L’avatar n’a rien à voir

jeudi 16 septembre 2010, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Un ami, puis un autre, puis un collègue que j’estime, puis un autre, quand j’étais à Paris, enfin divers médias dont d’honorablement littéraires, sans compter Amazon qui me le met en relation avec n’importe quel livre que je demande, partout donc, on me recommande de lire le dernier livre de Michel Houellebecq.
C’est qu’on ne connaît pas mon programme ! Il y a déjà une telle accumulation de lectures nécessaires au bureau et sur la table du salon qu’il sera de toute façon en poche quand je pourrai l’ouvrir.
De plus, ayant déjà lu trois livres de lui, je ne suis pas bien sûr qu’il ait pu changer suffisamment son écriture et ses thématiques pour que cela devienne réellement intéressant à mes yeux. Bien sûr, tout dépend de ce que chacun trouve « intéressant »…

Je n’ai donc pas hésité à écouter l’émission Répliques pour voir si déjà à l’oral, ça pouvait me donner l’envie de le lire. Bon, c’est vrai que la soupe de Finkielkraut, dont le temps de parole est très supérieur à celui de son invité, ce n’est peut-être pas la meilleure façon de faire revenir Houellebecq parmi mes préférences. Entre parenthèses, s’il fallait vraiment virer quelqu’un de France Culture, j’aurais mille fois préféré que ce fût Finkielkraut plutôt que Pascale Casanova. Mais on ne m’a pas demandé mon avis.
Ce que j’ai entendu : l’anthropologie de l’Occident vu de sa fenêtre, l’art contemporain binairement réduit à deux artistes médiatiques, quelques banalités de classe de terminale sur l’histoire de l’art ou la sociologie, l’intérêt des italiques récemment découvert (lecteurs de Gracq, bouchez-vous les oreilles), la détestation de Picasso (le passage le plus comique de l’émission, d’ailleurs même Finkielkraut ne suit pas : Picasso décrété nul, vous et moi sommes obligés de plier ; au lieu de dire — normalement — qu’il n’aimait pas)… Enfin, l’utilisation d’un personnage nommé Houellebecq — mais attention, l’avatar n’a rien à voir avec l’autofiction ! (Parce qu’il y a six ou sept ans, Houellebecq servait d’alternative à ce qui était décrit comme l’horrible mode de l’autofiction, vous vous rappelez, du temps que Christine Angot vendait des livres ?)
Et aucune référence à Jorge Luis Borges, par exemple. Peut-être de peur qu’on dise qu’à l’instar de la carte à l’échelle 1, le Houellebecq de Houellebecq est… Houellebecq lui-même ! Et qu’il vaudrait mieux l’abandonner dans un désert, parce que ce serait juste… de l’autofiction.

Michel Houellebecq : « Je vais retracer l’historique. Au départ, c’est Korzybski, d’après ce que j’ai pu en lire, c’est une sorte de nominaliste, quoi, je n’ai pas bien compris ce qu’il apportait de plus, dont une des phrases qui est restée est : « la carte n’est pas le territoire ». Van Vogt, Alfred Van Vogt, donc, qui avait besoin sans doute d’une structure philosophique, s’est vraiment entiché de Korzybski ; ça l’a apparemment beaucoup aidé à écrire Le monde du non-A, le cycle du non-A en général. Pour des raisons que je ne connais pas, cette phrase est passée dans le monde de l’art, ce qui est bizarre, hein : les artistes ne sont pas de grands lecteurs de science-fiction, en général, et elle est devenue très célèbre, presque aussi célèbre, dirai-je, que le « I would prefer not to ». Donc cette phrase est une espèce de clin d’œil, probablement à d’autres expositions, possible, ou à d’autres œuvres. J’avoue que je n’ai pas recherché exactement lesquelles. Par ailleurs, il pense vraiment que la carte est plus intéressante que le territoire…
Alain Finkielkraut : — Plus importante, même, dirons-nous…
MH : — Plus intéressante… Intéressante.
AF : — Plus intéressante !
MH : Intéressante…  Donc il expose une photo satellite, d’une zone, une carte de la même zone. Et la carte est plus intéressante. Alors il ne dit pas « plus belle ». Effectivement, sur la fin, il revient sur quelque chose qui n’est pas loin de la « soupe de verts » qui est la photo-satellite. Mais plus intéressante, oui. » (extrait de l’émission Répliques du 11 septembre 2010)

Depuis ma plus petite enfance et avant même que la littérature signifie quelque chose pour moi, a fortiori Korzybski, Borges ou Houellebecq, j’ai passé des heures à regarder des cartes routières. J’avais même une grande carte de l’Europe qui allait jusqu’à l’Afrique du Nord et jusqu’au milieu de la Russie soviétique. Je suivais des routes et je lisais les noms des villes, me demandant par exemple avec perplexité si Warzawa, écrit sur cette carte, était bien la Varsovie dont on parlait de temps en temps à la radio. J’essayais d’imaginer comment pouvait être une ville côtière (à l’échelle de ma carte, ça semblait être au bord de l’eau) au nom aussi beau qu’effrayant, Tirana, dont on m’avait dit qu’elle (nous) était interdite. Et la compacité bruyante du nom Zagreb !
Oui, il était évident que la carte était bien plus intéressante que le territoire. On n’a pas à crapahuter, passer les frontières, subir neiges, pluies et chaleurs, parler des langues. On reste là, tranquille à rêvasser, on sort de la carte pour jouer un peu au ping-pong contre le mur, ouvrir le livre des grands peintres, s’extasier devant le sourire de Mlle Rivière (ne dirait-on pas Jeanne Balibar ?). Et derrière elle, ce paysage, c’est aussi une carte de géographie…
Après on partait en vacances : mon père tenait le volant et se tapait tous les problèmes de la circulation ; moi, je tenais la carte et je faisais les itinéraires.

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Publié dans le JLR

10 réponses à “L’avatar n’a rien à voir”

  1. Michelle Leroux dit :

    Vendu par FC jusqu’à la nausée, mérite-t-il – en plus* – un article du JLR?
    * en italiques, bien sûr…

  2. Berlol dit :

    Oui, je me suis posé la question, bien sûr… Mais le silence est une critique facile. Et puis on le confond facilement avec l’ignorance…

  3. JS dit :

    Le titre de Houellebecq me rappelle dans ‘Comment voyager avec un saumon’ de Umberto Eco, du texte sur la carte à l’échelle 1:1, très sémiotique et très drôle.

  4. […] This post was mentioned on Twitter by Berlol, brigitte celerier. brigitte celerier said: RT @Berlol: Journal LittéRéticulaire du 16 septembre 2010 : L'avatar n'a rien à voir. http://www.berlol.net/jlr2/?p=2289 #Répliques #Hou … […]

  5. christine dit :

    tout comme la carte n’est pas le territoire, écouter un écrivain « à l’oral » (surtout interrogé par Finckie !) ne me semble pas la meilleure façon de le lire 😉
    et pour avoir lu Houellebecq (je suis sans doute vieux jeu en la matière mais je ne m’autorise pas sinon à parler des livres) je ne peux qu’ajouter ma recommandation à celle de tes autres amis !

  6. Berlol dit :

    Merci pour la référence à Eco, Joachim, ça m’intéresse.
    Et merci, Christine, d’ajouter ta recommandation. Tu sais que j’ai toujours fait grand cas de tes conseils ! Mais ayant peu apprécié les 3 livres du même auteur déjà lus, je reste sceptique. Je viens d’écouter Jeux d’épreuves du 11 où on en parlait aussi et je ne vois pas ce qui m’y ferait aller. Donc, à l’occasion, en bibliothèque ou en librairie, j’en lirai les premières pages avant de — peut-être — lui donner de l’argent.

  7. martine dit :

    je pense à « La guerre à 8 ans » de Nicolas Bouvier, livre de tout petit format aux éditions Zoé, et à ses rêveries enfantines devant les couleurs de l’atlas

  8. PhA dit :

    Quoi ? « L’événement » de la rentrée littéraire c’était pas le triplé Volodine ? (Je suis encore scotché par le Bassmann. Si je l’écris ici, c’est parce que c’est ici, je crois, que j’ai lu ce nom pour la première fois.) (Et ça fait une raison de plus de poursuivre ce journal.)

  9. Berlol dit :

    Ça va venir, Philippe, et ça sera du lourd… Merci, en tout cas, du soutien.

  10. Tu ne crois pas que tu as déjà fait amplement ton devoir en l’écoutant interrogé par Finkielkraut?, épreuve que je n’aurais pas pu traverser en entier.

    Sinon c’est assez comique ce passage dans lequel il stigmatise Van Vogt qui aurait eu besoin d’une structure philosophique pour la trilogie du non-A!

    Amicalement

    Phil