Sur « Zazie dans le métro », cours 3

3. Le 24 avril : chapitres 4 et 5version audio

(On commence par des questions et quelques détails sur les chapitres précédents…)

Découpage narratif :
  • Chapitre 4 : Zazie erre et trouve une bouche de métro fermée, elle pleure (43, 44)
  • elle est abordée par un homme qui lui offre à boire et l’emmène au marché aux puces (—47)
  • dans les Puces, elle découvre et veut des jeans, négociation avec le marchand, paiement (—49)
  • ils vont au café-restaurant, Zazie mange moules et frites et, flashback, raconte le procès de sa mère (50-53)
  • Chapitre 5 : (suite) Zazie remonte le temps : tentative de viol par son père et intervention de sa mère à la hache (54-55)
  • retour à la situation actuelle de Zazie, interrogée, qui s’enfuit avec le pantalon, est rattrapée (56-57)
  • elle veut répéter la scène du satyre mais est prise dans celle de la voleuse, puis ramenée chez elle (—59)
  • retrouvailles et explications à la maison (— 61)
  • discussion entre Gabriel et le type, sans qu’on sache encore qui il est (—62)

Ces deux chapitres concernent la « fugue » matinale de Zazie, sa rencontre avec Pedro-surplus, sa découverte des Puces, leur déjeuner, jusqu’au retour chez Gabriel, où Pedro la ramène de force. Ce premier circuit dans Paris contient la narration en deux flashbacks, pendant le déjeuner, du procès de la mère de Zazie puis du crime de cette mère qui tue son mari pour empêcher le viol de sa fille. Il y a correspondance entre le contexte et le contenu dans la mesure où Pedro est potentiellement un satyre (ce qui fait écho au crime du père) et où les Puces sont aussi un lieu de recyclage de vieilles choses (à l’instar du flashback). D’un point de vue symbolique, la confession de Zazie est échangée contre les jeans achetés par Pedro aux Puces : Zazie se débarrasse de son histoire et conquiert un trophée qui a une valeur de modernité et d’indépendance (première étape vers la conclusion selon laquelle Zazie a grandi…).

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— Reprise de l’histoire de Zazie (après la fuite de Turandot), vite arrivée à la porte de la ville (donc Gabriel habite un quartier proche des portes de Paris)
— gratte-ciel : mot du langage de l’époque, mais bas (4 ou 5 étages), donc comique
— somptueuse VS pouilleux : quartier de contrastes, ironie de Queneau
— « ferronnerie baroque » de l’entrée du Métro, selon le style Art nouveau du temps de la construction (vers 1900), notamment les architectures d’Hector Guimard
— « Zazie s’approcha de la bouche [de métro], la sienne sèche d »émotion », deux sens de bouche en un seul emploi = zeugma

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— « fausset », selon TLF : Timbre vocal (d’une voix d’homme) plus aigu que le timbre normal, dû à une position particulière des cordes vocales qui vibrent seulement sur une partie de leur longueur
— d’emblée, Zazie le nomme pour elle-même « satyre » (en puissance, pourrait-on dire), ce qui vient peut-être des recommandations faites aux enfants, ou d’une volonté de Queneau de problématiser la criminalité pédophile ainsi que la fiabilité de la parole de l’enfant
— étonnement de Zazie en voyant le type : acteur, ancien temps, détails, une sorte de Charlie Chaplin. Caricature qui laisse à penser qu’il s’agit d’un déguisement, correspondant avec l’indécision sur l’identité de Pedro.

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— question sur les parents, qui battent une enfant (cliché, mais retour de la thématique des sévices contre les enfants, thème qu’on retrouve aussi dans le texte de Prévert, la Chasse à l’enfant, d’une époque où ces sévices avaient beaucoup choqué les Français)
— question déconcertante — car retournée à un adulte — de Zazie sur la confiance ! Pas abusée, elle le traite de salaud (Cf. « esméfie »).
— elle accepte le « cacocalo » mais cache sa joie, dissimulation qui l’amène à considérer la foule, introduisant la foire aux Puces

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— Zazie fait celle qui connaît. C’est sans doute les Puces de Saint-Ouen, près de la Porte de Clignancourt, donc le quartier de Gabriel est dans le 17e ou le 18e arrondissement
— « ranbrans »… Rembrandt (1606-1669), peintre de l’école hollandaise (Leyde, Pays-Bas) ; y a-t-il eu ce genre de découverte dans les faits divers des années 50 ? Bien possible. Vraisemblable, en tout cas.
— l’énumération hétéroclite mène aux surplus américains, Pedro essaie de détourner, mais Zazie y revient, c’est donc qu’elle sait ce qu’elle veut, de quelle façon elle peut le mieux profiter de son passage ici : les « bloudjinnzes » dont l’envie a dû lui venir de médias ou de vedettes (comme les gros plans qu’elle introduisait dans sa narration de la Belle au bois dormant…)
— « je vous vois venir » indique que Zazie imagine contre quoi Pedro, pédophile, pourrait lui offrir des jeans… L’expression avec pataugas / sabots indique même que ça paraît évident.

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— nouvelle énumération, cette fois pour donner une idée de la diversité des marchandises trouvées aux Puces, avec un arrière-plan social : les Arabes « proposent des montres » sans doute parce qu’ils n’ont pas d’autre travail, « les manouches » (auj. gitans ou roms) « qui proposent n’importe quoi », effet de succession descendante qui indique leur position sociale encore plus méprisée que celle des Arabes.
— « aussi subtil que Zazie », « elle se prévient » : Queneau prête à Zazie une connaissance psychologique intuitive et une capacité d’anticipation qui fait d’elle une véritable héroïne
— « achalandage », selon TLF : Rare. Ensemble des chalands, c’est-à-dire des clients, qui représentent la partie la plus importante d’un fonds de commerce. […] P. méton., rare. Ensemble des marchandises qu’un commerçant tient à la disposition des clients
— « a boujplu. A boujpludutou. » = Elle ne bouge plus, elle ne bouge plus du tout. Au jeu phonétique du français parlé, s’ajoute la volonté de Queneau d’être le plus possible dans la vitesse du présent. Comme le montage d’images au cinéma peut donner l’idée de la vitesse, le passage du passé au présent verbal focalise et accélère, et la transcription phonétique renforce ce phénomène.
— périphrase pour ne pas dire le mot de 2 syllabes que Zazie ne veut pas dire…
— jeans inusables VS taille changeante d’une enfant (contradiction)

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— Pedro sait mentir, ce qui intéresse Zazie…
— le prix ne nous est pas indiqué mais correspond à l’attente de prix aux Puces
— pas d’essayage, « elle se croit chez Fior » (comme le parfum Barbouze de Gabriel…)

page 49

— pertinente et dérangeante question au sujet de l’origine des pantalons, puisqu’il n’y a pas de petites filles dans l’armée américaine… Possibilité de tromperie sur l’origine de la marchandise et de fraude aux taxes douanières, par exemple. Pedro pourrait utiliser ce genre d’argument pour avoir un meilleur prix, ou faire partie de la police… Le lecteur ne peut pas le savoir, il s’en méfie, tout comme Zazie.
— Elle fait donc des hypothèses : « C’est sûrement un sale type, pas un dégoûtant sans défense, mais un vrai sale type. Faut sméfier × 3 » et entretient le suspense.

page 50

— casser la graine, une graine, une petite graine, etc = manger
— Zazie suit maintenant « le paquet » plutôt que le « type ». Le « paquet » devient sujet verbal : « Le paquet se place sur une chaise »… Elle se demande comment l’obtenir et on peut penser que le fait de raconter son histoire sert autant à faire diversion pour s’enfuir avec le paquet qu’à l’acheter, dans un certain sens : une histoire bien sordide contre une paire de jeans, le passé contre l’avenir…
— Zazie, qui n’a pas eu de petit déjeuner, doit avoir faim… elle mange même les moules fermées, ce qui n’est pas prudent. Il y a un aspect rabelaisien dans cette exagération : à l’instar de Pantagruel, elle mange et boit beaucoup et vite, avec « trois petits rots » et des « ombres quasiment anthropophagiques » sur le visage.
— Voulant dire quelque chose d’aimable, elle aborde le sujet de la boisson, actuel point commun entre deux hommes potentiellement vicieux, son père (on ne le sait pas encore) et l’inconnu (dont le lecteur ne connaît ni l’identité ni les intentions).

page 51

— « écluser votre godet » : expression argotique pour « vider votre verre »
— ce thème de la boisson, qui serait d’ailleurs à étudier dans l’ensemble du livre (Gabriel qui ne boit que de la grenadine, etc.), permet ici d’aborder l’élément central de ces deux chapitres : la narration par Zazie de son histoire familiale. L’alcoolisme imputé au père est d’ailleurs en relation directe avec la tentative d’abus sexuel d’enfant ; Queneau, quoique sur un mode comique, traite donc centralement de ces deux fléaux de la société de son temps.
— « la couturière de Saint-Montron… », sur le modèle de nombreux faits divers tels que les journaux les rapportent en leur donnant un titre associant souvent un métier et un lieu, signifiant ainsi que des activités des plus banales n’excluent pas le crime, qui concerne donc tout le monde (et non une catégorie sociale prédéfinie qui serait celle des criminels) et fait vendre la presse. La ville de Saint-Montron n’existe apparemment pas mais son nom est proche de celui de Saint-Amand-Montrond, dans le Cher, à 290 km de Paris, très près du centre géographique de la France…
— « Merde, pourtant, ça a fait assez de foin », du « foin » = du bruit ; Zazie est déçue et presque vexée qu’une telle histoire ait déjà été oubliée ou qu’elle n’ait pas été connue… C’est aussi ce qui la motive à tout raconter (si le type se souvenait de cette histoire, elle n’aurait pas besoin de la lui répéter).
— procédant à rebours, Zazie raconte d’abord le procès, qui s’achève dans le « triomphe » de l’acquittement.

page 52

— « lampée de bière… l’auriculaire » : Zazie, une enfant, boit de l’alcool… Une banalité de l’époque (les enfants qui travaillaient très tôt buvaient aussi du vin, par imitation, pour se donner l’air adulte mais aussi pour supporter la dureté des conditions et des horaires. Ici, contradiction du fait de cette sorte d’élégance naturelle. La « lampée de bière » est répétée, rythmant la narration.
— « l’Argus de la Presse », nom réel d’une société de presse fondée dans les années 1880. Du nom « argus », TLF : 1584 « surveillant, espion » (Benedicti, Somme des peschez, I, 9 ds Fr. mod., t. 5, p. 70 : Cent yeux d’un argus); d’où fig. 1936 « publication qui fournit des renseignements spécialisés », Par antonomase, du nom propre Argus, personnage mythologique qui avait cent yeux et que Junon avait chargé de surveiller la nymphe Io…
— procès à huis clos = avec les portes fermées = sans autoriser le public à y entrer ; certaines affaires de mœurs suscitent des attroupements et des chahuts dans les palais de justice, au point que l’on prononce parfois le huis clos pour respecter la tranquillité et l’impartialité du procès. « En matière criminelle, la règle générale est l’audience publique. Toutefois, le juge peut ordonner le huis clos dans une affaire d’abus sexuel sur un enfant de moins de 14 ans. » (mais ces dispositions d’aujourd’hui étaient-elles déjà en vigueur dans les années 1950 ? Je l’ignore).
— Jusqu’au bas de cette page, Zazie essaie de faire en sorte que l’autre lui demande de raconter, d’être sollicitée. Elle discourt comme une réclame qui veut vendre un produit… jusqu’à ce que le client cède. Elle peut donc enfin commencer…

page 53

— … et remonte à sa situation le jour du drame
— … et même avant : la raison de l’alcoolisme du père est la tristesse de ne plus être aimé de sa femme et de ne plus avoir de relations intimes avec elle ; d’où notamment l’expression d’un besoin sexuel exprimé de façon exagéré par le recours à la chanson obscène, connue de tous et même de l’enfant Zazie (qui n’est parfois pas tout à fait une enfant).
— le catch / « dans la catégorie spectateur » : excellente repartie de Zazie ! / dévalorisée par « le type »
— du coup, Zazie se tait : sorte de combat entre elle et lui pour déterminer si elle racontera ou pas son histoire, incertitude qui est destinée à déranger le lecteur
— Finalement, le type est intéressé, l’accord est acquis et le chapitre se termine, comme s’il s’agissait en fait d’un match dont l’issue serait le fait de raconter ou pas son histoire (situation courante dans des groupes de personnes qui se disputent la parole, chacun mettant en doute l’histoire de l’autre avant de l’avoir écoutée…)

page 54, chap. 5

— « Ltipstu » = le type se tut, ce qui était l’enjeu du chapitre précédent.
— Discours plein de répétitions pour impressionner ou émouvoir, d’emphases puis de corrections, de progression par parataxes jusqu’à « mais » + « papouilles zozées » = marquant la frontière entre tendresse paternelle et attouchements.
— « je comprenais », s’écartant de la situation réelle des enfants, Queneau donne à Zazie une connaissance de la pédophilie qui lui permet de l’éviter, montrant que c’est bien l’ignorance qui crée les conditions de l’agression sexuelle et qu’il conviendrait plutôt d’avertir les enfants (ce qui est plus ou moins le cas aujourd’hui).
— « il bavait », puis « j’ai pas de mal » = nouveau cas de focalisation par changement du passé au présent.
— le « huis clos » père-fille ressemble au loup attrapant le petit Chaperon rouge… Mais la porte s’ouvre…

page 55

— nouvelle remontée en arrière qui dévoile à la fois le plan de la mère souhaitant prendre son mari en flagrant délit et la préméditation du meurtre, déguisé en défense de l’enfant agressée : la hache était déjà préparée.
— le classique « pas folle, la guêpe » est revu en « pas bête la guêpe », mieux rythmé par l’assonance.
— pas beau à voir : pas de détails permet de décrire la situation = forme d’antiphrase.
— « j’ai eu beau dire » : comme si Zazie, en témoignant, avait voulu prendre la défense de son père, ou au moins faire apparaître la préméditation de sa mère.
— ce que sa mère lui reproche ensuite… L’ensemble éclaire l’allusion au passé qui était à la page 10.
— Ensuite Georges s’intéresse à Zazie, ce qui montre bien que le problème est sans fin : les enfants font l’objet de multiples convoitises sexuelles, la situation est ainsi décrite comme commune, banale, ce qui, à nos yeux d’aujourd’hui, la condamne.

page 56

— « seule en proie à tous les satyres » = généralisation exagérée qui clot l’histoire, et chute que Zazie ne peut pas comprendre : n’avoir rien à craindre de son tonton… Aveu d’ignorance (retour à la place de l’enfant)
— suite de questions = interrogatoire, dialogue serré
— VS « Zazie se tient des grands discours » = sous-conversation (« petite voix intérieure »)
— changement de rythme et de situation : Zazie essaie de fuir avec le paquet… en vain.

page 57

— Sortie du restaurant, du marché aux puces, du quartier, de la cohue…
— « un public en or » pour crier au satyre ! Zazie anticipe de refaire ce qu’elle a fait plus tôt avec Turandot. Elle s’en réjouit trop tôt, est trop sûre d’elle (« du tout cuit »).
— « pas tombé de la dernière pluie », expression courante pour une personne avertie, qui a déjà vécu certaines expériences et qui ne va pas se laisser prendre ou berner.
— son scénario est pris de vitesse par celui du « type » qui l’accuse d’être une petite voleuse ; la foule prend partie pour le marchand volé…
— « la propriété, c’était sacré » = cliché sur la propriété comme rempart de la civilisation
— menace d’aller au commissariat = première mention de la police

page58

— le « type » menace aussi, cruel, du tribunal pour mineurs (sans doute inspiré par Zazie elle-même)
— dame de la haute société et langue imitée (DIL) : « daigna », « s’enquit », « populace », « algarade »…
— comme elle tient tête au type, elle nous montre la tête qu’il a et son apparence de déguisement : chapeau melon, moustache (postiches ?) et lunettes noires
— DD : appel à la pitié, à l’excuse, question oratoire
— réponse du type suscitant pitié pour lui : « enfant de l’Assistance » publique = orphelin, sans doute de père et mère morts à la guerre… ce qui provoque un « murmure de compassion » = le public est de son côté
— puis il part en emmenant Zazie qui s’interroge sur l’identité du type (qui en changera plusieurs fois dans le livre…)

page 59

— Zazie donne son adresse, est ramenée (donc, le type n’est pas un satyre… Queneau déjoue l’attente du lecteur, le balade…)
— à la mention de « flic », Gabriel « verdit » : aurait-il quelque chose à craindre de la police ? Sa voix est « déséquilibrée », annonce son évanouissement, « verdâtre », p. 70. Remarquons que le vert est la couleur détestée des comédiens, elle leur porterait malheur sus scène.
— exagération pour soulager Gabriel : « le litre de grenadine », « une bonne dose de sirop », expressions habituellement réservées à une boissons alcoolisée, considérée comme « remontant » plutôt par les hommes que par les femmes, ici : « réconfortant » (qu’il « s’envoya » = but rapidement).
— le type dénie être flic, se prétend « marchand forain », ce qui est contraire à notre expérience de lecteur ; nous savons ce que Gabriel ne sait pas, que nous pourrions mieux expliquer que Zazie, donc le lecteur, en quelque sorte sur-informé, est frustré de ne pas pouvoir aider Gabriel et Zazie = technique classique du théâtre de boulevard…

page 60

— l’inconnu se nomme lui-même Pedro-surplus, vendeur aux Puces, ce que le lecteur sait faux
— Zazie le dénonce comme flic, Gabriel ne sait qui croire…
— elle constate que Gabriel raisonne mais se laisse faire, n’est pas assez ferme chez lui

page 61

— en l’absence de Zazie (sortie avec son pantalon et Marceline), les accusations se précisent, Gabriel ne sait d’abord pas comment s’en défendre
— faire « le tapin » : prostituée qui racole les clients
— la vendre « aux Arabes » ; nouvelle marque de racisme, Queneau ne fait que reprendre (dénoncer) ce qui était très courant à l’époque, dans le contexte de l’immigration (+ Polonais) et de la Guerre d’Algérie

page 62

— « diaboliquement, comme au cinéma », cliché de l’interrogatoire
— après le suspense, Gabriel avoue quel est son métier (chute qui complète la fin du chapitre 3, on a peu avancé…)

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