J’écris des platitudes

vendredi 3 juin 2011, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Après une courte matinée de travail (courrier et mazarinades), je rejoins T. au restaurant Azzurri, dans une ruelle adjacente de la Kagurazaka et qui, avec le Saint-Martin, forme notre alternative hebdomadaire de qualité et de convivialité. Les pâtes y sont excellentes, les sauces originalement travaillées, le plat principal consistant, différent chaque jour, et le service souriant et diligent, toujours ouvert à un bout de conversation. Ceci n’est pas une publicité officielle.
Puis j’accompagne T. au Mitsukoshi de Nihombashi pour aller sur le toit voir les roses.  Elle y veut de l’engrais. J’en rapporte un petit pot de basilic à faire pousser moi-même. L’année étant particulièrement pluvieuse, T. s’est également acheté des bottes en caoutchouc.

Plus tard, je rejoins à l’hôtel Edoya, entre Ochanomizu et Ueno, nos deux amies de retour de Naoshima, après Kyoto et Hiroshima où elles sont allées sans nous avec leur Rail Pass. Nous allons à pied jusqu’à Ueno pour acheter les billets de Skyliner qu’elles prendront aux aurores pour l’aéroport. Déambulons un moment dans ce quartier nuitamment consacré au trafic de l’alcool pas cher et des jeunes chairs féminines. Il semble qu’on n’y connaît pas les restrictions d’électricité. Puis dînons dans un restaurant très animé, très enfumé mais pas trop mauvais, surtout les yakitoris  (brochettes de différentes parties de poulet) et les yaki-onigiris (boules de riz parfumé grillées). Après ce que nous avons mangé ensemble dans les provinces de Wakayama et d’Ise, il devient difficile, pour elles aussi, de revenir à l’ordinaire de Tokyo, a fortiori de Paris…
On ne traîne pas trop, quand même. Mes baroudeuses sont certes bronzées, mais un peu fatiguées aussi. Le poids des bagages montés et descendus des trains n’y est sans doute pas pour rien. Et il faut qu’elles rembarquent tout demain, très tôt.

On me dit parfois que j’écris des platitudes et que je fais des citations sans explication et sans rapport avec le reste. Voici ma réponse en quatre points :

  1. Personne n’est obligé de me lire et le web est assez vaste pour y trouver autre chose (ça doit être la cinquantième fois que j’écris ça…).
  2. Mes « platitudes » ont au moins l’avantage d’être gratuites, à la différence de celles qu’on trouve dans tant de livres dont on se demande même comment leur éditeur a pu avoir l’idée de les publier.
  3. Si l’on n’a pas assez d’acuité intellectuelle et littéraire pour apercevoir les relations entre mes textes et les citations d’auteur, ou si l’on juge ces liens trop ténus ou artificiels, il vaut mieux, en effet, aller voir ailleurs.
  4. Enfin, si l’on revient malgré tout à ces pages, outre les cas de masochisme patent, c’est peut-être que s’y trouve quand même un peu ce qu’on n’y veut pas voir : de la littérature.

* *
*

« Je pénètre de nouveau dans la pièce pour m’excuser, range la lettre dans ma poche. Blanqui est assis au même endroit, se lève aussitôt qu’il me reconnaît, surpris, ai-je oublié quelque chose ? un stylo ? Ses yeux palpitent. Le curseur de l’écran du bureau tout de suite à ma gauche bondit de case en case en clignotant à toute vitesse ; la barre des menus panique. L’énorme poitrine de l’employée écrase le clavier qu’elle surplombe de son gros bras afin d’entreposer son gobelet entre des câbles et des dossiers, là-bas, au milieu de son bureau afin de ne pas risquer de renverser son liquide. Ce sont des formulaires entiers qui s’emplissent de noms improbables et qu’il faudra ventiler sans doute.
— On vient de se parler ? tique-t-il.
Il est petit avec un grand buste et, les doigts ouverts de la main droite posés en structure de tente indienne sur le bureau, se demande.
Je produis une carte de visite. » (Alain Sevestre, Manuel de l’innocent, p. 160)

 

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14 réponses à “J’écris des platitudes”

  1. brigetoun dit :

    je vous en prie continuez comme ça (et le plus souvent possible)

  2. yves deligne dit :

    « Il est petit avec un grand buste et, les doigts ouverts de la main droite posés en structure de tente indienne sur le bureau, se demande. » Il y a quelque chose qui cloche dans cette phrase. Quant aux platitudes, ne vous inquiétez pas : vous êtes parfaitement dans la norme bloggosphérique francophone, et même au-delà, si l’on tient compte de la plupart des publications contemporaines étiquetées sous le label « Littérature ».

  3. christine dit :

    on en veut encore (et plus souvent (je sais, je suis mal placée pour exiger!)) de tes platitudes

  4. Berlol dit :

    Merci de vos encouragements !
    Yves, je viens de vérifier, c’est bien le texte correct. Syntaxiquement, il n’y a pas de problème. Pour l’usage, le fait que le verbe « se demander » n’ait pas de complément, correspond à l’attitude suspendue et elliptique de la personne décrite. Et comme cette personne n’avait été vue précédemment qu’assise, le narrateur constate à la fois sa petite taille et son attitude de questionnement vaguement inquiet… Alain Sevestre propose souvent ce genre de travail stylistique et rythmique qui décale l’usage.

  5. yves deligne dit :

    Merci pour la réponse et ces précisions, Berlol. J’y avais pensé sans trop y croire. Il faut dire que je découvre ici Alain Sevestre dont j’ignore tout. Je dois dire que j’ai très peu penchant pour des auteurs qui me font trébucher volontairement en parsemant leurs textes d’effets stylistiques incongrus ou « décalés » comme autant de mines anti-personnelles. Dans ce cas, je préfère encore lire des auteurs au style raplapla, dont le bouquin me tombera des mains dès la cinquième page, mais sans provoquer de dégâts sur la fragile conception que je me fais de la syntaxe « correcte », celle que j’ai déjà bien trop de mal à utiliser quand je tente de me faire entendre par écrit.

  6. karl dit :

    Les banalités sont douces et puis au final nous écrivons tous des banalités pour quelques personnes.

    En revanche, les commentaires sont au complet dans le feed, mais pas les billets. Avoir les billets au complet permettrait de mieux suivre et éventuellement participer. 🙂

    Pas une obligation, juste un désir.

  7. PhA dit :

    Cette phrase m’avait retenu aussi – mais pas pour son éventuelle incorrection.
    On peut faire de belles choses avec des platitudes.

  8. Berlol dit :

    Yves, ça serait dommage d’aller chercher du raplapla quand on peut avoir du Sevestre ! Essayez un de ses livres, par exemple.

    Philippe, pour les platitudes, je parlais de moi, pas de Sevestre… 😉

    Karl, j’ai bien réfléchi à cela et je préfère qu’il y ait quand même le geste de venir ici pour avoir le billet complet plutôt que dans l’inconfort du feed… Et puis, je ne poste pas tant de billets que ça…

  9. PhA dit :

    En fait c’était un commentaire complètement égocentrique : j’essayais juste de me convaincre !

  10. yves deligne dit :

    Le raplapla ne ne plaît pas non plus. Pour éviter de perdre mon temps, je ne lis que des valeurs sûres, des écrivains qui sont entrés depuis longtemps au panthéon de la littérature. Avec une prédilection pour les traductions d’écrivains de langues allemande et russe. Malheureusement, très peu de francophones. La seule francophone vivante que j’ai pu lire au cours de ces dernières années, c’est Catherine Mavrikakis. Pourtant, les extraits de Alain Sevestre, cité sur ce blog, me laissent penser qu’Alain Sevestre doit tout de même pouvoir se lire. Bien à vous.

  11. karl dit :

    Aucune polémique dans le commentaire suivant, précaution pour éviter le dérapage.

    L’expression « l’inconfort du feed » m’a donné un sourire, car mon lecteur de feed (NetNewsWire) est justement plus « confortable » que le Web pour plusieurs raisons.

    Je télécharge et lis donc de manière asynchrone quand je suis hors-réseau par exemple.

    J’ai créé une feuille de style personnelle pour NetNewsWire afin de lire avec la police de caractères, l’interligne, etc de mon choix.

    L’ironie c’est qu’il m’arrive de préférer lire parfois mon propre carnet dans le lecteur de feed que sur le Web. 🙂

    Cependant je respecte le choix.

  12. Berlol dit :

    @Yves : Il faut remonter loin pour voir l’arrivée d’Alain Sevestre dans ces pages, et vous ne serez pas le premier à qui je l’aurai fait lire ! De là à ce que ça vous plaise… Vous nous direz.
    @Karl : C’est vrai que les lecteurs de flux ont fait beaucoup de progrès en qualité de mise en page, ce qui était leur principal défaut (quand ils ne déformaient pas les typos, françaises ou asiatiques notamment). Mais comme je ne sais pas si tous les agrégateurs en sont au même point… Qu’en pensez-vous ? Si l’évolution graphique était partout la même, plus ou moins, je pourrais voir à libérer le flux…

  13. karl dit :

    Généralement, laisser le choix aux lecteurs. Le contrôle est souvent une illusion qui nous rassure. Un peu comme un auteur qui trouverait scandaleux que l’on écrive des notes dans la marche ou que l’on corne les pages, etc.

    Si la qualité du « lecteur » n’est pas bonne, les gens viendront de toutes façons sur le site.

  14. Dominique Quélen dit :

    « Manuel de l’innocent », ah l’excellent roman ! Il ne me semble pas – après lecture d’une demi-douzaine de ses livres – qu’il y ait chez Alain Sevestre autre chose qu’un usage très précis, et même scrupuleux, de la langue, dont le degré de correction ne se mesure pas seulement à l’aune de la grammaire scolaire (et je parle en tant que prof) mais aussi à celle de sa cohérence stylistique. La platitude de nombre d’écrivains (français mais pas seulement) résulte souvent de leur parfaite et naïve inattention au matériau qui est le leur.