Mitigé comme un rendez-vous raté

dimanche 3 juin 2012, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Rangeant des livres, forcément j’en ouvre.

Un que j’ouvre dans sa réédition récemment reçue, et je me rappelle. L’avoir lu. Il y a longtemps, avant d’être à l’Est. Qui m’avait laissé un souvenir mitigé comme un rendez-vous raté. À l’époque, j’allais en cours, j’essayais de me faire ma propre idée, le Nouveau roman, le Surréalisme, le Symbolisme, Rimbaud, Flaubert, Zola, Vallès, Mirbeau, Lautréamont, Saussure, Derrida, Marin, Genette, Greimas, le militantisme, la Résistance, la Nouvelle vague, Mai 68, je ne me disais pas que je voulais comprendre telle ou telle chose mais pouvoir m’orienter dans tout cet amalgame du temps présent, ces messages contradictoires, les sincères et les postures.

Et si j’en relisais quelques pages, me dis-je…

« Je défie quiconque de me prouver qu’il en va aujourd’hui différemment de l’existence de l’art, alors que l’idée de culture réduite à l’état de chiffon sert à éponger les incontinentes manifestations de la plus indigente esthétique du quotidien. Sans oublier que la diffusion de cette culture tous usages a aussi pour fonction de masquer les mécanismes élitaires du domaine jalousement clos de ceux qui prétendent penser. Même si certains de leurs vicaires, avides de se frotter au succès, semblent en transgresser les frontières par un savant système de ponts, d’échangeurs et de bretelles. Rien de plus trompeur : l’artifice est le fondement de cet art retranché, de sorte qu’il suffit de s’en réclamer pour agir en toute impunité. La mode, je dirais même la règle, y est de se contredire régulièrement, plutôt que de jamais s’interroger sur le poids des mots ou des formes. Je ne m’aventurerais pas à donner des noms, tant les théories de la littérature, de la peinture, constituées en mondes autonomes, ont d’adeptes, sinon de dévots. » (Annie Le Brun, Appel d’air, Verdier 2011 [rééd. de 1988], coll. Poche, p.20)

Or je retrouve intact le malaise. Il y a la vitesse, la certitude, le lapidaire d’une corde raide, mais à terre ; l’énergie, la terreur d’un obus, mais vide, sans charge. Les moulinets du jonglage, mais sans les quilles. C’est un discours souvent juste dans son contenu mais qui se barricade dans le mépris que sa certitude lui inspire, et qui se diffuse sur une fréquence inaudible, solitaire. Quelque chose de bravache et qui ne perçoit pas son ridicule.
Ni l’université ni la réflexion théorique ne sont ni n’étaient ces « mondes autonomes » qu’elle dénonce. Il fallait déjà être en orbite pour voir tout de si loin, refuser de s’y « aventurer ». D’où, même si Annie Le Brun a souvent raison, l’injustice de l’emporte-pièce et la raréfaction, dès les années 80, du crédit historique qui lui avait été accordé vingt ans plus tôt…

Aujourd’hui, je n’ai pas le temps de continuer, je suis fatigué, j’ai beaucoup marché dans des quartiers de Tokyo, Roppongi, Toranomon, Shimbashi, Ginza. C’est une des rares périodes de l’année qui le permette. On verra demain, la nuit porte conseil.

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Publié dans le JLR

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