Le nouveau Graal au détriment

mercredi 16 janvier 2013, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

C’était il y a plus d’un mois. Depuis je suis passé à d’autres lectures. Mais je ne laisse pas tomber mon intention de commenter, surtout s’il peut y avoir du répondant – ce qui est de moins en moins le cas en ligne puisque la recherche de la notoriété est devenue le nouveau Graal au détriment du contenu, comme le souligne bien François Bon dans un récent billet.1
J’avais cité positivement quelques passages du Casse de Daniel Foucard et j’en attendais du plaisir et de la surprise. Au lieu de cela, une légère réticence des premières pages s’est confirmée, puis accentuée : ce casse présenté comme une œuvre d’art est bien une croûte littéraire sans intérêt et son déroulé épistolaire est d’un artifice qui frise le ridicule, que ce soit par la répétition des « Mon cher Li » ou les considérations sous-philosophiques des PS. Le twist lui-même, puisque Foucard revendique ce terme et s’en glorifie, n’a rien fait frémir dans la construction mentale que je m’étais faite de la diégèse :

« Ce jeu commence à me saouler, je n’arrive plus à me concentrer.
Il est temps de passer à des aveux plus complets.
J’ai inventé beaucoup de personnages, beaucoup trop. J’ai cru bon de brouiller les pistes comme si t’égarer dans les méandres du récit me dédouanait d’avoir à coller à la réalité des faits. Je dois assumer pleinement mon rôle maintenant. » (Daniel Foucard, Casse, p. 132.)

« PS
Je reviens sur cette histoire de consolidation des droits.
chez nous, un débat houleux porte sur la question du mariage homosexuel.
Certains homosexuels se dissocient d’une telle revendication, trop calquée sur le système familial en vigueur
Il faudrait dire : sur le système patriarcal en vigueur.
Ce système tient sa force de toutes les lois l’ayant réglementé, imposé et consolidé.
Si certains homosexuels veulent s’octroyer à leur tour ces mêmes droits, c’est aussi pour imposer une règle de fait difficile à bouger sur un plan législatif.
Ils savent à quelle adversité ils se préparent, quels tradistes voudront s’occuper de la question.
Peu importe notre opinion sur le sujet.
Ce qui compte, c’est comprendre ce qui unit les luttes féministes aux luttes homosexuelles.
Pourquoi ils sont si pressés. » (Ibid., p. 134-135.)

Loin de la philosophie ou de la sociologie, on est, oui, dans la condescendance à l’intention d’un correspondant chinois qui aurait l’intention de comprendre la France. Et oui, vous avez vu ce mot bizarre, « tradistes », c’est un néologisme de l’auteur. Je n’ai rien contre la néologie, bien au contraire, n’est-ce pas ! Dans le cas présent, le narrateur épistolier découpe simplement le monde en trois catégories (voir les « PS » des pages 18-19, 21-22) : les « traders » qui restructurent et font bouger les lignes de tous les partages (à leur avantage), les « tradistes » qui freinent des quatre fers pour revenir à l’Ancien Régime (à leur avantage) – j’exagère à peine – et la masse informe de tous les autres qui ne vaut ni ne pense car « tradistes et traders préfèrent maintenant un niveau général faible » (p. 65) – ce qui n’est pas faux, par ailleurs.

voeux

Dans le billet précédent, il était question de « nos institutions ». Une de plus qui fout le camp, démissionne, c’est le fameux « service public » de la télévision. Exemple : après environ quatre ans de diffusion de Ce soir ou jamais de Frédéric Taddei dans le monde entier via la page web de l’émission, France 3 a décidé depuis environ trois mois de ne plus donner accès à l’émission à tous les ordinateurs qui sont en dehors du territoire français, sans doute compris comme un hexagone fortifié. L’arrière-garde territorialiste du monde – sûrement un coup des « tradistes » – a encore frappé sur un bureau ministériel qui a fait des vagues jusqu’ici…
Résultat, la belle expression idéaliste de « service public » n’a plus de sens.

En outre, la France qui se demande toujours comment – c’est leur mot, dans les ambassades – rayonner dans le monde à moindres frais se tire là une balle dans le pied car cette émission était de celles que les Français de l’étranger apprécient et qu’ils recommandaient volontiers à leur entourage autochtone. Bien sûr, des producteurs et des juristes – plutôt des « traders » alors – s’en sont mêlés, faisant valoir des putains de droits de putains d’ayant-droits bling-bling, comme d’habitude, et nous voilà gros Jean comme devant l’écran :

« Cette vidéo est inaccessible sur votre territoire pour des raisons de droits de diffusion concédés à France Télévisions […]. »

On nous – les ceusses qui regardent « depuis l’étranger » – redirige alors vers l’immonde portail Pluzz où l’on doit bien gentiment nous-mêmes choisir « depuis l’étranger » (comme si le programme ne reconnaissait pas notre adresse IP et que nous en faisions volontairement le choix) et où il apparaît alors que nous n’avons plus droit strictement qu’à des journaux d’informations : le pain sec de la télévision.

Avec Pluzz, vous avez moinzz qu’avant !

Deux des bonnes nouvelles du mois – il y en a – c’est : 1. le plaisir de travailler sur Rimbaud le fils de Pierre Michon pour le cours de littérature de l’Institut français du Japon à Tokyo (IFJT, nouvelle dénomination) et 2. la découverte de la série The Good Wife produite par les frères Scott (même s’il n’y a plus que Ridley) et dont la finesse psychologique m’envoûte littéralement.

Notes ________________
  1. Que je remercie de m’avoir cité sans commentaires, moi qui suis déjà parmi les fantômes historiques du web littéraire francophone… []

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Publié dans le JLR

2 réponses à “Le nouveau Graal au détriment”

  1. rose dit :

    « J’ai inventé beaucoup de personnages, beaucoup trop. J’ai cru bon de brouiller les pistes comme si t’égarer dans les méandres du récit me dédouanait d’avoir à coller à la réalité des faits. »
    brut de décoffrage : ça lui apprendra, c bien fait.

    Des problèmes de gros sous : on se devait d’augmenter la redevance télévisuelle de quatre euros cela rapportait cent millions d’euros. Cela ne suffisant pas, on a passé l’augmentation à 6 euros ce qui fait cent cinquante millions. Filipetti a dit au président de France Télévisions « je n’ai rien personnellement contre vous », ce qui me paraît d’évidence être la moindre des choses. Résultats : coupes drastiques. Tollé peu général.

  2. rose dit :

    pardon

    bonne année 2013 à vous & votre épouse