Sur « Zazie dans le métro », cours 5

5. Le 15 mai : chapitres 8 et 9 version audio

(On commence par des questions et quelques détails sur les chapitres précédents…)

Découpage narratif :
  • Chapitre 8 : Gabriel, Zazie et Charles admirent Paris… du haut de la tour Eiffel (85-86)
  • Gabriel parti, à cause du vertige, Zazie interroge Charles sur l’âge, sur l’homosexualité, sur la liberté d’expression, ce qui fatigue Charles(86-89)
  • puis elle revient sur la sexualité, donne le vertige existentiel à Charles, qui redescend à son tour (89-90)
  • Charles retrouve Gabriel, à qui il dit ce qu’il pense de Zazie, puis il repart dans son taxi (90-91)
  • monologue existentiel, ontologique et parodique de Gabriel, qui attire les touristes (91-93)
  • Zazie le retrouve et l’interroge sur les raisons du départ de Charles (93-94)
  • le guide et conducteur Fédor, qui veut emmener ses touristes à la Saint-Chapelle, reconnaît Gabriel (94-95)
  • tout le monde monte dans le bus, même Zazie qui ne veut pas (96-97)
  • Chapitre 9 : Les touristes sollicitent Gabriel de continuer son spectacle mais Zazie le pince pour qu’ils descendent (98-101)
  • ils faussent compagnie aux touristes mais Zazie continue à pincer Gabriel pour qu’il réponde aux questions sur l’homosexualité (101-102)
  • une bourgeoise s’invite dans la conversation (102-106)
  • quelques touristes les retrouvent et font monter Gabriel dans leur taxi (106)
  • Zazie reste avec la bourgeoise qui crie pour qu’il flic vienne, ce qui ne manque pas d’arriver (106-108)
  • Elle a l’impression de reconnaître le flic, qui dit s’appeler Trouscaillon (109)

Ces chapitres de visite de Paris voient Zazie poursuivre ses questions existentielles et sexuelles. Depuis le haut de la tour Eiffel jusqu’au milieu des embouteillages, elle harcèle sans relâche malgré les aléas (quittée par Charles, montée de force dans le bus, laissée avec la bourgeoise). Gabriel manquant à son rôle de tuteur, d’autres sont, en quelque sorte, essayés par le texte : Charles, qui n’a pas le niveau, la bourgeoise, Trouscaillon…

page 85

— Exclamation sur Paris, sans que l’on sache qu’ils sont en haut de la tour Eiffel (ellipse, effet de surprise)
— on voit le « métro » mais ce ne sont que les voies du métro aérien
— repérage aléatoire de monuments, noms puisés dans un réservoir (Parisiens qui ne connaissent pas Paris)
— début de dispute : « le regarda dans la cornée des œils », incorrection pour jouer sur l’expression « dans les yeux »; la cornée est la partie blanche et brillante de l’œil ; signifie que Gabriel s’approche très près de Charles
— « truc-là » : mot pour remplacer celui qui manque ; étymologie complexe de « truc »
— confondre Invalides et Sacré-Cœur est très difficile, tant les deux monuments, leur environnement et leur distance de la tour Eiffel diffèrent
— Invalides : 1670, hôtel / hôpital voulu par Louis XIV pour les soldats invalides de ses armées ; Napoléon en fera en 1804 le premier lieu de remise de la Légion d’honneur qu’il vient de fonder ; devient le lieu des bonapartistes puis des cendres de Napoléon dont le retour, le 15/12/1840 est une aventure nationale…
— Sacré-Cœur : Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, dite du Vœu national, dont la construction fut votée en 1873, second monument le plus visité de Paris après Notre-Dame

page 86

— paronomase « Sacré cœur, sacré con », qui contredit et dévalorise l’autre ; Zazie voit bien qu’ils ne connaissent pas Paris
— « orama », comme s’il n’était pas « pan-« 
— vision verticale… qui donne le vertige à Gabriel, qui part
— « J’en y ai pourtant conduit des gens », emploi conjoint impropre des pronoms désignant le lieu où l’on va (y) et celui d’où l’on vient (en) ; ici l’un des deux réfère au temps, « en », par le passé, et l’autre au lieu, « y », où l’on se trouve maintenant.

page 87

— où l’on apprend l’âge des personnages : Charles, 45, on le savait déjà, Gabriel, 32, qui « paraît plus », selon Zazie.
— Zazie revient sur « hormosessualité », elle cherche le sens du mot par induction à partir des différences constatées par rapport à ce qu’elle pense qu’est un homme « normal », ici le fait de pleurer, plus bas, le fait de se parfumer, etc. Petit à petit et sans le savoir, elle trace un portrait en creux de la doxa homophobe… ce qui est sans doute le but de Queneau. À la p. 65, c’était d’abord un « homme qui et des bloudjinnzes », juste après que l’on avait appris le rapport entre jeans et érotisme dans les années 50 et 60, débuts du rock’n roll, Elvis Presley, etc.
— tant qu’il est question de Gabriel, les réponses sont prudentes, soucieuses de préserver l’enfant, mais quand la question s’adresse directement à Charles, l’homophobie, ou la peur de l’homosexualité refoulée reprennent le dessus : homosexuel devient « pédale » — où sont confondues couramment les racines étymologiques du pied (pédicure, pédale, etc.) et du pédagogue (TLF :
Empr. au lat. paedagogus «esclave qui accompagne les enfants, précepteur», gr. παιδαγωγός «esclave chargé de conduire les enfants à l’école», «précepteur d’un enfant» proprement «qui conduit des enfants», comp.de παι̃ς, παιδός «enfant» et αγω «conduire»)
— ce que Zazie ne comprend pas, et rapproche du métier de taxi, qui n’est pas à vélo…

page 88

— ici aussi, il est question de « faire un dessin » (déjà vu quand Zazie fait arrêter Turandot par les passants)
— « contemplation de Sainte-Clotilde », sans doute ignorée par Charles, donc commentaire du narrateur. En fait basilique (grande église
qui abrite le corps d’un saint ou une relique insigne) Sainte-Clotilde-et-Sainte-Valère, dans le 7e (1846-57), néogothique à deux flèches de 69 mètres, célèbre aussi par ses orgues, dont César Franck a été le titulaire de nombreuses années
— conversation sur le mariage, poins de vue différents, Zazie pointe l’incertitude de Charles (inversion des positions enfant / adulte quand au jugement)

page 89

— « vérité première » et vexante…
— « pour ton âge », confirme la page précédente
— où va-t-on chercher les idées ? questionnement sur langage et existence, puis sur le libre choix de ses propos, de leur origine en nous (existentialisme)
— ce qui « fatigue les méninges » de Charles, pas éduqué au questionnement ontologique [
Partie de la philosophie qui a pour objet l’étude des propriétés les plus générales de l’être, telles que l’existence, la possibilité, la durée, le devenir ; « onto », du gr. « je suis »] ; trois membranes qui enveloppent le cerveau, familièrement, l’intelligence, le cerveau.
— mouflette VS « formée », ayant commencé à avoir ses règles, à être réglée, c’est-à-dire femme en situation de procréer, donc déjà susceptible d’être mariée dans certaines civilisations.
— mais ce sujet est souvent considéré par les hommes comme indécent ou sale, il renvoie au sang menstruel qui est souvent pour eux un sujet d’effroi au au moins de mystère, sans parler des aspects pratiques, du fait qu’ils doivent s’informer auprès de leur partenaire avant d’avoir des relations ou qu’ils ne souhaitent pas avoir des rapports en période de fécondation, pour éviter d’être responsable d’un nouveau-né, etc.
— « la vie », les choses naturelles de la vie, vécues par un homme ou par une femme ne semblent pas être les mêmes (Cf. p. 88, milieu)

page 90

— Charles refusant de répondre au sujet des paiements en nature est nommé « refoulé »
— Zazie en rajoute : complexes, femmes qui font peur
— vertige existentiel de Charles (exprimé dans le film par la descente des escaliers de la tour…)
— burlesque ellipse qui le ramène en bas aussi vite que Gabriel…
— « Paris comme une femme », et la tour comme un pénis en érection… vision transsexuelle de Gabriel

page 91

— actualité des femmes transformées en hommes dans un but sportif, par dopage et opération chirurgicale
— Charles est dégoûté…
— « ta putain de nièce », l’expression est mal venue
— son « bahut », son taxi
— « s’éloignait », défocalisation par reprise de l’imparfait
— début du monologue de Gabriel : « l’être ou le néant », titre revu de Sartre, L’Être et le Néant (1943, morale humaniste, libre choix, athéisme, etc), le « ou » croisant avec le « or » Shakespearien de « to be or not to be »…

page 92

— « tant va la cruche à l’eau… », sur la répétition qui use
— « la tour prend garde », chanson pour les enfants où il est question d’abattre la tour… Eiffel ?
— « songe d’un songe », après l’allusion à la pièce de Calderon, inclusion ou imbrication de rêves, déstabilisation du réel, remise en cause du monde tel que nous y croyons, propos métaphysique ou taoïste

— « délire tapé à la machine par un romancier idiot », mise en abyme dévalorisante de l’auteur ; Queneau a toujours refusé de se prendre au sérieux (au sens de prétentieux) tout en sachant qu’il écrivait des livres sérieux (avec beaucoup de profondeur derrière l’apparence comique…).
— « les tombes s’entassent », évocation des Catacombes de Paris ? (à visiter) et de Dante (voir note dans l’édition)
— la même structure syntaxico-discursive est reprise deux fois : « tant fait l’homme qu’à la fin… » devient « tant firent qu’à la fin… », « Un taxi l’emmène… » devient « Un forceps les amena… », « la tour n’y prend garde… » = but comique du fait des propos eux-mêmes mais aussi forme baroque qui correspond à la verticalité du vertige, attraction vers la mort…
— « Mais moi je suis vivant » montre la rupture, la volonté contraire de vivre
— guide puis archiguide Gabriel, messager et main droite de Dieu…


page 93

— « Kouavouar ? » répété, devient en effet une question existentielle pour les touristes. Outre les monuments, qui sont prévus dans les « tours », les touristes sont très heureux de trouver quelque chose d’extraordinaire ; on comprend ainsi pourquoi certains d’entre eux n’auront de cesse de poursuivre Gabriel…
— « on fait recette ? »: Zazie est consciente du fait que Gabriel se donne en spectacle; Cf. p. 120 : « tu fais de plus en plus recette »
— phrase d’un touriste en latin + anglais, les deux langues dominantes en deux époques distinctes.

page 94

— Zazie s’étonne que Gabriel parle l’anglais, ou plutôt, puisqu’elle ne sait pas que c’est de l’anglais, des langues étrangères (qu’elle appelle « forestières »)
— Elle sait que Charles est parti à cause de ses questions dérangeantes, elle demande à Gabriel ce qu’il ferait en pareille occasion ; il veut essayer et comprend le problème qu’a eu Charles = Zazie joue un rôle de révélateur, d’accouchement de questions existentielles ou dérangeantes

page 95

— la Sainte-Chapelle demandée par Saint-Louis pour reliques (1242-1248), un des plus anciens monuments de Paris, apogée de l’art gothique, évolution du romain avant la Renaissance
— les touristes, entre Fédor et Gabriel, hésitent… Fédor reconnaît Gabriella et confirme son talent.
— « insubordination » : le fait qu’un subordonné désobéisse, mot plutôt employé dans l’armée ou dans une administration fortement hiérarchisée. Le terme est donc exagéré de la part d’un guide à l’encontre des touristes qu’il guide ; mais il marque le début de l’influence de Gabriel sur ce groupe, qui est en même temps le point de départ de la seconde moitié du livre, celle où Gabriel révèle progressivement ses talents (alors que dans la première, il a plutôt montré des défauts ou des manques…).

page 96

— « bâille-naïte » = by night, of course. Faire le guide de jour semble être une forme de promotion mais l’attitude de mépris systématique de Fédor vis-à-vis des touristes laisse à penser qu’il ne la méritait peut-être pas…
« il leur a tapé dans l’œil » : les touristes sont sensibles à ce mépris, même s’il ne comprennent pas le français, puisqu’ils se tournent naturellement, tropiquement, vers celui qui a plus de considération et de respect pour eux : Gabriel.
« ces veaux », dit Zazie (à suivre dans l’expression « vos oies et vos veaux »…)

page 97

— « cercle enchanté des xénophones », le mot forgé par Queneau permettra bientôt la création de son contraire, « francophone » et « francophonie » (p.119) ; le « cercle enchanté » marque (avec l’enthousiasme de Gabriel) la magie qui se produit entre l’artiste et son public…
— « le véhicule aux lourds pneumatiques » : autre expression de type homérique

page 98, chap. 9

— « caves », « pend au nez », « grève de mes deux » : le mépris de Fédor s’exprime malgré lui, dans une sorte de bonne humeur qui doit en amuser certains…
— ‘incompréhension unanime » VS « contemplaient l’archiguide Gabriel » : développement de l’opposition de rôles entre Fédor et Gabriel
— dimension christique ou angélique de Gabriel (qui porte un nom d’ange) : « ils espérèrent », emploi absolu, au sens de la foi, sans avoir besoin d’un objet particulier ou d’un but

page 99

— « ouïr », verbe inusité par les Français (qui lui préfèrent écouter ou entendre, selon le contexte), d’ailleurs toujours dangereux pour des étrangers car proche de jouir. Atteste de la valeur toute relative des cours de l’école Berlitz…
— Zazie pince Gabriel ; elle le refera plusieurs fois, comme pour le réveiller, le tirer de son rêve ; mais en fait, c’est tout de même lui qui parviendra à l’attirer dans son rêve à lui… Gabriel souffre mais triomphe.
— « pourliche » : pourboire, collecté et donné comme une offrande à la divinité dont on ne comprend pas le comportement (plutôt qu’à un guide qui aurait demandé quelque chose…)

page 100

— Zazie programme de sortir de l’autocar et menace Gabriel de l’accuser d’homosexualité (elle sent que ça ne serait pas bien accepté) ; Queneau ne motive pas la détestation ou la répugnance de Zazie (être avec les touristes ? en autocar ? jalouse ?, etc.) mais il la rend involontairement active, le hasard de sa descente permettant les rencontres qui vont arriver
— « mystère de cette conversation », dimension biblique à nouveau : les touristes sont sensibles à la geste, à une sorte de message parabolique plutôt qu’au détail verbal de l’échange entre Gabriel et Zazie (vocabulaire difficile, « idées exotiques »)
— « langueur » : expression de l’attirance physique d’une femme sous le charme de Gabriel ; il en est gêné, rougit et vérifie s’il n’a pas involontairement donné prétexte à cette expression de sentiments (« braguette » et « nœud » ayant rapport direct au sexuel)

page 101

— « un vrai tonton des familles », expression familière
— Zazie ayant à nouveau pincé Gabriel, le narrateur exprime sans doute le DIL de Gabriel : « lui foutre une tarte », « fait sauter deux ou trois dents », violence de la colère provoquée par la douleur
— Gabriel et Zazie descendent du car sans explication à l’intention des touristes ni de Fédor…
— « l’heure où les gardiens de musée vont boire » = le soir, après le travail, allusion comique à Hugo, Booz endormi, Légende des siècles, I, 6 ; dans Les Fleurs bleues (1965), on trouvera : « c’était l’heure où les ouatures vont boire » ; ici le sens est celui du soir, après le travail, même sorte de périphrase que celle d’Hugo, exprimant le calme après les activités de la journée
— « Gibraltar aux anciens parapets », allusion à Arthur Rimbaud, Le Bateau ivre… ici pour indiquer la limite de l’Europe, la distance
— reprenant ses questions, Zazie associe explicitement l’homosexualité et les langues étrangères ; les deux ont rapport à la vie des adultes (nouveauté, pour Zazie) et à des pratiques inconnues d’elle, des zones d’avenir que Zazie aimerait déjà connaître.

page 102

— nouvelles violences de Zazie sur Gabriel, arrivée de la (future) veuve Mouaque, qui veut défendre Gabriel et se fait insulter (de trois « mon cul ») par Zazie…
— Gabriel renchérit avec « occupez-vous de vos fesses », sur lesquelles Mouaque s’assied.

— la suite développe cette conversation à trois, tantôt conv. de sourds, tantôt banale, jusqu’à l’arrivée des touristes évadés du car.

page 106

— « pot d’enfer » : la grande chance qu’on eu les touristes de retrouver Gabriel et Zazie
— Montjoie Sainte-Chapelle ! cri de guerre et de victoire imité : des touristes ont désobéi, quitté Fédor pour retrouver Gabriel (quête)
— guidenappeurs = kidnappeurs de guide…

page 107

— « c’est lui qu’est ma tante », petit à petit, Zazie varie et élargit son vocabulaire, sans doute en même temps qu’elle conçoit vaguement ce que l’emploi des mots sous-entend comme sens ; ce doit être un processus assez proche de celui de la réalité de l’apprentissage et de l’expérimentation des mots par les enfants, en général. Ici, elle essaie un mot pour voir la réaction de l’autre, sans être sûre de dire la vérité…

page 108

— « les mots n’ont plus le même sens qu’autrefois », résultat des expérimentations des jeunes gens ? La langue évolue…
— Zazie encore une fois abandonnée par Gabriel, doit suivre quelqu’un d’autre… et raconter de nouveau son histoire familiale (le crime, les flics, les juges)

page 109

— « C’est tout ce que vous savez faire ? », en écho à Laverdure…
— aphrodisiaque et vulcanisante : signifie déjà séparément (substance qui aide ou augmente le plaisir ; échauffement jusqu’à la fonte) mais aussi ensemble, mythologiquement, Aphrodite et Vulcain
— être « compréhensive », autre leitmotiv
— Trouscaillon et Mouaque se nomment, en guise de chute du chapitre, sans doute parce que leurs deux noms sont quelque peu ridicules

Laisser un commentaire