Beau mais naïf avènement du bonheur

samedi 17 octobre 2009, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Malgré le beau temps sur Tokyo, tout le début du cours sur le chapitre 2 de l’Éducation sentimentale, j’avais un peu l’impression qu’une partie de mon cerveau était restée sous l’oreiller. Les mots ne venaient pas alors que les phrases étaient déjà commencées, je martelais un rythme textuel comme une manivelle aux premiers tours d’un matin d’hiver. Des étincelles jaillies du texte autant que des mines studieuses des étudiants sont quand même venues à mon secours. J’ai pu, sur le thème de l’amitié, faire entendre en écho inversé ce chapitre et la fin du roman, les retrouvailles de Charles et Frédéric, vingt-sept ans après (3e partie, chapitre 7). Le ricanement de mépris de Madame Moreau mère en 1840 ne reçoit d’explication qu’en ces ultimes paragraphes de 1867, quand ils se remémorent avec joie leur passage raté chez la Turque, expliquant ainsi pourquoi « la Pénurie est la mère de la Sagesse »
Enfin, la flaubertible aventure d’un mot était aujourd’hui celle de républicain(e)(s) & République.
Le tout à écouter ici, dans un document plus lourd mais de meilleure qualité que l’enregistrement de la semaine dernière, grâce à l’usage d’un Edirol ayant de meilleurs micros que le petit iRiver…

Concordance des mots :

Dans l’après midi, j’ai enfin eu le temps — tout se fait à l’envers, chez moi, ces temps-ci (ma semaine, je ne vous en parle même pas) — d’écouter l’Atelier littéraire de dimanche dernier sur Gustave Flaubert, Une manière spéciale de vivre de et avec Pierre-Marc de Biasi. On parlait pas mal de son chapitre sur le cheval, dont un cheval en l’air qui m’en rappelle un plus récent…
Causant canassons, déjà son dada en 2001, de Biasi met le doigt sur le court-circuit Dussardier des occurrences 4 et 25 ci-dessus, quand le beau mais naïf avènement du bonheur par la République proclamée devient son assassinat d’une méchante brièveté par Sénécal lors du coup-d’État — c’est d’ailleurs là, ce chapitre 5 de la 3e partie, la vraie fin du roman, la mort totale des illusions ; les deux chapitres suivants n’étant qu’une progressive et double défocalisation, où comment s’en sortir, seize ans plus tard — le temps qu’il a fallu pour digérer tout ça… Oui, une bien spéciale manière de vivre, Flaubert…

« La stalle de voyage du cheval était sommaire, mais bien équipée, qui comptait des réserves de fourrage et de paille, de l’eau, plusieurs bidons de cinq litres. Jean-Christophe de G. avait rempli une bassine au robinet d’un bidon, et, accroupi dans la stalle, il versa quelques gouttes de soluté physiologique dans l’eau de la bassine, à quoi il ajouta un soupçon de solution antiseptique, jusqu’à ce que le mélange, qu’il touillait délicatement du bout des doigts, atteignît une couleur de thé oolong très léger, avec quelques linéaments plus foncés, couleur réglisse, comme des veines ondoyantes, sinueuses, qui stagnaient entre deux eaux. Il se releva, précautionneusement, ballotté par les secousses de l’avion, et s’approcha du cheval en titubant, la bassine à la main, dans laquelle l’eau dansait en clapotant, débordant par vaguelettes dans la paille. Il tenait précieusement la bassine contre sa poitrine pour la protéger des soubresauts de l’avion et commença à nettoyer la blessure, frottant les chairs meurtries avec une compresse humide, détachant les impuretés collées autour de la plaie, gravillons, poussières et autres corps étrangers qui demeuraient incrustés dans les tissus lésés. Le cheval, les yeux absents, se laissait faire, paraissait insensible. Il recula simplement une fois, brutalement, témoignant qu’il pouvait toujours être dangereux.» (Jean-Philippe Toussaint, La Vérité sur Marie, p. 130-131)

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2 réponses à “Beau mais naïf avènement du bonheur”

  1. Caroline dit :

    C’est étrange, avant de lire La Vérité sur Marie, je venais de finir Les grandes Blondes d’Echenoz qui lui aussi fait voyager un cheval par avion. C’est amusant ces coïncidences de lectures. En est-ce une en ce qui concerne l’écriture ? Inspiration ?

  2. Berlol dit :

    Et quelqu’un me parlait d’ailleurs des Grandes Blondes cette semaine même ! Oui, belles coïncidences…