a-t-il pas derrière cette chanson et ces passages une allusion au célèbre sonnet de Ronsard (dans Les Amours) , dans lequel il interpelle une « mignonne », l’invite à voir ses belles roses pour lui dire qu’elle est comme elles, éphémère, et qu’il faut profiter tout de suite de sa beauté ?…
« le droit de la grimper légalement » = périphrase métaphorique insolente pour désigner le mari
— Gabriel, « c’est un malabar », deuxième information sur le personnage (après l’hygiène), information ici anodine mais importante par la suite (on est prévenu)
— après rapide raisonnement, le « ptit type » se décide à insulter Gabriel de « gorille » (qui pue), ce qui amène le
deuxième monologue intérieur de Gabriel : sur le recours à la violence entre les hommes depuis la nuit des temps, son dégoût de cela en tant qu’homme civilisé, sa résignation, et la généralité que « c’était toujours les faibles qui emmerdaient le monde » — on va donc de l’anthropologie à la philosophie politique !
« gorille » VS « moucheron » : comiques métaphores animales qui exagèrent les proportions réelles pour que le lecteur visualise les silhouettes.
— ce qui amène la réponse de Gabriel : on voit ainsi, de façon comique et burlesque, le contraste entre longs monologues intellectuels VS paroles banales et vulgaires. En même temps, c’est une écriture qui mêle conversation et sous-conversation, à peu près comme le défend Nathalie Sarraute à la même époque — alors que Queneau n’est pas précisément considéré comme un proche du Nouveau Roman ! Par ailleurs, quand Queneau écrit, le stream of consciousness (courant de conscience, et en japonais) a déjà presque 60 ans !
— « le ptit type » VS l’armoire à glace », contraste renouvelé, on sourit encore de l’humour, mais on pourrait se lasser…
— Queneau change donc de niveau humoristique en recourant aux figures de style (les lecteurs se souviennent bien sûr de ses Exercices de style de 1947) : « pentasyllabe monophasé », puis « alexandrin » (p.10)
« Skeutadittaleur », nouvel exercice de « néo-français » : « langage parlé devenant langage écrit au moyen d’une orthographe phonétique » (Cf. ici) = « ce que tu as dit tout à l’heure »…

page 9

« bouclier verbal », belle métaphore visuelle de la position de défense, au moment où l’on s’apprête à passer de la parole au geste (« donner la beigne »)
— l’alexandrin n’en est un que parce qu’il ne comporte pas de négation, il est donc, pour les puristes, impropre… Il y est question du tutoiement, interdit par respect, alors que c’est cette personne qui tutoyait Gabriel en le traitant de gorille…
« foireux » ne veut pas dire « lamentablement inefficace » mais « qui a peur, qui fait dans son pantalon » ; en effet, l’interlocuteur se couche « parmi les jambes des gens »…
finalement, cette première péripétie entre des personnes s’achève sur la violence physique ; cela se reproduira… Mais le train qui arrive, « change le paysage » = les gens s’occupent d’autre chose, et le texte aussi.
« les femmes, c’est toujours à la traîne » : remarque sexiste ; Gabriel en fera d’autres, par exemple au sujet de Marceline (p. 23)
« mouflette », mot d’étymologie incertaine, rattaché à « moufle » ou à « camouflet », pour lequel le TLF indique : « peut se déduire du wallon moufler « enfler ses joues (Grandg.) dér. de moufle « gros visage aux traits épais [aux joues gonflées comme pour souffler] » (1536, Rouen ds Sotties, éd. E. Picot, t. 3, p. 48)
Zazie entre en scène et se présente ; le prénom est-il une invention de Queneau ? C’est possible. Il est peut-être un diminutif de Françoise, ou d’Isabelle (comme Isa). En tout cas, les informations sur les prénoms l’indiquent comme n’apparaissant dans la population qu’à partir des années 80, sous l’influence d’une chanteuse, qui a elle-même explicitement emprunté son prénom à l’héroïne de Queneau. Un site littéraire frondeur et communautaire, Zazieweb, hélas fermé depuis quelques mois, a aussi pendant une dizaine d’années eu une grande importance dans la communauté littéraire… Zazie peut aussi être rapproché de « zazou », mot né du scat de la chanson Zaz Zuh Zaz (1933) de Cab Calloway (1907-1994), nom donné à des jeunes gens bourgeois et farfelus des années 1940, habillés à l’anglaise ou à l’américaine et très amateurs de jazz américain, plutôt pro-alliés et dénoncés par les collabos (« Ces petits garçons aux pantalons trop courts de l’âge ingrat et aux belles boucles, ces petites filles aux genoux nus », in La Gerbe, 1942, journal collaborationniste pro-nazi, de juillet 1940 à août 1944) — on verra bientôt le thème de l’américanisation et Zazie aime le Coca-cola et les pantalons de jeans). On peut aussi le rapprocher du mot zizanie, d’abord une mauvaise herbe, puis une forme de discorde qui désorganise les relations entre les gens…
— « je suis ton tonton« , jeu verbal qui ridiculise le ton anobli
« la gosse se mare », la langue du narrateur s’installe dans le registre familier, direct, au niveau des personnages ; le lecteur, s’il n’y est pas déjà, doit s’y mettre ou fermer le livre…
— reprise, positive, du thème du parfum, unifie le texte avec la 1ère partie
— « le colosse », autre qualification pour Gabriel, il semble que le narr. veuille nous en proposer toute une collection
— « Tu vois l’objet », parole imagée de Jeanne Lalochère, nom à sonorité populaire et un peu ridicule, venant de lieux (Lochères, Lochère, La Lochère, etc., existant en Normandie ou en Bourgogne, par exemple) et peut-être d’un verbe « locher », être mal fixé, de travers…
« se fasse violer par toute la famille » et la suite : quelles moeurs ! Attestation des mauvais traitements d’enfants et de pédophilie très courante…

page 10

« tu étais arrivée juste au bon moment, la dernière fois », allusion mystérieuse à une possible tentative de viol de Zazie (?), en fait prolepse qui prend son sens aux pages 51-55…
« ici après-demain » à 6h60 ! terme du récit, programmation narrative, borne du roman
« le métro », première occurrence et déception
« Y a grève », fatalité à la française…

page 11

— « thomisme … kantien » VS « Charles attend« , calembour (in)volontaire…
« je nous le sommes réservé », incorrection gramm. pour « je nous l’ai réservé », « pour nous » = confusion des pronoms
« cœurs saignants » + « entrelardée » = c’est mettre les sentiments bien près de la viande !

page 12

— 45 « cerises de son printemps » = cadeau de sa jeunesse (un peu passée, tt de même)
— « la vache en puissance dans la poupée », autre parallèle ; une « vache » ou « peau de vache », femme cruelle qui fait souffrir son amant
« snob mon cul », 1ère occ. de l’expression « X, mon cul ! », qui signifie : X, je m’en fous comme de mon cul, ce qui est derrière…

page 13

« Essméfie » = elle se méfie !
— « c’est sous terre, le métro », a priori de Zazie, mais quand on dit « métro aérien », avec cet adjectif, c’est parce que le mot seul renvoie bien à une réalité souterraine…
— « Le Panthéon », tic touristique de nommer les lieux célèbres, début du tourisme parisien de masse ; mais les Parisiens connaissent-ils Paris ?
—  « tous des cons »…

page 14

— « euréquation » : Eurêka + équation : parce que « J’ai trouvé »…
— « cexé » = ce que c’est !
— « Napoléon mon cul « , enflé = prétentieux

page 15

— politique VS croûte
— bords de la Marne
— quand tu déconnes…

page 16

— la vérité = envolée lyrique de Gabriel… cache quelque chose
— prendre l’apéro
— elle t’emmerde ! si si faut le dire !

page 17

— « hun cacocalo », Zazie insiste, têtue, tête de mule… (Cf. p. 45)
— « un demi panaché » : de l’alcool à une enfant ! (Cf. p. 50)
— victoire de Zazie…

page 18

— jouer du chalumeau (comme de la flûte, rustique, tige de roseau)
— « les enfants, suffit de les comprendre » sorte de morale du chapitre..


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