Où en est le politique

vendredi 22 juin 2012, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Grosse journée de lectures frondistes. Aujourd’hui, être pour ou contre Mazarin n’a plus de sens. Mais il faut s’efforcer d’entrer dans le discours, dans la tête presque, de ses contemporains. Vivre virtuellement leur vie. La forte pluie nocturne et matinale m’a dissuadé d’aller à ce colloque de la Maison Franco-Japonaise, à l’autre bout de Tokyo. À moins que finalement je n’aie plus eu envie d’entendre parler de Politique, savoirs et démocratie dans la société nucléaire après le 11 mars 2011… et me concentrer sur mon travail, là où je suis utile. Parce que je suis déjà gavé d’informations de sources multiples et en différentes langues sur Fukushima1 avant, pendant et après, je doute qu’il puisse réellement y avoir du nouveau dans ce colloque, autre chose que des comptes rendus d’actions salvatrices mais insuffisantes, des rabâchages techniques à risques minorés pour les pro-nucléaires et majorés pour les antis, des projections de l’avenir noir colorées en rose et en vert. « Démocratie », ce serait s’il n’y avait pas de secret d’État sur les risques et les coûts du nucléaire. Face au pouvoir et à l’omerta du lobby nucléaire, « démocratie » est le nom radieux de la mystification. Et dans ce titre, pourquoi « savoirs » est au pluriel et « politique » au singulier ? Si ce n’est pour nous murmurer dans le crâne que des politiques, il n’y en a qu’une seule de possible, la leur, celle de ceux qui prennent le mot au masculin singulier : « Où en est le politique après la catastrophe »… Où il en est, le politique ? Je crains qu’il n’ait guère bougé, le politique. Il gère sa boutique et ça va lui coûter de plus en plus cher, mais il n’en démordra pas, c’est une question… d’amour-propre – bien salement placé, ce dont La Rochefoucauld nous avait bien prévenus.
Il est possible que dans trois siècles les lectures sur la société nucléaire d’aujourd’hui – ou sur la Révolution des hortensias – soient rébarbatives, stupides, de peu d’intérêt, et que des chercheurs trouvent ces querelles moins intéressantes que celles du 17e siècle. C’est presque souhaitable, cela voudrait dire qu’il y aura encore quelqu’un dans trois siècles.

« Loin des moiteurs grisâtres du delta, dans la lumière dorée des soirs, les explorateurs font une longue halte auprès du roi de Luang Prabang.
Ils profitent du merveilleux équilibre du climat, entre la chaleur assommante de Saigon et les neiges qui les attendent au Yunnan. Garnier continue de remplir ses cahiers. « Notre botaniste retrouva pour la première fois des pêchers, des pruniers, des lauriers-roses. Nous entrions dans une zone plus tempérée, où les fruits et les arbustes de l’Asie centrale peuvent croître et se développer. » Pensent-ils un instant qu’ils pourraient ici déserter ? Arrêter leur progression ? Garnier et Lagrée enquêtent sur la mort de Mouhot sept ans plus tôt. On leur indique un lieu au bord de la rivière. Ils élèvent là un monument, rendent les honneurs. Aucun voyageur n’est allé au-delà de ce point dont ils font leur kilomètre zéro. Ils préparent leur départ pour la Chine, allègent leur bagage afin de poursuivre l’expédition par voie de terre. « Nous fîmes un second lot de hardes, de munitions et d’objets d’échange, qui devait rester à Luang Prabang, et devenir la propriété du roi, si au bout d’un an nous n’étions pas revenus dans cette ville. »
Ils ne reviendront jamais. En rêve sans doute. Ils se souviendront qu’existe quelque part le paradis de Luang Prabang. Partout dans le monde, les survivants éparpillés, à la tombée du jour, chaque soir, ceux-là qui ont connu Luang Prabang, répéteront à voix basse le nom de la ville, sauront que d’autres sont ce soir à Luang Prabang, voient les forêts sur les collines bleues qui se couvrent de brume, se teintent de rose, pendant que le fleuve et les pagodes s’embrasent, se vêtent d’or et de pourpre, de vert bronze, que d’autres voient les pirogues comme des phasmes au milieu de leur vague d’étrave. Ils se souviendront à l’aube du chant des coqs encagés dans les grandes nacelles de bambou. » (Patrick Deville, Kampuchéa, p. 162-163)

Notes ________________
  1. Dernier texte en date à lire attentivement : Une pétrification foudroyante, par Michel Tibon-Cornillot, EHESS. []

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