Prélude au long-courrier

samedi 4 août 2012, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Opportune misère de l’olympisme pour les Français du Japon. Si vous regardez la télévision japonaise, il n’y est question que des sportifs japonais, ce qui, malgré leurs prouesses, est quelque peu limité… Par exemple, vous voyez un nageur au drapeau vert et jaune arriver en premier et battre un record du monde, « WR » est écrit, mais les commentateurs hurlent de bonheur pour la troisième place du nageur japonais, sans rien dire des deux nageurs plus rapides… Et si vous prenez des médias français, TV5 Monde, les journaux des chaînes nationales en ligne, France 24, vous n’aurez que quelques photos, interviews des sportifs, vidéos de compétitions antérieures pour illustrer les compétitions à venir, commentaires parlés qui évitent de parler de l’absence de vidéo des compétitions elles-mêmes. La prétendue universalité gratuite de l’idéal olympique n’est plus que le discours cosmétique d’une privatisation juteuse (voir article ci-bas) pour (gaver des) pigeons câblés et chauvins. Et la nouvelle garantie de notre calme.

Du coup, je me replonge dans la radio, et les émissions délaissées depuis quelques jours. Très instructif Tire ta langue du 15 juillet avec Salah Guemriche sur les mots d’origine arabe en français. Déboussolante – c’est le cas de le dire – pièce de Pierre Meunier, Cul par-dessus tête, dans l’Atelier Fiction du 11 juillet, prélude au long-courrier qui m’attend. Délicieux, encore, Atelier Fiction du 18 juillet avec Le Migrants (sic), Métamorphoses d’Emmanuel Moses, où il est beaucoup question d’arbres et de voyages… Ce qui me rappelle la lecture à continuer de Dominique Meens, maintenant que je suis débarrassé des examens et des corrections, et le plaisir de ses propos ornithologiques, parfois parodiques.

Pas mal de temps passé aussi dans des pages web de magasins de meubles… Acheter un lit à distance avec livraison le jour de notre arrivée en France n’est pas chose aisée ; mais pas aisé non plus d’arriver dans un appartement dont on sait le lit très inconfortable alors que les magasins vont demander plusieurs semaines avant livraison… Dilemme qui m’a amené à envoyer des courriels à des magasins qui ne répondent pas (depuis plus d’une semaine), et finalement à passer commande par Amazon dont la médiation est plus sérieuse et le courrier garanti. Le voyageur veut se poser mais pas se faire pigeonner. À suivre…

« Le biaiseux nous est représenté d’une manière à ne pouvoir s’y méprendre, par ceux de nos naïfs fuyards qui désertent nos banlieues, et prennent l’habitude de se perdre dans les squares et les parcs ; c’est la première et la plus forte nuance de leur retour à l’état de nature : ces naïfs, quoique élevés dans l’état de domesticité, quoiqu’en apparence accoutumés comme les autres à un domicile fixe, à des habitudes communes, quittent ce domicile, rompent toute société et vont s’établir dans les bois, ils retournent donc à leur état de nature, poussés par leur seul instinct. D’autres apparemment moins courageux, moins hardis, quoique également amoureux de leur liberté, fuient de nos banlieues pour aller habiter solitairement quelque trou, ou bien en petit nombre se réfugient dans un hameau peu fréquenté ; et malgré les dangers, la disette et la solitude de ces lieux où ils manquent de tout, où ils sont exposés à la disette, aux racistes, à la flicaille, au qu’en-dira-t-on, et où ils sont forcés de subvenir en tous temps à leurs besoins par leur seule industrie ; ils restent néanmoins constamment dans ces habitations incommodes, et les préfèrent pour toujours à leur premier domicile, où cependant ils sont nés, où ils ont été élevés, où tous les exemples de la société auraient dû les retenir […] » (Dominique Meens, Aujourd’hui tome 2, p. 114-115.)

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=xseBUCRtLmQ[/youtube]

Pour mémoire :1

Jeux olympiques : « Non aux dépenses pharaoniques du sport-spectacle »

Par Pierre Guerlain (professeur à l’université Paris-Ouest-Nanterre), Le Monde, 2 août 2012.

Je me sens assiégé par les reportages et enthousiasmes médiatiques sur les Jeux olympiques (JO), que je n’aime pas. Il semble qu’il y ait consensus pour suivre cette compétition mondiale mais, en France, on n’entend pas beaucoup les voix critiques des JO. François Hollande vient même de déclarer depuis Londres qu’il était favorable à une nouvelle candidature de Paris pour les JO de 2024. L’hyper-manifestation sportive est pourtant encadrée par un formidable déploiement policier et militaire, la Grande-Bretagne, déjà championne du monde de la vidéo-surveillance, en rajoute une couche orwellienne. Gigantisme militarisé de l’amusement.
Les contribuables du monde entier financent le sport dit de haut niveau au détriment d’investissements pour aider pauvres, chômeurs, mal-logés, mal-payés. Partout dans le monde le chauvinisme devient licite lorsqu’il s’agit de parler des médailles. On suit « nos » athlètes et leurs chances de médailles, leur gain d’un dixième de seconde dans telle ou telle course. L’infantilisme généralisé est encouragé par des préoccupations puériles portant, par exemple, sur le fait de courir le 100 mètres en 9 secondes 20 ou en 9 secondes 30.
La drogue circule dans tous les sports, pas seulement en Chine ou en Espagne, dans le cyclisme ou la natation. La chimie et la chimie du nationalisme dopent des performances qui n’ont aucun intérêt sinon celui d’assurer les profits de marchands de stades, de drogues, d’appareils sportifs, de boissons énergisantes ainsi que le prestige supposé des nations.
Les Romains avaient leurs panem et circenses (« pain et jeux du cirque ») ; nous avons de plus en plus de « circenses » et, pour beaucoup, de moins en moins de« panem » ; selon le mot d’un sociologue américain, Neil Postman, nous nous amusons à en mourir : les JO consacrent l’alliance des spectacles, sport et télévision, ils occupent le temps disponible de cerveaux qui ne pensent pas en termes politiques. La drogue du sport et des JO n’est pas que celle qui gonfle les muscles des athlètes-gladiateurs, mais c’est aussi la drogue télévisuelle et compétitive qui envahit les cervelles des spectateurs nationalistes.
Les JO ne sont que la forme exacerbée et mondialisée du triomphe de la société du spectacle décrite par Guy Debord. Ils représentent un gâchis de ressources extraordinaire, comme nombre de compétitions sportives. Le bilan carbone de ces jeux est catastrophique, il en est de même pour l’impact général sur l’environnement. Les JO favorisent en outre les investissements dans des secteurs qui promeuvent l’inégalité.
De la même manière que les contribuables ordinaires financent les plus riches bénéficiant de paquets fiscaux, les gens modestes paient les revenus exorbitants de sportifs-divas qui assurent le spectacle (et qui s’avèrent parfois décevants, comme les footballeurs capricieux). Les contribuables paient donc pour de gigantesques installations qu’ils n’utiliseront jamais. Combien de stades de banlieue, de foyers communautaires, d’écoles ou de centres aérés pourraient être construits avec cette manne déversée sur une toute petite minorité ?
Les JO placent la compétition au centre des valeurs, là où la solidarité et la coopération seraient les bienvenues. Certes, le sport en général et les JO en particulier sont populaires, ils sont l’opium du peuple de nos sociétés, mais qui fourgue cet opium ? Pourquoi ne traque-t-on pas les dealers de cette substance toxique ?
L’anti-intellectualisme nationaliste qui fleurit est une aubaine pour les pouvoirs économiques : pendant la communion autour du sport et de « nos » athlètes, la rébellion est étouffée. « L’homme révolté » de Camus s’endort au son de La Marseillaise, est bercé par les voix enflammées des reporters sportifs qui savent bien allier vacuité idiote, nationalisme exacerbé et enthousiasme de pacotille. La cruauté de la compétition est gommée par les discours sur la beauté du sport et les qualités psychologiques et physiques exceptionnelles que les champions doivent posséder.
La relégation sociale dans les banlieues est dissoute dans l’admiration pour « nos » sportifs issus des minorités soudain promus gloires nationales protégées du racisme. L’idéologie de la compétition généralisée, si chère à nos dirigeants et penseurs néolibéraux, fait une percée extraordinaire durant les JO : même les critiques se rallient à l’idéal de la compétition non faussée. Le sport et son armada de thuriféraires médiatiques réussissent à tuer dans la ouate les velléités de révolte.
Les JO n’ont rien à voir avec une pratique sportive saine qui n’est pas compétitive et ne nécessite pas d’investissements pharaoniques. Le bien-être de tous ne passe pas par le gain d’un dixième de seconde, l’ingurgitation de drogues ou le désir d’écraser l’autre, surtout s’il ou elle est de nationalité différente.
Les JO nous renvoient une image hideuse de notre société mais la laideur est rendue socialement acceptable par la magie médiatico-sportive. Regardons les visages torturés et durs des athlètes, ils sont notre vérité dans la compétition. Nationalistes hargneux, sans tendresse, méchants, oublieux des déshérités, aveuglés sur notre propre situation, aliénés dans le culte des héros du jour, fondus dans une masse qui regarde mais ne fait pas, passifs et dépouillés par les investisseurs de la société des jeux du cirque. Une catastrophe éthique devient un beau succès idéologique.
Le sport lui-même est tué par la compétition. Il ne faut pas croire que nous sortons indemnes de la cocaïne médiatique des JO, notre accoutumance est incapacitante et nous la payons cher, au sens propre comme au sens figuré.

Notes ________________
  1. Il y avait bien longtemps que je n’avais copié un article du Monde ici pour mémoire mais celui-ci vaut nettement ce traitement de faveur… []

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Publié dans le JLR

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