Séismes en chaîne

lundi 14 mars 2011, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Lundi 14 mars, 12 heures. Je complèterai au fur et à mesure cette page, en reprenant à vendredi la chronologie des séismes en chaîne qui touchent le Japon.

Mais pour l’instant, alors qu’un autre tremblement de terre a touché Tokyo vers 11 heures et qu’une autre explosion a affecté un réacteur nucléaire peu après, je suis soulagé d’apprendre par un SMS que T. est arrivée à Nagoya, qu’elle sera ici dans quelques minutes.
Depuis trois jours, je retenais mon souffle et n’avais pas de mots…

Mardi 15 mars, 5:33. Réveillé par un mal de tête, je reviens devant l’écran avec une tasse de thé au jasmin. Hier après-midi a été consacré à l’accueil des réfugiés de Tokyo, T. et Alex. Déballage de tout ce qu’ils rapportaient, provisions de bouche et documents importants. Dîner au Rhubarbe, pour se changer les esprits. À Nagoya, on a l’impression d’être dans un autre pays, ou réveillé d’un cauchemar, tant tout est calme, n’était la télé, qui est la même partout, boîte à images paradoxales de l’impuissance et de l’action, contre les éléments déchaînés, contre les inventions mal maîtrisées.

Tout a donc commencé vendredi 11…
Je quitte T. et Tokyo tôt le matin pour aller assister à la dernière réunion de faculté de l’année universitaire et y prononcer, pour la première fois en japonais, quelques paroles de remerciement pour l’année sabbatique qui m’est octroyée, qui commence en quelque sorte à l’issue de la réunion et que je consacrerai à l’étude des Mazarinades. Déjeuner rapide à notre appartement de Nagoya, où je ne peux pas rester parce qu’il y a demain le dernier cours à l’Institut à Tokyo, sur Bel-Ami. Je reprends donc mon bagage ultra-léger et m’en vais par le métro vers la gare de Nagoya où je devrais avoir un shinkansen vers 15h30.
Après une station, c’est-à-dire quand le métro freine sur le quai de Kawana, je reçois un appel de T., coupé avant d’être pris. Je descends sur le quai pour la rappeler tout de suite, mais sans succès, plusieurs fois, tout en constatant que le wagon du métro bouge alors que personne n’en monte ni n’en descend. Sans le formuler clairement, je ressens que si je ne parviens pas à joindre T. à Tokyo au moment même où il y a un séisme à Nagoya, c’est peut-être quelque chose de grave. D’ailleurs, le métro n’a pas redémarré et après cinq ou six tentatives d’appel, je remonte dans le wagon quand le signal indique le départ imminent. Devant changer à la station suivante, je reprends mes tentatives d’appel en marchant dans les couloirs puis sur le quai. Il n’est pas encore trois heures. Et ça passe, la voilà qui me dit que ça a secoué très fort à Tokyo, et longuement, comme elle n’a jamais connu, que des objets sont tombés, sans gravité pour l’instant, qu’elle retourne sous la table, sans rire, parce que ça tremble encore, qu’elle a vu, par la réception télé de son téléphone portable, qu’il s’agit d’un fort séisme au Nord, que je ne dois pas m’inquiéter parce qu’elle a tout ce qu’il faut et que le bâtiment résiste bien. Je lui communique brièvement qu’ici aussi j’ai ressenti des mouvements du sol et que je vais essayer de la rejoindre au plus vite, que je suis déjà en route.
Hélas, à la gare de Nagoya, je constate que le trafic est déjà interrompu. Je traîne un peu dans la gare en attendant la reprise. On ne sait pas encore que c’est exceptionnellement grave, on ne sait pas encore que le tsunami a déjà commencé à ravager les côtes du Nord-Est du Japon. Une ou deux fois parmi de nombreuses tentatives dans un réseau saturé, je parviens à joindre T. qui m’informe de la gravité de la situation et qu’il n’y aura sans doute plus de shinkansen aujourd’hui, qu’il vaut mieux que je rentre à la maison, ce que je fais après quelques courses au supermarché Seijo Ishii de la gare, mieux achalandé que celui de notre quartier.
Plus tard, plutôt par skype parce que le téléphone passe mal, nous échangeons des informations : les secousses continuent à Tokyo, répliques moins fortes mais qui sont comme les tremblements de terre normaux, les transports en commun tous interrompus, les vidéos du tremblement de terre à Tokyo et les premières images de tsunami, un courrier de l’Institut qui prévient de la fermeture pour le week-end et de l’annulation des cours, T. va héberger pour la nuit une amie de l’Institut qui ne peut pas rentrer chez elle, le courrier d’Alex coincé à la gare de Tokyo et qui ne peut pas rentrer à Morioka, les premiers mails, tweetos et messages Facebook d’inquiétude des amis et de la famille… Plus tard encore, je suis rassuré par l’image de T. et K. ensemble dans le petit appartement de Tokyo, il y a des répliques mais moins fortes, et à deux elles peuvent se soutenir, au moral comme au physique. J’ai réussi à téléphoner à Alex, qui bénéficie d’un sofa dans un hall d’hôtel, d’un personnel attentif dans cette situation de catastrophe, qui préfère donc rester où il est plutôt que de prendre le risque de recevoir un pan de mur en essayant d’arriver chez nous en pleine nuit. Bon, je vais me coucher, partiellement habillé, à côté de l’ordinateur en marche et de la session skype au vert.

Publié dans le JLR

5 réponses à “Séismes en chaîne”

  1. grapheus tis dit :

    Attentif !

  2. ArD dit :

    Trois jours qu’on pense à vous et qu’on vient chercher des nouvelles. Ici.

  3. brigetoun dit :

    une amie à Tokyo sous la table aussi et saine et sauve – et vos nouvelles – ouf

  4. christine dit :

    nous sommes de tout coeur avec vous, et j’en profite pour découvrir la géographie du Japon en me demandant si Nagoya est hors de portée de la radioactivité …
    en tout cas tu aurais du t’abstenir de déclencher cette apocalypse en prononçant ta première conférence en japonais, Patrick !

  5. Régine Blaig dit :

    J’essaie vainement de vous joindre. Les mails me reviennent et le téléphone ne passe pas. Vous avez peut-être changé de n°. Je vous embrasse très affectueusemnt. Donnez de vos nouvelles
    Régine