Automne 2014 / Cours sur « Vingt ans après »

Du 10 octobre au 12 décembre 2014, 
à l’Institut français du Japon – Tokyo,
le vendredi de 13:30 à 15:30.

Calendrier du cours

  1. Le 10 octobre : début & reprise à l’époque de la Fronde (1648)
  2. Le 17 octobre : recrutements
  3. Le 24 octobre : l’évasion du duc de Beaufort
  4. Le 31 octobre : un duo pour Cromwell, un duo pour Charles Ier
  5. Le 7 novembre : tous contre le fils de Milady (& un crime en mer)
  6. Le 14 novembre : Sur l’Histoire dans le roman (choix littéraires et discursifs)
  7. Le 21 novembre : Suite sur l’Histoire  (Te Deum & Journée des barricades)
  8. Le 28 novembre : le passage en Angleterre
  9. Le 5 décembre : retour et punition
  10. Le 12 décembre : l’enlèvement du cardinal et comment cela finit pour chacun

Ressources en ligne :

Le 10 octobre : début & reprise à l’époque de la Fronde (1648)

(Étude de quelques passages des deux premiers chapitres, après cette introduction en forme de réflexion d’histoire et de philosophie littéraires…)

« Dans une chambre du palais Cardinal que nous connaissons déjà… » (p. 19)
Ces mots débutent le livre et font directement référence à un passage important des Trois mousquetaires (ici) : en 1625, d’Artagnan, craignant d’être arrêté, était convoqué par Richelieu qui avait « un plan »* pour lui, et il refusait d’entrer au service de Richelieu – alors qu’il va accepter d’entrer au service de Mazarin. Mais que se passe-t-il dans cette référence, d’ailleurs nommée « fantôme » dans le titre du chapitre ? Soit le lecteur a une bonne mémoire et se souvient, soit il retourne au premier volume, soit il fait confiance à l’auteur pour lui rappeler ce dont il aura besoin (car le fantôme n’est pas la personne-même).
En tout cas, l’intertexte, le lien intertextuel est inscrit dès l’ouverture, comme il était déjà inscrit dans le titre, au cas où on n’y aurait pas fait attention : Vingt ans après ? Après quoi ? À peine entré dans le livre, on peut déjà en sortir et y revenir, circuler – c’est un vaste espace virtuel offert à l’imagination du lecteur, et d’abord aux nombreux lecteurs de 1845, époque du feuilleton, qui demandaient une suite… que Dumas ne leur a pas donnée !
Vingt ans, le temps d’une génération, pour les êtres humains : ce n’est pas une « suite », qui devrait débuter où finit le volume précédent, mais une reprise. Et ce temps énorme nous questionnera toujours :que s’est-il passé pendant ces vingt ans ? Le suspense est donc double, dirigé à la fois vers le passé et vers l’avenir. De plus – redoublement, dédoublement, effet de miroir, tension bilatérale -, se re-produit pour chaque personnage, qui est souvent un couple de personnages : chaque (ancien) mousquetaire et son valet, Milady-Mordaunt, Richelieu-Mazarin, Buckingham-de Winter, tandis que les personnages uniques se dédoublent, comme Rochefort-ennemi & Rochefort-ami, Charles Ier en début et en fin de règne, la reine de France qui était épouse et maintenant régente, etc.

Le 17 octobre : recrutements

  • Recrutement du lecteur…par rappels et promesses de découvertes : 19 25 94
  • Le principe du recrutement comme forme de suspense (on ne sait pas pourquoi Mazarin a besoin d’une équipe comme celle-ci et les lecteurs de 1845 ne connaissent pas spécialement bien la Fronde… pire pour ceux de 2014) : 52 (« de tous ! »)
  • De d’Artagnan : 25 26 27, 34 35-37, 49-52, 62-64 67-68 70 173-174.
  • De Rochefort (recrutement raté, inversion des rôles…) : 42-43 46-47 52-54. Évadé : 84-85, 92
  • Arrivée impromptue de Planchet : 84, recruté aussi : 87
  • D’Aramis : 82-83, par Bazin : 86-87 90 (vade retro Satanas…) 91, 96 via Friquet, ch. IX 104-105, ch. X-XI 109 116-120 125 (frondeur et amant de Mme de Longueville)
  • De Porthos : 81-82 121 127, 130 Mousqueton, 132 135 137 -138
  • D’Athos : 81 139 150 154-155, 167 absence de Grimaud…, 172 174.
  • Ce qu’il faut savoir de la Fronde pour la suite… 21 22 30 31 33 98 117-119

Vocabulaire :

  • hypocras (94) : boisson à base de vin, de miel et d’aromates divers.

Le 24 octobre : l’évasion du duc de Beaufort

D’abord, qui est ce « duc de Beaufort », le vrai ?
Il se nomme François de Bourbon-Vendôme et fait donc partie de la famille des Bourbons, branche des Capétiens et régnante de Henri IV à Louis XVIII. Il est un petit-fils du roi Henri IV (ou Henri de Bourbon, protestant converti au catholicisme, signataire de l’Édit de Nantes et assassiné en 1610 par François Ravaillac, un fanatique catholique, dit-on) et a donc droit au titre de « prince ». Son père, César de Bourbon-Vendôme, était l’enfant naturel (illégitime, bâtard) de Gabrielle d’Estrée et Henri IV. Le duc de Beaufort est donc le cousin germain du roi Louis XIV. François commence très jeune une carrière militaire, il conspire contre le cardinal Richelieu, doit s’exiler en Angleterre puis revient et participe fin août 1643 à la cabale des Importants, complot contre le cardinal Mazarin ayant pour but de reprendre une partie du pouvoir déjà centralisé par Richelieu et dans lequel est aussi impliquée la duchesse de Chevreuse. Sur ordre d’Anne d’Autriche, reine régente et mère de Louis XIV, Mazarin fait emprisonner Beaufort au château de Vincennes le 2 septembre 1643, d’où il s’évade le 2 septembre 1648. Très populaire à Paris, il est surnommé le « Roi des Halles » et participe activement à diverses entreprises durant la Fronde. Réconcilié avec le roi en 1653, il participe et commande des armées dans différentes campagnes. Il est tué lors d’un assaut contre les Turcs en 1669 mais son corps n’a pas été retrouvé, ce qui alimente diverses légendes comme celle du « masque de fer »…
Cette vie d’action, de partis pris et de légendes, associé à un manque d’intelligence et une difficulté de parole attestés devient une ressource romanesque pour de nombreux écrivains : Alexandre Dumas, Juliette Benzoni et Jean d’Aillon, par exemple.

Dans Vingt ans après, chapitres XVIII à XXVIII.

Présence de Beaufort ailleurs que dans ces chapitres :

  • Chapitre I, p. 20 = I-20 : monologue de Mazarin ayant l’intention de manipuler l’opinion et les partis. I_23 : Beaufort reconnu par Dumas comme l’un des hommes « les plus braves de France ». II_33 : Beaufort avait été arrêté par Guitaut, alors que Villequier estime que c’est lui qui aurait dû (?) le faire (voir Mémoires de Motteville, XXXVII. III_43 : Rochefort s’informe auprès de d’Artagnan sur la prison de Beaufort. III_52-53 : Mazarin veut piéger Rochefort en lui proposant d’aller garder Beaufort. IV_59 : Mazarin répond à la reine que Beaufort a été emprisonné à cause d’un brouillon de lettre. IV-61 : Avoir arrêté Beaufort n’est pas suffisant pour empêcher la Fronde. VII_85 : Planchet explique à d’Artagnan qu’il a aidé Rochefort à se libérer en disant à la populace qu’il était l’ami de Beaufort. X_110 : Aramis fait référence à la cabale des Importants en 1643. XI_120 : possibilité que Beaufort dirige une armée, selon Aramis.

Chapitre XVIII : voir pages 180-181

Chapitre XIX : p. 185-187, 192-193, 195.

Chapitre XX : 197-200

Chapitre XXI : 209-211, 213et autres détails…

Chapitres XXII à XXIV : XXII_246.

Chapitre XXV : le plus important, bien sûr.

Chapitres XXVI à XXVIII : XXVIII_292-294.

Voir L’évasion de M. de Beaufort, téléfilm dans la série des Évasions célèbres (ORTF, 1972, 54 min.).

Pour la semaine suivante, lire jusqu’au chapitre XL.

Le 31 octobre : un duo pour Cromwell, un duo pour Charles Ier

Après une longue ouverture consacrée à retrouver les quatre amis d’il y a vingt ans et une longue digression consacrée à l’évasion du duc de Beaufort, Dumas met en scène les retrouvailles des mousquetaires en trois étapes : la lutte nocturne durant la fuite de Beaufort (ch. XXVIII), le nouveau serment d’amitié au Palais-Royal (ch. XXX), le dîner où l’on s’autorise à s’écarter de l’esprit de parti (ch. XXXVII).
À chaque fois, le retour aux événements du passé est utilisé par Dumas, d’abord pour les bons côtés (ce qui unit les quatre amis malgré leurs choix postérieurs), puis ensuite pour faire entrer dans l’intrigue ce qui est lié à leur hantise commune, l’exécution de Milady (p. 373-375 ; cf. Les trois mousquetaires, ch. LXVI, avant-dernier chapitre…) – avant même les nouvelles qu’apporte Grimaud sur le même sujet (p. 375-377), et introduire par l’action les acteurs de la nouvelle génération : principalement Raoul (qui jusqu’ici ne servait à rien…) et le fils de Milady, aux côtés de ceux qui reviennent : le bourreau de Béthune, Lord de Winter, Charles Ier et son épouse, Henriette de France, etc.

Raoul : 1. sauve de Guiche et devient son ami (319-323), 2. trouve un moine pour réconforter un mourant (sans savoir qui ils sont, hélas – il est l’instrument du destin) (328-338), 3. entre au service du prince de Condé (357-367).

Grimaud : sert d’agent de liaison entre les parties du roman – on l’a vu déjà auprès de Beaufort. Reçoit la confession du bourreau de Béthune (p. 350) et rapporte les informations à Paris (376).

John Francis de Winter (348) : déguisé en moine, recherche les assassins de sa mère et rencontre Raoul et de Guiche (333-338), confesse par hasard le bourreau de Béthune et l’assassine par vengeance (345-348) [sa mère disait : « je serai vengée », Les trois mousquetaires, ch. LXVI].

Le prince de Condé et la fin de la Guerre de 30 ansLa bataille de Lens (20 août 1648).

Charles Ier, l’Angleterre, Henriette et leur fille en France : situation historique et adaptation romanesque… À discuter.

Pour la semaine suivante, lire jusqu’au chapitre XLVIII.

Le 7 novembre : tous contre le fils de Milady (& un crime en mer)

Grain de sable ou moteur narratif ? À quoi sert Mordaunt ? Les mousquetaires d’autrefois engagés pour et contre Mazarin en ce début de Fronde, insérés parmi les personnages historiques et les nouveaux personnages fictifs (Raoul, Friquet), n’était-ce pas suffisant pour faire un bon roman ?
Dumas maintient ainsi l’équilibre, ou la compétition, entre la fiction (l’intérêt du lecteur captée par le suspense des aventures imaginaires dans le décor historique) et la réalité (la focalisation narrative sur les événements réels de l’histoire qu’agrémenterait quelques personnages fictifs). Malgré la complexité socio-politique de la Fronde, dont il fait de très beaux (et bons) tableaux, Dumas surenchérit avec l’intemporalité de la haine et de la vengeance.

Si Mordaunt, fils de Milady, est bien un personnage de fiction, son nom, en revanche, n’est pas une invention de Dumas. En effet, deux frères, vicomtes anglais, nommés Henry Mordaunt (1621-1697) et John Mordaunt (1626-1675) ont bien existé à cette même époque, tous deux engagés dans l’histoire politique et militaire en 1648 mais… dans le camp royaliste ! Dumas, qui, sauf quelques petites erreurs, respecte la vérité historique française, prend donc des libertés avec celle de l’Angleterre… Ce nom lui-même, qui aurait peut-être une origine franco-normande au temps de Guillaume le Conquérant (11e siècle), reste encore aujourd’hui un nom étrange au Royaume-Uni – une ambigüité dont joue admirablement Dumas pour créer une aura de mystère, de paradoxe et d’angoisse autour de son personnage, à la fois moine et meurtrier, maigre jeune homme et espion terrifiant, enfant perdu et secrétaire de Cromwell.

Le récit ne le suivant pas dans ses déplacements, il apparaît d’abord soudainement à divers endroits et moments, toujours pour déranger le parcours des personnages principaux. Pour les numéros des chapitres dans l’édition folio, retirer 1 aux numéros des chapitres XXIX à LXXVI… : XL (donne la lettre de Cromwell à Mazarin, devra attendre dix jours la réponse à Boulogne…), XLI, XLIII (rencontre de l’oncle de Winter), XLIV, LII (réponse de Mazarin), LVI, LVII (p. 554, lettre d’Aramis-Athos à d’Artagnan-Porthos, puis p. 559- rencontre pour traversée en bateau), LVIII, LIX (Mordaunt tue de Winter et fait prisonnier le roi Charles), LX (Mordaunt et Cromwell), LXI, LXII (comique dispute pour les prisonniers…), LXIII, LXV, LXVI, LXVII, LXVIII, LXIX, LXXII, LXXIII (Cromwell donne les 4 prisonniers à Mordaunt, « le Mordaunt »), LXXIV (conversation et fuite), LXXV (caché dans la felouque), LXXVI (tout est prêt), LXXVII (p. 745-751 ; fatalité, enfin mort !), LXXIX (feu M. Mordaunt), LXXXII, LXVIII,

« serpenteau » (p. 375, XXXVIII ; XLVI ; p. 596, LXII ; p. 705, 712-714, LXXIV) & serpent (XXXIV, XXXVI, XXXVIII, LXXIV ; p. 750, LXXVII), moine (p. 331, XXXIV), pâle & vêtu de noir, évanoui VS rage, haine…

Mordaunt incarne donc, de façon héréditaire, le mal qui était dans l’âme de sa mère. Décrit comme un serpent, furtif, fuyant, ou comme une force furieuse et diabolique, il semble être de forme et d’apparence instable, variable (moine, pâle, meurtrier, etc.), masculin et féminisé. Ces particularités associent symboliquement le Serpent de la tentation et Ève, la femme fautive. Malgré leur force et leur courage, d’Artagnan et les mousquetaires restent sensibles aux puissances évoquées par le symbolisme religieux.

Du point de vue de la fonction narrative de type personnage secondaire, Mordaunt serait-il comparable à Friquet ? Non, bien sûr. Friquet, qui intervient aussi avec soudaineté dans des zones interstitielles du récit, a une dimension comique : voir …
Fortune de Friquet : créé pour Vingt ans après en 1845-46 d’après le stéréotype du gamin de Paris (débrouillard, spirituel et contestataire), Friquet est à l’évidence le brouillon du Gavroche des Misérables, que Victor Hugo écrit vers 1860-62. Son « bonnet » (p. 445) est aussi l’origine de la « casquette » de Charles Bovary, au tout début de Madame Bovary

Le 14 novembre : Te Deum et Journée des barricades

Après avoir observé les aspects les plus romanesques – et donc imaginaires – de Vingt ans après (dont le personnage de Mordaunt, son origine, son parcours et la vengeance qu’il incarne ; mais aussi les 4 personnages principaux qui paraissent parfois plus réels que les personnages historiques… {311}), intéressons-nous à l’aspect historique – et donc réaliste – du roman, formé par des personnages, des événements et des commentaires sociaux & politiques.

Les principaux éléments et épisodes concernés sont :

  1. Jules Mazarin (1602-1661), principal ministre (de 1643 à 1661) de la régente Anne d’Autriche (1601-1666), puis de Louis XIV (1638-1715), après la mort de Louis XIII (1601-1643) ; et tout ce qui concerne son gouvernement (dont le surintendant Particelli d’Emery, limogé le 8 juillet 1648, remplacé pour un an par Charles de La Porte, duc de La Meilleraye), ou son caractère (subtilité d’esprit, hypocrisie, avarice). {370, 443}
  2. La famille royale, les princes et principaux aristocrates de l’époque, quelques célébrités {Scarron, Ménage, Scudéry, etc., 235-250} et lieux du pouvoir (le Palais-Royal, le Louvre, le château de Vincennes, le château de Saint-Germain-en-Laye, etc.).
  3. Le coadjuteur Jean-François Paul de Gondi (ou Gondy), futur cardinal de Retz (1613-1679), intrigant politico-religieux et mémorialiste… {240-241, 250, 463-482}
  4. Le parlement de Paris, ses principaux représentants, comme l’avocat général Omer Talon et le conseiller Pierre Broussel {297, 917-924}.
  5. Charles Ier (1600-1649), Henriette (1609-1669), Oliver Cromwell (1599-1658), et l’ensemble des événements liés à la situation en Angleterre. {Charles : 378-383, 576-581, 618-620, 648-665, Cromwell : 384-391, 582-587, 645-647, Henriette : 392, 426-428, 579}
  6. Tout ce personnel et ces lieux forment le cadre historique – la période de la Fronde {303} – choisi par Alexandre Dumas pour y placer l’action romanesque ; il doit en principe les respecter, ou tout du moins respecter les connaissances historiques de son époque… Il faut y ajouter les documents insérés dans le texte (véritables ou forgés) : les lettres {380, 389-390, 404}
  7. 1er juin 1648 (lundi) : l’évasion du duc de Beaufort (pourquoi il avait été emprisonné, le danger qu’il représente pour Mazarin) {178-220, 260-297, 370-372}.
  8. 20 août 1648 (jeudi) : la bataille de Lens (fin de la Guerre de Trente Ans, dans le cadre des conflits européens entre catholiques, protestants et puissances politiques), la victoire du prince de Condé (1621-1686, Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé). {356-366}
  9. 26 août 1648 (mercredi) : le Te Deum (audio) dans la cathédrale Notre-Dame (pour fêter la victoire de Lens) et l’arrestation programmée de Broussel (et d’autres opposants à Mazarin). {443-461}
    – Voir dans les Mémoires de Mlle de Montpensier. Il est à noter que Dumas ne parle pas du tout de la sortie périlleuse du chancelier Séguier (sorte de ministre de la justice pendant quarante ans) que le peuple considérait comme un des responsables de son malheur (maltôtier).
    – Comparer Dumas avec les Mémoires de La Rochefoucauld, de Mme de Motteville et les Mémoires d’Omer Talon, .
  10. 27 août 1648 (jeudi) : après une nuit de conciliabules et de préparatifs, Journée des Barricades, pour demander la libération de Broussel et chasser Mazarin du pouvoir (cette entente entre divers personnages et leur passage à l’acte sont considérés par les historiens comme le début de « la Fronde », qui durera jusqu’en 1653).
  11. 13 septembre 1648 (dimanche) : Mazarin et la famille royale quittent Paris pour Rue(i)l, puis St-Germain-en-Laye, le 24 septembre (en prétextant une période de nettoyage du Palais-Royal…) ; chez Dumas, on ne connaît pas exactement la date, on va au Cours-la-Reine (à l’époque à l’extérieur de Paris), puis au château de St-Germain-en-Laye
  12. 24 octobre 1648 (samedi) : signature des traités de Wesphalie (en préparation depuis 1641), dont le Traité de Münster (agrandissement du territoire, dont acquisition de l’Alsace, et affaiblissement de l’Empire germanique).
  13. 5 janvier 1649 : dans la nuit du 5 au 6, fuite du roi et de la reine, à St-Germain-en-Laye…
  14. 8 janvier 1649 : arrêt du Parlement pour l’arrestation de Mazarin. Etc.
  15. 20 janvier 1649 (mercredi) : en Angleterre, procès de Charles Ier ; il est condamné à mort le 27 janvier et exécuté le 30.

Le 21 novembre : Suite sur l’histoire (Te Deum et Journée des barricades)

Reprise et suite du cours précédent, en se référant amplement aux textes proposés, en plus de celui de Dumas (mémoires de Madame de Motteville, de Mlle de Montpensier, de La Rochefoucauld et d’Omer Talon).

Le 28 novembre : le passage en Angleterre

Le passage en Angleterre semble obéir à deux principales raisons, l’une littéraire, l’autre historique : littérairement, par symétrie avec Les trois mousquetaires (qui devaient y récupérer les diamants pour sauver l’honneur de la reine) ; historiquement, par profit d’intrigue du fait que le cadre temporel choisi par Dumas incluait des événements réels en Angleterre.
Ce passage est d’ailleurs profondément ancré dans Vingt ans après puisque, dès le chapitre XVI, le souvenir de Milady et de lord de Winter amènent Athos et d’Artagnan à évoquer la présence et l’indigence contemporaine de la reine Henriette d’Angleterre au Louvre (p. 160-161).1

Dans la fiction, c’est bien sûr Mordaunt, rencontrant par hasard le bourreau de Béthune, qui relie le passé de sa mère à son présent (p. 345-348). Grimaud emportera son signalement à Paris pour alerter les quatre amis (p. 350-355, puis 375-376).

Historiquement, nous découvrons Henriette et sa fille au couvent des Carmélites (p. 378-379), recevant de Winter chargé d’une lettre du roi (p. 379-383), puis nous assistons à la visite d’Henriette à Mazarin, qui refuse de lui venir en aide (p. 392-396).
Mazarin venait de recevoir la visite de Mordaunt apportant une lettre de Cromwell (p. 384-390), hésitait encore à s’engager d’un côté ou de l’autre, ce qu’Henriette pressent (p. 399-401). Deux camps anglais ennemis, deux courriers, deux lettres, le tout convergeant vers Mazarin le même jour, par hasard romanesque.

Roman et histoire s’entremêlent alors : Athos et Aramis, via Raoul (p. 402-407), sont engagés par de Winter à servir Henriette (p. 415-418, puis 424-429) et partent avec l’argent de Porthos et de d’Artagnan (p. 431-434), tandis que ces derniers sont envoyés par Mazarin porter un courrier à Cromwell (p. 512-514, p. 547-549) après avoir organisé la fuite à Saint-Germain (516-540). Tous entrent en contact avec Mordaunt, posté à Boulogne (p. 435-442, p. 553-556 puis 559-562).

En Angleterre… c’est déjà la guerre depuis longtemps, par exemple près de Newcastle où le roi est vendu à Cromwell par ses soldats sans solde depuis un an (p. 563-568, puis 569-571).
Le plan d’attaque tourne au fiasco et de Winter est tué par Mordaunt (p. 574-577), mais d’Artagnan et Porthos, venant des forces cromwelliennes, font comprendre à Athos, Aramis et au roi qu’ils doivent se rendre à eux avant que Mordaunt ne les prenne (p. 577-581).

Mordaunt va rendre compte à Cromwell (p. 583-587). Il est trompé par d’Artagnan qui fait évader ses amis (p. 602). Ils sont encore très chevaleresques et la France les déçoit (p. 605-606) ; ils s’unissent donc pour sauver le roi… et décident d’aller à Londres (p. 615).

Le 5 décembre : retour et punition

Suite du cours précédent : page à page (612-751), comment Dumas s’arrange avec la réalité historique.

Il faut bien que Charles Ier meure, et le lecteur le sait ; la liberté fictionnelle se trouve donc ailleurs :

  • dans les plans et les possibles d’un sauvetage, qui TOUS échouent (p. 614, 634, 671) pour laisser place à – ou en accompagnant l’arrivée de – la triste vérité historique (p. 648-659, puis 672, 678-684) ; triste parce que nous sommes dans le point de vue des pro-Charles Ier (ou des pro-Henriette).
  • ainsi que dans le suspense créé autour du dernier mystère, l’identité du bourreau (681-695).

Phrases historiques : à propos des cheveux du roi qui pourraient gêner le bourreau… ou « Ne touchez pas à la hache ». En français, cela vient de Balzac, La duchesse de Langeais, 1834 : « la phrase que prononce le gardien de Westminster en vous montrant la hache avec laquelle un homme masqué trancha, dit-on, la tête de Charles Ier en mémoire du roi qui les dit à un curieux ». La phrase originale est (peut-être) « Hurt not the ax[e], that may hurt me. »

La fiction est aussi dans le décalage – ou l’erreur : le 30 janvier (p. 672) est, en 1648, la date de l’exécution de Charles Ier. Dumas omet de mentionner l’année… et fait passer cet événement après les barricades de Paris du 26 août 1648 ! Bon…

La suite (le plan de Cromwell qui devient le plan de Mordaunt, etc.) est un retour à la domination de la fiction dans le récit. Puis l’escalade entre les deux plans de vengeance, qui convergent vers une fuite en bateau…

Le 12 décembre : l’enlèvement du cardinal et comment cela finit pour chacun

Dumas veut finir plusieurs choses (œuvres) en même temps : le roman présent, le diptyque formé par Les trois mousquetaires et Vingt ans après, l’ère de la chevalerie.

  1. Le roman présent : tous les éléments d’intrigue ouverts doivent être fermés, si possible positivement. Après la mort de Mordaunt, il reste à régler les destins individuels. Les personnages principaux obtiennent tous ce qu’ils souhaitaient : d’Artagnan est enfin capitaine, Porthos enfin baron, etc. Jusqu’à Friquet qui hérite du mendiant… Les personnages historiques sont dégagés de l’emprise des personnages de fiction et peuvent continuer leur destin. Dumas a profité des trois jour d’isolement de Mazarin pour préparer la paix de Rueil et le faire enlever – mais Mazarin et Anne d’Autriche cèdent et comprennent les intérêts supérieurs que leur avarice ou leur orgueil les empêchaient respectivement de comprendre. D’autres éléments de symétrie apportent une satisfaction esthétique : les émeutes de février-mars 1649 qui précèdent la paix font pendant à celles d’août-septembre 1648, le voyage en Angleterre étant entre les deux.
  2. Le diptyque : d’Artagnan et ses amis, mal considérés et mal récompensés à la fin du premier opus trouvent enfin considération et récompense. Les services rendus en Angleterre s’opposent et se complètent. La disparition de Mordaunt fait suite à celle de sa mère ; le diable de chaque volume est terrassé et Athos enfin libéré. Bonacieux, par qui malheur était arrivé vingt ans avant, est tué involontairement par Porthos vingt ans après.
  3. L’ère de la chevalerie : après s’être unis cette fois encore pour sauver l’honneur d’une reine (Henriette), les héros prêts à tous les sacrifices ont également sauvé l’honneur d’Anne d’Autriche, rétabli Mazarin dans ses fonctions et servi le peuple de France en faisant signer le traité. Mais ils se séparent, redeviennent des individus ayant des intérêts terrestres tandis que les vertus anciennes de courage et de dévouement font place à la diplomatie et à l’économie : Mazarin succèdait à Richelieu, chacun appartenant à un monde différent. Du temps de Richelieu, on pouvait jeter aux oubliettes ; du temps de Mazarin, on garde à Rueil et on négocie ; et tout à l’avenant : maintes fois rappelé par Dumas, quand le « monde dégénère », selon la reine (p. 825), « tout dégénère », selon Porthos.
  1. On la nomme plutôt « Henriette Marie de France » (1609-1669), épouse du roi Charles Ier en 1625, époque où Georges Villiers de Buckingham vient en France pour préparer le mariage et s’intéresse un peu trop à la reine Anne d’Autriche… On réserve aujourd’hui le nom de « Henriette Anne d’Angleterre » à sa fille, cadette de ses neuf enfants. Mais dans le roman, la reine est accompagné d’une enfant de 14 ans (p. 378) qui ne peut pas être Henriette Anne, née en 1644 et donc âgée de 4 ans à peine… Il s’agit donc d’Elisabeth, née en 1635, même si Dumas – confusion ou profit romanesque – l’appelle la « jeune Henriette » (p. 402). []

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