N’en voir que l’aspect tirelire

lundi 25 juin 2012, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

On a parfois des surprises en écoutant la radio. Avec le retard que j’ai dans l’écoute de France Culture, ce n’est que ce matin que j’ai entendu le Du jour au lendemain du 8 juin avec Sylvie Gracia. Connaissant de nom la personne, je me dis que ça ne peut pas ne pas être intéressant, à propos de ses livres ou de l’édition, puisqu’elle s’occupe d’une collection au Rouergue. De plus, nous sommes des « amis inconnus », comme elle dit, par Facebook depuis pas mal de temps, et je suis impardonnable de ne pas avoir vu ses récents envois où il était justement question de ce Livre des visages. Comme quoi, deux sources d’information valent mieux qu’une…
C’est là que j’entends, donc, qu’il sera question de Facebook et de comment quelqu’un du monde de l’édition est devenu accro à ce réseau social et a su en faire un nouveau support littéraire. Tudieu ! Moi qui, comme quelques autres, ai pesté depuis dix ans à voir comment le monde de l’édition ne savait pas prendre le tournant du numérique, sinon pour n’en voir que l’aspect tirelire, j’en reste comme deux ronds de flan (si, si, ça existe, cette expression). C’est au moins aussi surprenant que d’avoir vu Alain Veinstein débouler sur Twitter il y a peu de semaines… Lisez donc.

« […] vraiment de façon directe, naïve, sans présupposés particuliers, sans envie particulière et puis tout d’un coup je me suis retrouvée en train de poster comme tout le monde des photos de ma vie, ce que font à peu près tous les usagers de Facebook […]
– J’ai commencé à légender ces photos et puis en fait au bout de quinze jours ce n’était plus simplement des légendes mais c’était des textes de plusieurs milliers de signes, qui venaient légender les images, et puis tout d’un coup je me suis trouvée dans une véritable pratique d’écriture, et dans une véritable addiction par rapport à cette pratique […]
– Et je suis très heureuse de ce livre, parce que ce livre m’a procuré énormément de plaisir à l’écriture, et que ça forme un livre tel qu’il est aujourd’hui, d’une certaine manière c’est une concession que je fais à quelque chose que j’ai aujourd’hui quasiment abandonné, je dis ça, ce qui est une aberration puisque je vis des livres puisque je suis éditrice par ailleurs, donc je produis des livres tous les jours en permanence, et pourtant je dis dans cette écriture-là du Livre des visages, je m’étais évadée, échappée de tout ça et avec un très grand plaisir, et que d’une certaine manière avoir voulu aller au bout d’un moment me dire que j’étais quand même dans un projet qui pouvait aboutir à un livre, je l’ai fait mais parfois je me dis pour m’amuser que c’est mon dernier livre… papier. […]
– Très rapidement, je me suis rendu compte [de] l’enjeu dans cette écriture au jour le jour qui était envoyée sur le réseau, j’étais dans la vérité même de l’émotion, et je l’écrivais au moment où je la percevais […]
– C’est écrit à chaud, en direct, sans protection, c’est-à-dire qu’une fois écrit, j’écrivais très rapidement, au plus tard deux jours après « l’événement », on va dire, entre guillemets, et que c’était aussi envoyé immédiatement […] » (Sylvie Gracia, Du jour au lendemain du 8 juin 2012.)

Mordieu ! Et dire que ça fait près de neuf ans que je blogue, et environ dix-sept ans que je publie des pages web  pour les mêmes raisons : pouvoir écrire ce que je veux (que ce soit bon ou mauvais est un autre sujet) et être lu directement, sans attendre l’accord d’un éditeur, la composition, la distribution d’un livre. Et que je suis loin, très loin d’être le seul dans ce cas… Mais je ne me moque pas de Sylvie Gracia, je ne me permettrais pas. Sa « naïveté en ce domaine », on va dire, entre guillemets, est touchante et visiblement sincère. C’est un témoignage de pratiques devenues ou devenant ordinaires, quotidiennes et qui sont parvenues ou sont en train de parvenir à pénétrer même les couches les plus résistantes de la société, celles qui pensaient (et qui pensent encore) être ennemies du numérique, dont notamment l’édition littéraire. Il est toutefois dommage que cela se fasse par des réseaux sociaux qui, s’ils ont une réelle puissance de diffusion, n’en sont pas moins des médias pauvres en qualité (mise en page, enrichissement des caractères, etc.) et à l’avenir douteux par bien des points : absence de propriété littéraire ou morale des textes pour les auteurs, utilisation statistique par des groupes commerciaux ou politiques, possibilités d’effacement ou de censure… D’où le retour au livre, ce Livre des visages, qui est aussi un moyen – et pas naïf, celui-là – de se réapproprier avec raison ce que le réseau social garde pour lui.

Quant à l’arrivée de Veinstein sur Twitter, c’est aussi une surprise. Je me souviens l’avoir croisé dans les allées d’un Salon du livre de Paris, il y a une dizaine d’années peut-être, j’écoutais déjà son émission depuis longtemps, et je lui avais dit que je l’écoutais du Japon, que j’avais moi-même une activité littéraire d’enseignement et d’écriture… dans un site perso. Il avait marqué de l’intérêt, comme ça en passant, pour un inconnu, c’est normal, mais avait tiqué sur les derniers mots, site web, internet, et tout ça, à quoi il avait alors une aversion visible. Et compréhensible. François Bon, qui a une voix autrement audible que la mienne dans le monde littéraire, a lui aussi répété des millions de fois qu’il fallait y aller, dans l’internet, les auteurs, les universitaires, les éditeurs, les journalistes, pour faire que l’internet soit précisément ce que l’on veut qu’il soit, et non ce que des commerçants, des commerciaux et des médias bas de gamme en ont fait – parce qu’il est un peu tard. Mais jamais trop tard, dit-on, poliment.

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Publié dans le JLR

2 réponses à “N’en voir que l’aspect tirelire”

  1. F dit :

    je vois pas trop ce que je viens faire dans tes couloirs, mais au moins ça veut dire un petit salut amical donc tant mieux – Sylvie G est de l’aventure remue.net depuis le début, bon indice de la marche lente de ceux de la banquise – en espérant, effectivement, qu’ils ne sont pas déjà sur une plaque dérivante, là où on tente, pieds et mains gelés et harnachés du lourd traîneau, de progresser quand même lentement vers le pôle – quand à AV sur tw, je trouve qu’il s’en tire plutôt bien et que ses contenus évoluent vite eux aussi…

  2. Berlol dit :

    Oui oui, il s’en tire très bien, je suis d’accord.
    J’ai invoqué ton nom – et tu es apparu – parce que du domaine littéraire et éditorial qui soit aussi dans l’internet depuis le milieu des années 90, eh bien, je n’en connais guère d’autres…