Le rouet où tout le monde se pique

jeudi 10 février 2011, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Dans une lettre ouverte à Jean Birnbaum, Sébastien Rongier s’évertue à défendre l’honneur attaqué du littéréticulaire, cette zone du web où la littérature tisse une toile d’avenir avec les fils nouveaux et les fils anciens, la plus belle tapisserie de sens qui soit, le rouet où tout le monde se pique (y compris Le Monde, précisément). À titre personnel, je remercie Sébastien. Pour tout ce que Remue.net représente aussi dans ce passement de témoin, cette broderie des temps électroniques, je le remercie aussi, puisqu’il en tient les rennes, ou plutôt les quenouilles, si je veux encore filer ma métaphore.

Je me permets néanmoins de signaler à Sébastien qu’il n’était pas nécessaire de donner tant de publicité à l’articulet de Birnbaum. Un papier torché en trois cents mots, qui commence avec Finkielkraut, se développe par Jourde et s’achève sur Angenot, absence totale de cohérence, triturant le concept d’antimoderne sans le définir ni le rattacher à sa doxa, le greffant à la diable sur un titre de film de trois heures que tout le monde a oublié depuis 1995 (et que Le Monde avait ridiculisé).
On dirait ce qu’une cuite entre copains considère comme génial, entre deux rots, mais hélas sorti en kiosque avant que l’auteur ne sorte de cellule de dégrisement pour en empêcher la parution. (Oui, je n’ai pas, comme Sébastien, la périphrase consensuelle…)

De même pour moi, alors ? Pourquoi sortir aussi ma griffe ?
Cela ne va-t-il pas amplifier l’odeur du petit étron du Monde des livres ? (Ceci dit en passant, un titre aussi prétentieux que la République des livres dans le même journal, site dont toujours « l’arrêt public délivre », autocitation du 19/11/2004…)

Eh bien, non. D’abord parce que, n’ayant aucun contenu repérable, l’écho birnbaumien n’ira pas loin. Alors que le relevé des dates, comme le propose Sébastien, a beaucoup plus d’importance.
1995 et 2001, soit, respectivement, le début de la connexion à l’internet et le début des blogs. Pour moi : le début des recherches en ligne et la création d’un site de mes activités pédagogiques et littéraires, d’une part, et d’autre part, la date de rédaction de mon inoubliable livre, Les salons littéraires sont dans l’internet (PUF), aujourd’hui vintage et cultissime.

Les duels, fort heureusement, sont maintenant dans les prés réticulaires et à toute heure.

« Georges prit le journal qu’on lui tendait, et lut, sous ce titre : Duroy s’amuse.
L’illustre reporter de La Vie Française nous apprend aujourd’hui que la dame Aubert, dont nous avons annoncé l’arrestation par un agent de l’odieuse brigade des mœurs, n’existe que dans notre imagination. Or, la personne en question demeure 18, rue de l’Écureuil, à Montmartre. Nous comprenons trop, d’ailleurs, quel intérêt ou quels intérêts peuvent avoir les agents de la banque Walter à soutenir ceux du préfet de police qui tolère leur commerce. Quant au reporter dont il s’agit, il ferait mieux de nous donner quelqu’une de ces bonnes nouvelles à sensation dont il a le secret : nouvelles de morts démenties le lendemain, nouvelles de batailles qui n’ont pas eu lieu, annonce de paroles graves prononcées par des souverains qui n’ont rien dit, toutes les informations enfin qui constituent les « Profits Walter », ou même quelqu’une des petites indiscrétions sur des soirées de femmes à succès, ou sur l’excellence de certains produits qui sont d’une grande ressource à quelques-uns de nos confrères. »

« De retour au journal, Duroy rédigea sa réponse :
Un écrivaillon anonyme de La Plume, s’en étant arraché une, me cherche noise au sujet d’une vieille femme qu’il prétend avoir été arrêtée par un agent des moeurs, ce que je nie. J’ai vu moi-même la dame Aubert, âgée de soixante ans au moins, et elle m’a raconté par le menu sa querelle avec un boucher, au sujet d’une pesée de côtelettes, ce qui nécessita une explication devant le commissaire de police.
Voilà toute la vérité.
Quant aux autres insinuations du rédacteur de La Plume, je les méprise. On ne répond pas, d’ailleurs, à de pareilles choses, quand elles sont écrites sous le masque.
Georges Duroy. » (Guy de Maupassant, Bel-Ami, 1885, 1ère partie, chapitre VII)

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Publié dans le JLR

2 réponses à “Le rouet où tout le monde se pique”

  1. SR dit :

    Merci Patrick,
    Et oui, tu peux largement te permettre (mais hier lisant cela dans le métro avant de rentrer, ça m’a énervé).

    Amitié

    Sébastien