Journal LittéRéticulaire de Berlol
Version quotidienne ICI
Littéréticulaire : néol., adj. (de littéraire et réticulaire), propriété d'un texte où s'associent, aux valeurs traditionnelles et aux figures classiques du texte littéraire, les significations et effets de sens provoqués par les liens hypertextuels au sein d'un réseau (l'internet par exemple), qu'ils aient été voulus ou non par l'auteur.







Janvier 2006

<< . 1 . 2 . 3 . 4 . 5 . 6 . 7 . 8 . 9 . 10 . 11 . 12 . 13 . 14 . 15 . 16 . 17 . 18 . 19 . 20 . 21 . 22 . 23 . 24 . 25 . 26 . 27 . 28 . 29 . 30 . 31 . >>


Dimanche 1er janvier 2006. De vielles lunes qu'il vaudrait mieux crever.

Qu'il est lent
l'an qui commence
son blanc matin sans soleil
et sans coq
juste dans le lointain
un chien s'ébroue

Nos silences
l'absence d'un père
affleure le geste sans l'user
plaie sans dire
juste dans les agapes
un amer en écho


Sortie rituelle, histoire d'aller quelque part, jusqu'à l'Hôtel impérial, à Hibiya — mais en métro, l'absence de soleil rendant monotone la ballade. Sur plusieurs étages, les boutiques de luxe ou de semi-luxe sont ouvertes. Les fukubukuro (sacs-surprises) font la devanture, à tous les prix. Occasion d'un collier de perles baroques pour T., bon augure.

Nous regardions à la télévision une émission sur les engimono (縁起物, porte-bonheur) dans diverses provinces. Les rites ont au Japon une présence naturelle ; ils ne nécessitent même pas la croyance. Ils sont plutôt comme des petits gestes d'affection entre proches, voire entre inconnus.
Leur danger, cependant, est de laisser croire à leur suffisance pour vivre en société, laisser croire à la fatalité, et qu'il n'y a pas d'action politique requise de chacun, ni de conscience critique. Hosoki Kazuko, vieille peau ignare et réactionnaire que les chaînes de télé s'arrachent depuis des mois, incarne cette tendance techno-réactionnaire : elle dit la bonne aventure, sort des quatre-vérités à qui veut en entendre, féraille contre les nouvelles tendances, les femmes qui se veulent libres, etc. Elle distille surtout une obéissance à de vieilles lunes qu'il vaudrait mieux crever. Elle accompagne le droitisme nationaliste d'un Ishihara, maire gouverneur de Tokyo qui semble mettre lui aussi tout le monde dans sa poche. Ce n'est pas qu'il manque de gens pour mépriser ces personnes. C'est que même ceux qui les méprisent les respectent tout de même. Allez comprendre !

J'y reviendrai. À suivre...



Lundi 2 janvier 2006. Je ne fais pas les mêmes vœux à la ville et au monde.

« Il faut pourtant encore l'imaginer dégainant ses 'culés pour taxer tout ce qui bouge et ne bouge pas. D'ailleurs, il fouille l'appartement, lit la carte postale d'un certain Hoqwartselo, de passage à New York, qui embrasse Hélène et revient le 26, allume l'ordinateur, tape http://idolplanets.kitone.com/ sur Internet qui le conduit directement à l'adresse d'un site d'idoles japonaises, copie et colle quelques photos de jeunes femmes en bikini qu'il compose en mosaïque sur l'écran trop petit, cliquant sur Miyuki Fujimori ou sur Yuko Aoki pour la faire revenir en entier, se branlant tout en même temps difficilement, à mesure fermant l'une après l'autre les fenêtres pour ne conserver que Reiko Kato, en slip de bain vert, à gauche, et Reiko Kato, en maillot orange, à droite, dont la beauté simple, lointaine, céleste, familière, les poses moins provocantes que celles d'Eiko Koike, d'Otoha, de Yuri Kishi (bien qu'attachée), ou encore celles de Harumi Nemoto ou de Noriko Hamada, ne sabordent pas d'emblée l'espoir d'une rencontre.» (Alain Sevestre, Revolver, p. 95)

Lisant ces lignes, je ne pouvais pas ne pas les citer. Le JLR était fait pour elles (les lignes) ! D'abord parce que c'est la première fois que je trouve ainsi inséré dans un roman français chez Gallimard une adresse web pour des pages érotiques japonaises — que l'adresse soit valide ou non (elle ne l'est pas, ou plus), il y a un effet de réseau. Bravo pour cela ! Mais surtout pour avoir le plaisir de créer moi-même des liens, donnant ainsi au texte une dimension littéréticulaire (passant de l'effet à l'état), avec les couleurs en gras comme chez Phil...
C'est par ailleurs une épreuve de vérité pour le texte, car on peut en vérifier les assertions sur photo, voire douter du nom copié, comme dans le cas de Yuri Kishi... Ou être surpris, comme dans le cas de Noriko Hamada pour qui le premier lien photo est une affiche contre les essais nucléaires, en français, sur un site qui en contient des dizaines d'autres, ce qui nous renvoie aux débuts de la Chiraquie.
Aux grognons lecteurs ou aux grognones lectrices qui n'apprécieraient pas la performance littéréticulaire du jour, je sussurerai que pour ma part, du sexe ou de la guerre, je sais ce qui est condamnable...

Nous sommes dans les effets. Toute la littérature y est. Et dans des effets personnels avant tout, que l'on suppute reproductibles et partageables, ce que rien ne prouve. C'est l'aporie de la critique littéraire, même universitairement scientifique (rires). Avançant aussi dans Trois Jours chez ma mère, la fluidité weyergansienne assouplit quelque peu mon jugement temporaire. Je me suis rappelé que j'avais eu la même difficulté dans les premiers chapitres D'Amour de Danielle Sallenave (avant de m'y faire tout en sachant que ce n'est pas de la littérature comme je l'aime). Je m'en étais souvenu la semaine dernière mais n'avais pas osé l'écrire avant d'avoir suffisamment avancé pour savoir si cela servirait à quelque chose. Et la réponse est oui.
Il faut donc admettre qu'il y a un genre monologue relâché, qui peut ainsi se fixer des objectifs de biographie discontinue et digressive (il pourrait s'en fixer d'autres), et dont la principale caractéristique est de vouloir forcer la connivence du lecteur par un ton familier et par l'obligation de suivre le relâché sans y chercher d'ordre logique (il n'est pas caché, il n'y en a pas). Il ne s'agira pas alors d'un effet de réel, ni d'un effet de dramatisation, ni d'un effet de langage, mais d'un effet de familiarité (ton badin, bons mots faciles, sujets familiaux, mises en perspectives des vies des uns et des autres, commisération, aveux, etc.).
Cependant tout cela n'empêche pas que l'auteur veuille aller quelque part (et que son travail d'écriture de plusieurs années ait été précisément de créer ce genre, ce ton, ces sujets et objectifs à courte vue) — c'est-à-dire nous mener quelque part où nous n'imaginions pas aller, accompagnés de ce rideau de fumée opaque et empathique. Il y a là bien des choses qui me déplaisent, à commencer par la familiarité, ou qu'on me somme de m'apitoyer, ou de sourire à grand clins d'yeux appuyés, mais je suis piqué au vif de savoir où cela mènera. Et si ce n'est nulle part, ou nulle part d'intéressant, je le ferai savoir bruyamment...

Aujourd'hui, pluie fine et froide. Je ne mets pas le nez dehors. De son côté, T. a une ou deux courses à faire. Je prépare ma page de vœux et commence les envois de courriers, toujours individuels et renvoyant à la même page de vœux dont je ne donne pas l'adresse ici.
Car je ne fais pas les mêmes vœux à la ville et au monde, moi. (Et je dis cela, hi hi !, le jour du centenaire de l'ouverture des tabernacles, inventaire afférent à la loi de 1905 dite de séparation des Églises et de l'État...)
Distinguant de la sorte mes proches à qui je courrielle (presqu'à reculons, tant l'exercice prend de temps — et je ne suis pas le seul à qui ça pèse) de celles et ceux qui ne me connaissent que dans la sphère publique, notamment par les billets du JLR.
Demain, je sortirai.


Mardi 3 janvier 2006. Berlik berlok !

Un peu de temps en temps, je numérise des disques que j'aime bien pour en faire une musithèque transportable. La loi en préparation (malgré les revers comiques qu'essuie Donnedieu de Vabres) ne laisse pas de m'inquiéter, elle va bien dans le sens du tout payant, même l'air et le paysage. Le pire, c'est que des fabricants l'ont déjà devancée, de façon particulièrement basse, odieuse et ridicule à la fois — cela m'est arrivé en mettant dans le lecteur le cédé de MC Solaar, que j'écouterai donc moins, par conséquent — ce dont le fabricant et le vendeur se contrefoutent puisque je l'ai payé — mais l'artiste, lui, s'en fout-il ? — là est le bât.
La véritable avancée humaine que constitue chaque nouvelle personne qui aime Cléo de 5 à 7 est ainsi perdue par l'avidité potentielle des exploitants de son support...
Le fait même de vouloir donner sa musique et ses recheches à écouter, comme le fait brillamment LL de Mars sur Jamendo aujourd'hui — et c'est envoutant, à écouter toutes affaires cessantes — deviendrait impossible alors même que producteurs et distributeurs pourraient ne pas vouloir le commercialiser !

Mais tout n'est pas perdu pour le bénévol@t littéraire : on lit, on fait lire et écouter, et pas qu'à la radio. Des collectifs comme LibriVox (si quelqu'un en connaît d'autres) ont tout l'avenir (du passé = du domaine public) devant eux. J'ai écouté tout à l'heure le premier chapitre de Notes from the Underground (Dostoïevski, 1964) et... c'est intéressant mais... je préfèrerais l'accent anglais et un peu moins rapide... Peu importe, c'est tout de même une belle entreprise et je podcasterais des trucs comme ça si je faisais de longs voyages en voiture, par exemple, comme JCB.

Avant ça, éh bien, pas grand chose, ma foi ! — ou beaucoup, selon le critère. Soleil matinal et puis patatras...
C'est encore une journée de repos réorganisateur : les derniers courriels de vœux à envoyer, la préparation des cours sur Le Colonel Chabert, le déjeuner avec T. au Jonathan (une chaîne de family restaurants) de Kagurazaka, juste à côté de chez Étienne, parce que notre Hong-Kong Shokudo est encore fermé, quelques courses pour faire ce soir des spaghettis à ma façon pendant que T. se réapproprie le territoire mental de ses recherches dixseptiémistes (la voici enfin solidement sur les rails dont maintes choses l'avaient maintes fois fait sortir depuis plus d'un an...).

Force naïve du réseau. Soit un extrait du Colonel Chabert :
« Il comporte une chose à voir à différents prix, suivant les différentes places où l'on veut se mettre...
— Et
berlik berlok, dit Simonnin.
— Prends garde que je ne te gifle, toi ! dit Godeschal.
Les clercs haussèrent les épaules.»
(Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert [1835], Gallimard, folio classique 3298, p. 55)
Une note de bas de page de Patrick Berthier indique pour « berlik berlok » (aucun rapport avec Berlol, non non) : « Sic. Pure invention verbale de Balzac, semble-t-il.»
Or aujourd'hui (après 150 ans d'études balzaciennes), un simple googlage permet de savoir qu'il s'agit d'une expression ancienne mais qui a dû être courante en Wallonie (chercher berlik ici et , et encore ici et ). Et je ne vais pas en faire un article pour l'Année balzacienne...
Pour le sens, j'hésite entre comme ci comme ça, ou de ci de là, ou de bric et de broc (le TLF précise qu'on trouve de brique et de broque chez... Balzac), ou encore, plus plausible dans le contexte moqueur du dialogue balzacien, et patati et patata, c'est-à-dire cause toujours tu m'intéresses, d'où la menace de gifle, on comprend mieux.
Ça m'a rappelé que Guylène disait et palali et palala, je ne l'avais jamais entendu sous cette forme-là auparavant. C'était du temps où qu'on était bien jeunes, qu'on savait pas ce qu'on allait faire dans la vie, qu'elle habitait une chambre de bonne rue du Chevaleret, ambiance Tardi, et qu'aucune grande bibliothèque n'était annoncée en face de ses fenêtres...


Mercredi 4 janvier 2006. Tonitruer des apocalypses.

Année Mozart, année Cézanne, année Beckett, année de la Colonne Vendôme et du système métrique... À votre bon cœur ! Et au revoir, 2005...

Nous nous levons après 8h30 depuis quelques jours, prenons le petit déjeuner en admirant aux infos télévisées nippones les queues féminines aux abords des grands magasins ; certaines formées depuis le 31 décembre et occasionnant des bivouacs de carton — comme des clochardes — dans le seul but de s'arracher les fukubukuro dès l'ouverture des portes le 2 janvier. Et rebelotte le 3. Notamment au Printemps Ginza et au Seibu d'Ikebukuro. En même temps — autres sons de cloches — je regarde le 20 Heures de France 2, les vœux de Chirac, le toit effondré d'une patinoire en Allemagne, la guerre du gaz, le péage de Stockholm, etc. Un autre monde. Et moi, où suis-je ? (Sur quelle étoile suis-je né ? j'en suis encore à me le demander...)

Sur le site de la chaîne France 5 (qui a une page rassemblant ses vidéos), émission hebdomadaire Le Journal du blog, à voir en vidéo, et le blog de l'animatrice Aline Afanoukoe. On dirait que la blogosphère contamine la médiasphère conventionnelle...

Visionnement du dernier Arrêt sur image. La vidéo est disponible sur le site, soit 78 minutes d'analyse des images d'Outreau. Quand la télévision fait du très très bon boulot (je connaissais l'émission mais n'étant pas en France, ne l'ai pas vue depuis longtemps...). L'étude des commentaires faits par les journalistes en 2001 et 2002, passant de l'indicatif au conditionnel, n'allant pas visiter une ferme ni rechercher un sex-shop, s'emballant, se rétractant, mais ne s'excusant jamais (sauf durant cette émission, justement), tout cela est très pédagogique.
Pour finir l'émission, la chronique critique, elle-même animée par... Chloé Delaume, qui duplique aussi son blog dans le site de France 5 (l'émission, quant à elle, ayant un forum) — commentaires inexplicablement fermés... hum, hum...

On sort pour déjeuner — aucune envie de rester dehors — et tester un nouveau restaurant de curry à la japonaise (pas trop piquant), presqu'en face de Bisha Monten, le grand temple de Kagurazaka. T. est un peu déçue, trouve cela monotone et un peu farineux, le curry. Mais c'est peut-être un jeu de mot sur le nom du restaurant, Konaya (古奈屋), sachant que 粉 (kona) veut dire farine...
Puis je replonge dans la Restauration, pas la même, celle de la France de 1815, quand Chabert essayait de ne pas mourir une seconde fois...

Parfois, je me sens comme Vercors dans les années 30, pressentant l'horreur à venir — que les autres ne voient pas ou ne veulent pas voir (Cf. La Bataille du silence, chez Minuit). En même temps, je déteste la posture  cassandresque de tonitruer des apocalypses que personne n'écoute (aujourd'hui façon Virilio). Mais ni Vercors, ni Cassandre n'avaient de blog. Virilio, je ne sais pas. Alors, j'écris sans cri dans mon coin ce qui suit, et on peut en discuter. Des fois, on aurait besoin d'un bon prophète, hein, Michel !
Dans la série Si vous n'y voyez pas un Hitler c'est que vous avez de la m... dans les yeux, voici le projet de loi Sarkozy présenté ce matin par Libération :
« On l'appellera Nadia, algérienne, la trentaine, en France depuis neuf ans et dix mois. Arrivée légalement ici pour se marier, elle s'est vu retirer sa carte de séjour après avoir quitté son conjoint qui la battait. Depuis, elle est sans papiers. Jusqu'ici, la législation française prévoyait la délivrance d'une carte de séjour d'un an pour les étrangers résidant en France depuis plus de dix ans. Pour Nadia, le compte à rebours est donc sur le point de s'achever. D'ici à deux mois, elle devrait en bénéficier. De justesse. Car le projet de réforme gouvernemental du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, encore appelé projet de loi de Nicolas Sarkozy sur l'immigration, prévoit la suppression de cette disposition. Une version de ce texte encore en cours d'élaboration a été rendue publique hier par huit associations. Et, le 12, le ministre de l'Intérieur devrait en révéler quelques éléments lors de ses voeux à la presse. Abrogée également, la disposition prévoyant la délivrance d'une carte de séjour «à l'étranger résidant en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale». Supprimée encore la carte de résident de dix ans jusque-là délivrée de plein droit aux étrangers mariés depuis au moins deux ans avec un ressortissant de nationalité française, ou aux étrangers en situation régulière depuis plus de dix ans. Et ce qui n'est pas abrogé est durci. Les conditions du regroupement familial sont ainsi relevées que ce soit en matière de ressources ou de logement.
«Inhumain», commentent en choeur les associations (1). Ce texte, disent-elles, «conduit à une négation radicale des droits fondamentaux de la personne». Non seulement «il prévoit la quasi-disparition de cet outil d'intégration qu'était la carte de résident». Mais «il s'attaque aux malades. Il prépare la disparition du droit au séjour pour les familles, les conjoints, les enfants, de toutes celles et ceux qui construisent leur vie en France», déplorent-elles.
Certes, personne n'a été pris par surprise. A l'issue du comité interministériel de contrôle de l'immigration du 19 novembre, Dominique de Villepin avait promis un renforcement du contrôle de l'immigration. Mais celui-ci est beaucoup plus draconien que ne le prévoyaient les associations. Surtout, ni le Premier ministre ni ses ministres n'avaient jamais mentionné un éventuel durcissement des conditions de séjour pour les étrangers malades. «Il était question dans une note interne du ministère de l'Intérieur de mettre fin à des "détournements de procédures" [des fraudes, ndlr] de leur part, rappelle Antonin Sopena d'Act Up. On s'était dit que le gouvernement allait peut-être prévoir des restrictions supplémentaires en matière de droit au séjour pour raisons médicales. Mais jamais on ne s'était imaginés qu'il irait jusqu'à supprimer ce droit.»
Note 1 : Act Up Paris, Cimade, Comede, Fasti, Gisti, LDH, Mrap, 9e Collectif des sans-papiers.
(Immigration : Sarkozy abat la carte de séjour, par Catherine Coroller)
Sur France Culture, la nouvelle émission Temps de mémoire tient ses promesses car il ne s'agit pas que de rediffuser mais aussi de recadrer en expliquant le contexte. Et ça le fait plutôt bien, je trouve.
Dernière minute : Radio France se met à diffuser du flux podcastable.
Sentir qu'c'est pas tout noir, qu'c'est pas tout blanc... (C'était de qui, ça, donc ?...)


Jeudi 5 janvier 2006. Gros vendeurs en tête de gondole.

À Suzanne Jamet, Sereine Berlottier et Philippe Vasset.

Alors que j'allais voir le prix de l'intégrale du Ring (par Pierre Boulez et Patrice Chéreau en 8 dévédés — 84,16 €) recommandée hier soir par Jeanne-Martine Vacher dans le second Décibel sur Richard Wagner avec Bruno Lussato, il y avait un petit message en rouge dans ma page Amazon pour m'informer que Bandes alternées, le nouveau livre de Philippe Vasset, n'était plus disponible — alors qu'il était à paraître le 4 janvier quand je l'ai sélectionné en décembre.
Je google alors [Vasset "bandes alternées] et trouve qu'il était invité à La Suite dans les idées du 28 décembre — et Sylvain Bourmeau dit bien, car on peut encore l'écouter, qu'il a effectivement eu, lu le livre... — avec Nathalie Heinich, une des seules pages que je n'avais pas ouvertes la semaine dernière ! Il ne faut donc rien laisser passer...
L'essentiel est sauf. Ça va s'arranger, patientons. D'ailleurs l'émission est excellente, je l'ai enregistrée..

Sur le site de Fayard, quand on cherche les nouveautés, on trouve la page qui donne les livres à paraître jusqu'au 5 janvier, et Vasset n'est pas dedans. Tiens, tiens... Descendant dans la page d'à côté, il y a un menu Janvier 2006 / Littérature française dans lequel se trouve quand même Vasset — Tiens !, il y a aussi Sereine Berlottier... (Et ce lien qui ne tient pas, qui repasse à 2005 à chaque coup, que l'on peut bloquer si l'on clique très vite sur le bouton stop — pour les amateurs de jeux vidéos...)

Ça dit (sans italiques aux titres, sauf le premier) :

« Philippe VASSET, Bandes alternées, roman
Attachée de presse : Suzanne Jamet
Philippe Vasset, 31 ans, est rédacteur en chef d’Africa Energy Intelligence, publication spécialisée dans le renseignement industriel et politique. Il a été lauréat du Prix du Jeune écrivain 1993, organisé par le journal Le Monde et le ministère de la Culture. Il est l’auteur chez Fayard de Exemplaire de démonstration (2003) et Carte Muette (2004).
De jeunes adultes consacrent leur temps libre à faire de leur quotidien une œuvre d’art. Chez eux, tout est prétexte à sculptures en pâte à sel, diaporamas sophistiqués et pièces de théâtre amateur. Des références communes, en particulier le rejet de l’Industrie culturelle, tel est le ciment d’une communauté soudée et inventive. Un marginal, voisin voyeur et solitaire, le narrateur du roman, les observe sombrer peu à peu dans l’enfermement. Ce qui n’est au départ qu’un moyen artisanal et sympathique de s’approprier la réalité qui les entoure tourne bientôt au langage unique, à l’obsession communautaire. L’autarcie vire à l’autisme, la création dérive en sécession. Ils finissent par déserter leurs maisons-ateliers pour envahir la cité et s’y engloutir, perdus à jamais dans un monde qui leur est désormais étranger.
À travers cette histoire dérangeante, Philippe Vasset s’interroge sur la création et l’enfermement, sur les résistances possibles à l’industrie du divertissement. Ce roman incisif et cruel, dont l’atmosphère évoque le Huysmans d’À Rebours, met autant en cause le milieu artistique alternatif que les productions culturelles standardisées.»


À la place de Suzanne Jamet ou de Philippe Vasset, j'aurais fait mettre le premier paragraphe en dernier.
Le sens du premier paragraphe en premier, c'est que des éléments sociétaux font autorité (rédacteur en chef, lauréat) et tentent de faire passer l'individu en force, comme caution ou faire-valoir pour son livre. Moi, ce genre de message, ça me fait gerber. Et si je ne connaissais pas déjà les deux premiers livres de Philippe Vasset, je n'irais pas plus loin.
Le sens du premier paragraphe en dernier, c'est que la description du contenu du livre (qui serait alors en premier) peut instantanément marquer l'esprit, du fait que le sujet est très intéressant, le transir même, tellement c'est fort. Et puis qui c'est, l'auteur ?, ah oui, c'est intéressant, ça ajoute, ça renchérit, mais de toute façon, je le veux, ce livre, qui qu'en soit l'auteur. Voilà comment ça devrait se passer.
Je vois qu'il en va de même avec tous les auteurs de la page, et peut-être tous ceux de chez Fayard — site dont j'avais d'ailleurs failli rater l'entrée car la première page, que j'allais fermer, la page d'accueil, ne contient que Houellebecq, sous le nom de l'éditeur en gros (en fait, c'est là qu'il faut cliquer). Cette réclame qui trompe est d'ailleurs tout à fait insultante pour les autres auteurs, je ne sais pas ce qu'en pensent Suzanne Jamet, Sereine Berlottier et Philippe Vasset, puisque, moi, ce sont eux qui m'intéressent, c'est à eux que je demande ce qu'ils en pensent. Qu'est-ce que vous en pensez, vous, d'une page d'accueil qui ne cite qu'un auteur ?, qui plus est morbide, l'auteur ?, avec sur les côtés Joyeux Noël et Bonne Année 2006 et deux fois la même petite branche de houx, inversée et mal pixélisée — on dirait de l'humour noir, mais il faudrait alors que le concepteur de la page ait lu la Possibilité d'une île — que je n'ai pas encore réussi à finir tellement c'est ennuyeux...
Mais peut-être qu'il en va maintenant de même chez la plupart des grands éditeurs, comme on dit. On pourrait dire gros, d'ailleurs, ce serait plus juste. À savoir que l'identité des auteurs, leur visibilité sociale, est plus importante que les livres qu'ils écrivent. Avec des textes de présentation qui ont l'outrecuidance d'inclure un jugement laudateur, argument de vente prémâché pour presse fainéante, paragraphes que l'on sait bientôt clonés tels quels sur des dizaines de sites de pseudo-lectures avec liens cliquables pour rapporter 1 centime.
Que la mondanité — auctoriale ou éditoriale — soumette la littérarité, c'était ce que l'on pouvait craindre dans les conversations bien arrosées, entre amis, collègues, partisans, etc., c'était ce qu'il fallait accepter dans les choix critiques de certains journaux, Le Figaro et L'Humanité ne sélectionnant pas les mêmes ouvrages, et selon des critères rarement littéraires, c'était encore ce que l'on devait supporter chez certains distributeurs, les commerçants voulant des gros vendeurs en tête de gondole, mais on n'imaginait pas que les éditeurs eux-mêmes prendraient les devants, transformeraient eux-mêmes les livres, les merveilleux livres, en boîtes de soupe instantanée, en supports de marques.
C'est peut-être pour ça que des artistes sont « perdus à jamais dans un monde qui leur est désormais étranger »...

Je suis quand même sorti, dans le froid, avec Chabert et crayon à portée de main pour le trajet en métro. Pour aller chez le coiffeur, « itsumo yori sukoshi mijikaku onegaishimasu...» (un peu plus court que d'habitude, s'il vous plaît). On regardait un match de foot en même temps, ça a duré trente minutes chrono. Bikun, ça doit te rappeler quelque chose ? Comme je suis bon client depuis quatre ou cinq ans, le coiffeur m'offre une belle brosse. Puis à Ikebukuro, traversée de Tobu et Seibu, où il n'y a pas trop de monde, des kilomètres de rayons à la recherche d'une galette des rois, que je prends finalement chez Lenôtre — chez les autres on dirait des miniatures. Elle était à 2100 yens ; je me demande si je ne m'étais pas trompé en 2004...


Vendredi 6 janvier 2006. Faire bref. Froid.

Photo d'hier : ne pas croire que je suis allé chez le dentiste, surtout avec ce matériel antédiluvien. Il s'agit d'une miniature — le mot était dans le billet d'hier — de cabinet dentaire, en vitrine dans un couloir quand nous avons fait les magasins de l'Hôtel impérial, le 1er janvier. C'est donc une macro-photographie.
Je vais essayer ce genre de devinette visuelle, au cas où quelqu'un aurait envie de participer. Mais que personne ne se sente obligé.

Faire bref. Froid. Jour de fève ; moi j'ai le ventre un peu lourd de la galette finie ce matin... Préparation du cours sur Chabert. Presque fini, minuit approche. C'est pour demain matin. La concordance d'Étienne Brunet est de nouveau accessible, j'y vérifie les emplois de Chinois...

« Je suis en train de lire l’excellent livre de Robbe-Grillet, Préface à une vie d’écrivain : pour lui, les personnages sont faits du texte et des mots, à la différence des personnages balzaciens, qui existeraient indépendamment du livre et qui auraient un passé. Je m’inscris tout à fait dans cette voie. Je n’ai pas de naïveté sur l’existence des personnages indépendamment de leurs vêtements de mots et des phrases qui les constituent.» (Jean-Philippe Toussaint, interview dans L'Humanité du jour.)

Cette Préface..., je l'ai en vingt-cinq épisodes France Culture. De la dynamite !

Sur les cédés véro(uil)lés, encore une anecdote qui t(ro)ue !... (Sauf si on aime Céline Dion.)


Samedi 7 janvier 2006. Je vais me recoucher...

Peu et mal dormi. Mauvaise digestion ou coup de froid, je ne sais.
Matinée à l'Institut, cours sur Le Colonel Chabert. Treize à quatorze inscrits, peut-être changer de salle, la semaine prochaine... La polyphonie dans l'étude de Derville a toujours la même force.

Hokaron collé au niveau de l'estomac, là où ça craint.
Déjeuner minimal et en métro à Shibuya pour rendez-vous avec Hiroko, étudiante en arts multimédias et journaliste pour Kawaii Science (かわいいサイエンス presented by Mono), rencontrée à Nagoya le mois dernier en même temps qu'Éric Sadin. Elle m'enmène au café dans l'immeuble Picasso 347. On discute un bon moment malgré mon mal de tête.

Retour et sieste pour finir ma nuit. Soupe légère préparée par T. qui s'inquiète pour moi.
Je vais me recoucher...


Dimanche 8 janvier 2006. Des boules à la fraise avant les huîtres frites.

Un premier ping-pong à Shibuya, anthologique et quand même un peu triste. Anthologique parce que Manu, qui n'a pas joué depuis un bail, réussit in extremis à battre Katsunori qui en reste coi (Quoi..., moi ? Moi, je l'ai battu, Manu, mais pas Katsunori...). Un peu triste parce que la reine, Hisae, souffrante, n'est pas venue.
On a profité du dernier jour de waribiki (30%) à la boutique pro, de l'autre côté de Shibuya, pour faire changer nos revêtements de raquettes. J'ai tout fait comme Katsunori et ça m'a coûté 4300 yens (la fois dernière, j'avais présomptueusement tapé dans le haut de gamme...).
Après quoi on est allé déjeuner dans un Jonathan's parce qu'il n'y avait que ça dans le coin, et franchement, ce n'est pas ce qu'on a fait de mieux. Le service était long et décalé. Heureusement que j'ai demandé qu'on m'apporte le dessert à la fin, sinon j'aurais dû manger des boules à la fraise avant les huîtres frites...
Les huîtres frites (かきフライ), c'était aussi pour tester mon organisme après les nausées de deux derniers jours. Soit ça me retournait l'estomac, soit ça ne me faisait rien — ce qui est le cas, à 11 heures du soir, c'est donc que le problème était ailleurs...

Par exemple le nerf optique, suppose T. On a mesuré en effet que mon écran est environ à 70 cm de mes yeux alors que les caractères affichés sont souvent plus petits que sur un livre habituellement tenu à 30 ou 40 cm... Les yeux pourraient bien fatiguer d'accomoder, après ces longues journées d'hiver passées à lire (le Japon bat ses records de froid, depuis 1946, c'est-à-dire depuis que les données sont collectées).
Bref, une visite chez l'ophtalmo s'impose.
Me restent les oreilles...

Mais comment traiter un mal dont les causes multiples ne permettent pas l'identification exacte ?

« Comme pour toute la francophonie africaine, je dirais, ces pays récemment indépendants, d'une façon justifiée vont au plus pressé, mais d'une façon aussi un peu dommageable, ne prennent pas au sérieux, d'une part les programmes d'éducation, nationale, comme on dit, mais enfin, d'éducation, mais surtout aussi les questions culturelles. Alors les questions culturelles, chez nous en Algérie, malheureusement, il y a eu une période où ça a été une sorte d'affrontement entre l'arabe et le français. Donc, il faut réagir contre le monolinguisme. Mais je dois dire que le monolinguisme, cette tentation du monolinguisme, par exemple en Algérie, est une conséquence, mais une conséquence malheureuse de l'époque coloniale où c'est quand même la France qui a institué un monolinguisme du français et en excluant l'arabe de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur. Donc les Algériens sont ceux qui ont le plus, à juste titre, une blessure à leur langue.»

« [les questions sur l'histoire coloniale =] ça s'est posé entre 1962 et 1982. Et si, par la suite, il y a eu de la violence, c'est venu beaucoup plus d'une mauvaise arabisation que le fait qu'il y ait des arabisants en même temps [que les francisants]. Il fallait [il aurait fallu], aux même étudiants, donner un bon niveau d'arabe moderne, qu'ils récupèrent leur langue mais qu'ils soient de vrais bilingues... Vous voyez. Et ça nous l'avons payé par la violence des islamistes. Mais pourquoi ? Parce qu'ils ont pu avoir devant eux une génération de gens à qui on a donné à l'université un enseignement uniquement en arabe, et à la fin ils se sont sentis floués parce que ces diplômes avaient moins de valeur que les diplômes français, francophones, parce que le niveau de l'enseignement n'avait pas été dévalué quand c'était en français. On avait d'ailleurs, les deux premières décennies, en Algérie, les plus grands professeurs, même, je dirais, du monde qui venaient par amitié pour l'Algérie, dans toutes sortes de matières. Donc on a eu un côté vraiment de plurilinguisme... Mais on a considéré que puisqu'il fallait arabiser tout le monde massivement, il fallait les arabiser n'importe comment. C'est ça [, le problème] ! C'est pas l'arabe, parce que l'arabe a été quand même la langue de savants : la langue des chimistes, la langue des médecins, la langue des philosophes. Il fallait leur redonner leur fierté de cet arabe-là. Et ça, c'est un échec pour l'instant.» (deux extraits d'Assia Djebar dans ses Affinités électives du jeudi 5 janvier — la photo dont elle parle au début, c'est peut-être celle-ci, et c'est vrai qu'avec les cheveux courts, ça l'fait pas, en tout cas pas comme sur celle-là où elle est vraiment classe.)


Lundi 9 janvier 2006. Plus trop ni autonomie ni coupant.

Découvrant le dégonflisme contemporain — avec lequel je me trouve d'autant plus en accord que je n'ai pas de voiture —, je voudrais revendiquer ma position de précurseur. Il m'est arrivé une fois de dégonfler les pneus d'une voiture, c'était il y a fort longtemps et pour un motif qui n'était que secondairement politique. Ce n'était pas un 4×4 « rutilant de la brousse parisienne » ni tokyoïte mais un petit coupé deux places rouge, la prothèse avec laquelle un frimeur séduisait celle que je portais alors au pinacle. C'était les vacances, Pornic, où les porcs niquent, me disais-je, de dépit. Je pris le train, trouvai la maison louée par les parents, téléphonai sous je ne sais quel prétexte pour savoir où était la belle, m'y rendis, identifiai la voiture garée et vide de l'odieux et ne voulant risquer qu'ils repartissent pendant que je les cherchais sur la plage... Pfff...
J'étais là, adossé à une balustrade, quand ils revinrent. Et je revendiquai mon acte, bien sûr. C'est la dernière image que je garde de moi dans cette scène. La suite, je l'ai totalement oubliée. Je sais seulement qu'il n'y eut pas de bagarre, malgré l'affront.

Finaude, T. avait repéré pour moi un rasoir électrique Philips (seulement 50 mis en vente, ce jour exclusivement) à moitié prix dans les soldes de nouvel an de Mitsukoshi à Nihombashi, celui que j'ai n'ayant plus trop ni autonomie de batterie ni coupant dans les ciseaux. À 10h30, après le métro de la ligne Tozai qui me rappelle toujours ma période Waseda (1992-1996), nous déterrons donc en plein soleil au centre de Tokyo, traversant l'un des plus vieux ponts et arrivant à notre tour dans une de ces cohues des fukubukuro, certes moins struggle for shopping que ce qu'on a vu à la télé. Puis T. trouve des gants fourrés qui ne seront pas du luxe vu que les records de froid neigent.
Marche dans le soleil jusqu'à Ginza. Au magasin-mère de Meidi-Ya (en fait Meiji-Ya, si on veut en comprendre l'origine), on prend des céréales et du jambon. On s'enquiert de l'ordre de mise en vente des confitures nouvelles car ce sont de loin les meilleures que nous connaissions. Les pots sont assez gros et leur tarif autour de 1300 yens n'est donc pas si extraordinaire.

Ping-pong neuronal (1)
Je sais ce que tu penses
Tu sais que je sais ce que tu penses
Tu penses que je pense que tu sais que je sais ce que tu penses
Je pense ce que tu sais
Tu penses que je pense ce que tu sais
Tu sais que je sais que tu penses que je pense ce que tu sais

Oui, j'avance dans Weyergans. Pas trop mal mais rien de mieux. L'abyme digressif n'a pas que du bon. Oui, je sais, je n'ai pas parlé de Chabert, samedi. Ça sera pour un autre jour. Lui aussi, il a presque été congelé.

« Il faudrait que je termine au moins un des livres que mes éditeurs attendent, celui sur la danse (où je parle de Socrate qui, dans le Banquet de Xénophon, veut apprendre à danser), un roman d'amour qui se passe sous le Second Empire, un texte sur Husserl et Descartes (qui deviendra sûrement autre chose), un recueil de tous les articles que j'ai publiés, un essai sur les quatuors de Beethoven (je dois beaucoup au livre de Joseph Kerman), Coucheries bien sûr et mon livre sur les volcans.» (François Weyergans, Trois Jours chez ma mère, p. 53)


Mardi 10 janvier 2006. Le wagon est nu.

Dans le JR vers la gare centrale de Tokyo, je passe d'un wagon à l'autre et débouche dans celui dont tous les sièges se relèvent aux heures de pointe, de sorte que le wagon est nu. D'origine, les trains ont été conçus avec des sièges (et d'autres moyens de transport avant les trains étaient conçus comme ça aussi...). Pour que des êtres humains s'y assoient, au minimum. Et quand il y a du monde, beaucoup restent debout, mais ceux qui sont assis sont la preuve et l'horizon, le recours en cas de besoin.
Or, on reconnaît un wagon à bestiaux, ou un container, à ce qu'il n'est pas pourvu de sièges. Que l'on ait pu convevoir des wagons dont les sièges se rétractent, disparaissent, même pour des trajets courts (mais beaucoup y restent 60 ou 90 minutes chaque jour), revient à accepter (et à avoir sciemment conçu) une idée escamotable de l'être humain — par pragmatisme économique, dit-on. Et je pense que c'est différent du fait d'avoir des pousseurs en gants blancs.
Or, je ressens que cet aspect pliable de la dignité humaine, petit pli fait chaque jour à la dignité de chacun des voyageurs entassés, qui devient faux pli permanent et invisible de l'identité de chacun, puis de la condition de tous, cet aspect pliable de la dignité humaine, donc, qui semble être dans l'air de notre temps, ne me paraît pas si éloigné de l'insulte permanente aux droits de l'homme et à la Convention de Genève que représentent les détentions à Guantanamo, et une bonne part de tout ce qui les entoure, où des droits reconnus sont pourtant escamotés (puisqu'il faut mettre les points sur les i, saquerlotte !).
Or, disant cela, passerais-je si près d'une certaine comparaison heideggerienne entre chambres à gaz et agriculture mécanisée ? J'espère bien que non. La technique qui nous en imposerait n'est pas mon coupable. Mon coupable, c'est l'ambition et l'illusion humaines, et clairement condamnables, et hélas répandues à tous les étages de la société, de la valorisation aveugle, et libérale, et égoïste, du gain — au détriment, au mépris même de l'équilibre. Gain de temps, de place, et d'argent, bien sûr — tout le reste y est sacrifié, dévalorisé, dignité comprise.
Bien sûr l'équilibre — humain avant tout — a aussi ses promoteurs, qui ne sont point dans les rappels des bons temps de ceci ou de cela, ni dans l'autoritarisme dont il faudrait faire preuve ici ou là — mais dans une intégration différente des techniques et des technologies dans la vie de chacun, basée avant tout sur le refus de la priorité du gain (non pas le refus du gain, souhaitable dans beaucoup de cas, mais le refus de la priorité du gain).

Pleine forme pour formes pleines. Shinkansen avec trois paquets de copies à corriger.
Dernier retour au fourneau pour qu'une fournée d'étudiants sortent bientôt du four de 1ère année, celui de la première cuisson du biscuit linguistique, avant peinture ou émail de 2e année...

Après le four, la presse (et puis au lit)...
« J'ai comme l'impression que Donnedieu s'est fait déborder par certains ultras de son ministère à l'heure de rédiger la première mouture de la loi. Et que maintenant, il est sincèrement prêt à équilibrer la balance et à entendre les arguments du camp d'en face, ne serait-ce que pour sauver sa peau.»
C'est de Vincent des Interprétations diverses. J'ai du mal à y croire... mais bon, je prends date — et je ne suis pas le seul.


Mercredi 11 janvier 2006. Je fais serre — je sais faire.

Matinal, dûment chargé, le nouveau rasoir HQ 8140 fait son office. Plus léger et silencieux que son prédécesseur, il ne m'empêche pas d'entendre Christine Ockrent animer France Europe Express, sur l'après Sharon (déjà !), que France Info saucissonne de flashs — je n'aurais pas le temps de le suivre intégralement, de toute façon, parce que deux cours m'attendent : un groupe d'étudiants impatients de savoir ce qu'ils doivent réviser pour l'examen, puis un groupe plus restreint, plus mûr, dont quelques membres vont présenter des exposés sur la Francophonie.

Le soir.
Les exposés étaient intéressants mais qu'est-ce qu'on a pu avoir froid dans cette salle ! J'espère sincèrement avoir l'an prochain une classe avec l'internet et dans un autre bâtiment. Je l'ai demandé au Père Noël d'ici... M'aura-t-il entendu ?
Déjeuner de カレーうどん (des grosses pâtes dans une épaisse soupe au curry) pour me réchauffer. Ensuite, je fais serre — je sais faire — dans mon bureau, avec le climatiseur à fond et la bouilloire ouverte, pour travailler jusqu'à cinq heures et demi. — ça dégage les bronches et les virus tombent au sol où, négligemment, je les écrase en rangeant des papiers.
Puis, direct au centre de sport pour un tiercé classique : vélo (option Sevestre), machines et bain (supplément sauna).

« C'est un des plus beaux passages du livre, un des plus agréables à imaginer. Tout ce qui appartient au voyage est lié à ce départ, changement, aspiration, renouveau, découverte de la vérité (?), le soleil, la lumière, la mer sur la droite, étendue, claire, l'espoir qu'ils s'aiment, que Lucas comprenne. Les fenêtres sont ouvertes pratiquement sur tout le trajet. Une impression d'espace aussi. Hélène a conduit, puis Lucas. Une musique éthérée alterne avec une autre lourde, métallique mais connue, et l'impression de choc trash metal est consolée en impression de variété, de rebelle rentré dans le rang. Lucas gâche tout à un arrêt et ils se disputent à partir de cet arrêt.

Ils marchent dans un grand champ de fleurs bleues, un autre, rose. Hélène s'étend. Le champ préfigure celui de la fin. C'est le même type de champ. Ici, peut-être un pylône de haute tension. Il fait trop beau. Les couleurs, saturées, virent à l'ultraviolet et même les couleurs chaudes prennent des teintes froides, bleues, vertes. Lucas boit, pisse. Il n'y a pas de vue avec la voiture, ce genre d'angle poseur où l'homme crâne adossé à un pneu avec ses problèmes d'homme, déhanchements fatidiques et gravité culte. Ils se reposent. Il y a de la couleur. Ce serait plutôt la photo de Gombrowicz en deux-chevaux avec sa femme. Sauf qu'il y a de la couleur, que Lucas est beaucoup plus jeune. C'est la photo sans le sourire de la femme.»
(Alain Sevestre, Revolver, p. 113-114)

Déjà dans L'Affectation, il y avait une remarque sur un détail avec le numéro (exact) de la page où il se trouvait. Ici, c'est la fiction qui s'ouvre pour accueillir la désinvolture d'une instance narrative. Ça parodie du discours critique en lui donnant l'élégance d'un script, ça ironise tout en faisant des plans de cinéma... Et puis, ça me change de l'hiver.

Ping-pong neuronal (2)
Ils croyaient me connaître facilement parce qu'ils me croyaient
Ils croiraient que je croyais qu'ils me connaissent
Ils croyaient que je croirais facilement les connaître parce qu'ils croyaient me connaître
C'était si facile d'y croire
Ils n'apprendraient jamais


Jeudi 12 janvier 2006. L'outil du virtuel renforce le concret de soi.

Étrange écho, je pourrais copier mot pour mot le billet de l'an dernier car c'est réellement ce qui s'est passé, bien que nous soyons jeudi et non mercredi... Et malgré le froid qui n'était pas tel.
Pour autant, cette répétition ne m'effraie pas. Je ne ferai pas non plus mine de la découvrir. L'écriture quotidienne repassant par les mêmes mois et numéros a pour conséquence que je peux regarder ma condition en face, celle de mortel, alors qu'avant, c'était virtuel, je pouvais me défiler.
Ainsi c'est paradoxalement l'outil du virtuel qui renforce le concret de soi. On n'en finirait pas d'empiler les créations techniques qui rendent de plus en plus crue la lente catastrophe de chacun : la peinture et l'écriture qui ont permis d'avoir des traces de ceux qui vivaient avant nous, l'architecture et la sculpture qui laissaient des volumes palpables, la photographie et le cinéma pour se voir évoluer d'un âge à l'autre... Et la musique !
Y a-t-il plus de mélancolie pour autant ? Je ne le crois pas. Et même si la mélancolie se porte aujourd'hui jusque dans les musées, j'ai plutôt l'impression que cette connaissance aide à mieux faire face, à être stoïque et digne, et comique devant l'inexorable. Ce qui autrefois était tout barbouillé d'ignorance et enduit de religion est maintenant un évident os blanc. Ce qui tombait antan sur le rable est maintenant attendu dans les yeux.

Il y en a un autre qui nous parle dans les yeux, et pour la première fois par la lucarne webique pour présenter ses vœux ! C'est notre Président de la République. Prosaïque et piteux pantin à la traîne de ses ministres survitaminés. Kawaii, diraient mes étudiantes... On traduirait en anglais par He's so cute — un mignon tout plein qui fait pitié...

Pas mal de neurones ont posé des RTT, aujourd'hui (et une photo qui devrait faire plaisir à ma famille). J'espère qu'ils reprennent demain parce qu'il y a encore des trucs à penser.


Vendredi 13 janvier 2006. Ne pas ouvrir...

Occupé avec Chabert, pas le temps d'écrire autre chose.

Si l'on est quand même arrivé là, si l'on a quand même ouvert le fil RSS qui portait ce titre (subodorant une feinte), on en sera pour ses frais. Mais bon, un tuyau : écouter les Vendredis de la philo de tout à l'heure avec Bayard, Marx et Ruffel, c'est ce que j'ai entendu de mieux à la radio depuis le début de l'année !

Ma journée, je la ferai demain...

Le lendemain. Donc...
Au lieu du journal de France 2, je petit-déjeune avec Arrêt sur Image qui fait le bilan des médias sur le tsunami de décembre 2004 à décembre 2005. Intéressantes remarques sur l'inadéquation entre le temps médiatique (rapide, d'une exigeance parfois inquisitoriale) et le temps logistique (urgence vite parée puis projets de longue haleine). Et toujours cette incroyable différence de ton entre TF1 (dramatisant, racolleur, premier degré, du terromédia) et France 2 (pince-sans-rire jusqu'à l'irrespect, du raillomédia).

Je fignole une enveloppe pour la France (je n'en envoie presque plus) et j'arrange les timbres pour qu'ils mettent en abyme la situation actuelle du courrier postal. Puis je vais au sport pour le rituel triptyque de mise en forme (vélo, fontes, bain). En trois minutes, je sue déjà, c'est que ça marche bien...
« La Spezia. À bout, Hélène descend de voiture devant l'arsenal, doit téléphoner, pénètre dans une cabine. Aussitôt Lucas se met au volant, mais ne s'en va pas, réflechit, revient à la place passagère. De son côté, Hélène, silencieuse au combiné, dos tourné, regarde avec effroi devant elle, n'importe quoi, un groupe de touristes qui franchit devant les soldats la porte de l'arsenal. Elle attend quelque chose. Elle raccroche, ne reprend aucune carte ni monnaie. Elle n'appelait personne. Elle se retourne, aperçoit Lucas à travers le pare-brise. Il ne s'est pas enfui. Elle sourit. Oui, elle a un portable comme il le lui fait remarquer, mais elle ne peut pas appeler de l'étranger.» (Alain Sevestre, Revolver, p. 120)

Combien sont prêts pour l'épreuve de vérité ? Tout laisser dans les mains de l'Autre, qui peut s'enfuir...

Et si ce n'était pas si loin que ça du drame du colonel Chabert !, me disais-je dans le shinkansen avant de piquer du nez. Car il avait tout réussi, l'enfant trouvé. Monté en grade par sa bravoure, marié à cette fille du pavé à qui il laisse tout, état et fortune, pour aller au taff napoléonien. Et elle, dès qu'il paraît mort et que le vent tourne, elle recommence avec un autre — sans hésiter. La confiance...
Ce soir, je prépare l'explication de texte du long entretien Derville-Chabert, contenant cet étonnant passage du pas-tout-à-fait-mort à Eylau qui se remue dans le charnier — mot que Balzac ne connaît pas —, écarte les chairs et les membres des morts pour remonter à la surface, dans le noir, au travers de tout ce qui coule et de tout ce qui pue. Il ne doit pas y avoir beaucoup de narrations de ce type, dans la littérature, surtout avant les guerres mondiales du XXe siècle. Il se peut même que la force évocatrice de ce texte soit plus grande après 1945 qu'elle ne l'était dans les années 1830-40. Et le ton sans emphase, juste descriptif, que Balzac prête à Chabert, presque celui d'un Primo Levi, contraste étonnamment avec les fleurs de rhétorique qu'il sème lourdement dans le portrait rembranesque du balafré, quelques pages juste avant.
C'est quoi, l'identité de Chabert ? C'est du dehors et du dedans. Du dedans amoché, à moitié congelé mais encore là pour dire son nom. Mais du dehors qui n'est plus d'accord, qui n'accepte pas ce corps étranger. Dans un monde de la Restauration (1818) où l'affairisme et l'industrie dictent déjà les nouvelles lois, celles qui valent encore aujourd'hui, celles du capital, le mot rente devient bien plus utile que le mot bravoure.


Samedi 14 janvier 2006. Cacophonie des clercs sous la dictée.

Cours Chabert, 14 inscrits, record pour ce créneau samedimatinal. En plus, il fait un temps de chien, 3 ou 4 degrés et la pluie qui menace. Si cet épisode, l'entrevue Derville-Chabert, se caractérise par le contraste entre le style contourné du narrateur et la prosodie factuelle de Chabert, je repense à la scène introductive, qui est encore d'une autre nature. Ou de plusieurs — et je n'avais pas le temps de m'y attarder la semaine dernière. Dans une vue narrative étriquée, on pourrait même se demander à quoi sert cette cacophonie des clercs sous la dictée tandis que Chabert traverse la cour pour monter. Or, non seulement cette scène est fort utile pour donner un aperçu d'un certain mode de vie professionnel de ce temps-là, miel de sociologues, voire d'anthropologues, mais de plus elle est d'une maestria discursive digne de l'arrivée en classe de Charbovari. Sans que le lecteur le sache encore (prolepse), le texte dicté est directement en rapport avec le futur cas Chabert, puisqu'il s'agit de l'ordonnance royale de 1814 relative à la restitution des biens confisqués aux nobles par la Révolution et l'Empire. Cette dictée pleine de zèle perlocutoire (plaire au Palais, gagner les causes) est trouée de commentaires insolents, révélateurs d'un avis sans doute partagé dans la maison — dans la profession — quant à la haute valeur politique du dix-huitième Louis, ce qui aidera à comprendre comment Derville pourra s'intéresser à Chabert alors qu'il est déjà overbooké : l'Ancien Régime rhabillé en vitesse ne faisait plus guère illusion en 1816-1818 (Balzac hésite visiblement sur la date de la scène). C'est en substance ce que le romancier veut dire aux lecteurs de 1832 ou 1835 (feuilleton puis livre), notamment à ceux qui y ont cru, vingt ans avant (et dont il était peut-être bien...). C'est un peu comme si on daubait aujourd'hui sur le premier gouvernement Mitterrand en relisant le programme commun de la gauche — pour lequel on aurait eu voté.
Donc, au passage, s'il vous plaît, arrêtons avec cette histoire de Balzac vieillot et inutile, qui aurait été la cible des discours nouveaux-romanciers, ceux-ci ne visant en réalité pas directement Balzac mais des bien-vivants des années 1950 qui continuaient, avec l'onction académique, dans le balzacoïde pas fatigant et qui rapporte (et ça continue, puisque le bon peuple a besoin de romance).

Ça faisait un moment que je la gardais dans ma manche, cette sortie-là...
Est-ce l'effet des pancakes que T. a eu la gentillesse de confectionner ce matin, ou du poulet-frites du saint-Martin, le premier de l'année, pris en compagnie de Katsunori, tout juste remis du cours, et de Laurent, fraîchement revenu à Tokyo après des congés parisiens ? Je ne sais, mais il allait encore me falloir de l'énergie et du courage, avant d'un jour pouvoir m'asseoir dessus...
En effet, la semaine dernière, comme ça, après des années à y penser sans trop le dire, T. et moi avons franchi une sorte de limite en allant de nous-mêmes demander des informations sur un canapé qui nous plaisait. Juste des informations... Puis T. a googlé tout ça à la maison et trouvé un lieu de soldes de Francebed, importateur de plusieurs marques européennes, précisément et seulement ce week-end. Et je m'étais engagé à y aller voir, au cas où ce serait moins cher...
Sauf que là, quand on sort du Saint-Martin et que je dois aller seul à Asakusa, il tombe des seaux d'un liquide à 3 degrés qui donne plutôt envie d'aller se recoucher, ou lire des blogs...

Mission accomplie. Métro ligne Oedo puis Asakusa. Magasin trouvé du premier coup, à 300 mètres du métro, malgré obstruction visuelle du parapluie. Fiche d'inscription dûment remplie en japonais. Survol des sofas et canapés (c'est quoi la différence ?), en slalomant entre des familles nippones visiblement heureuses à l'idée d'abandonner les stoïques futons — « L'habitude de la peine physique l'avait doué de l'impassibilité stoïque des vieux soldats de 1799 » (Balzac, Le Cousin Pons, 1847, p. 110, cité dans le TLF.)
S'il y a des trucs en cuir d'épaisseur micrométrique à des prix défiant toute concurrence, la qualité reste chère (on s'en serait douté, rient sous cape mes détracteurs). Notamment, le même que celui vu la semaine dernière à Mitsukoshi, de marque Erpo, au même prix. Donc, mieux vaut passer par Mitsukoshi, ce que je téléphone à T. avant de prendre le chemin du retour. Zou...


Dimanche 15 janvier 2006. Les pigeons déplumés, les foulards sales.

Offrez-vous un nuage ! Le mien me plaît bien ? Il est vraiment génial, ce Jean Véronis ! (Et s'il arrive jusqu'ici, en remontant des flux, qu'il trouve mes remerciements et toute mon admiration.)

Avec la poêle à fond épais, T. a remis ça, ce matin. Pancakes de dorure parfaite, gonflés à petit feu, que nous couvrons de beurre puis de sirop d'érable, celui qu'une de mes étudiantes m'a ramené d'un voyage au Québec. Ça ou la nouvelle raquette ? Quel est le plus apte à expliquer que j'aie pris une manche à Hisae, pour la première fois ? Par 14 à 12, alors que je me plaignais d'avoir un corps qui ne faisait pas ce que la tête lui demandait — smasher au lieu d'amortir, orienter la raquette 5° plus haut, me repositionner plus vite, etc. Évidemment, après ça, piquée au vif, elle s'est concentrée, a servi court pour frapper mes retours, est passée haut la main. Mais personne n'est dupe, la couronne vacille...

Après le déjeuner avec Katsunori (que je n'ai pas pu battre), je retourne donc au magasin Mitsukoshi de Nihombashi pour le canapé de nos rêves — nos rêves, à T. et à moi. Il sera livré la veille de notre anniversaire de mariage...

« Un titre qui arrive trop tôt, ce n'est pas une aide. Le titre se met à tout régenter. les titres devraient être trouvés à la fin et par quelqu'un d'autre. Avec Trois jours chez ma mère, je ne savais pas ce qui m'attendait. Trois jours, c'était la durée trop courte dont ma mère ne voulait pas entendre parler, et la mère, qui serait celle du personnage que j'allais inventer, devenait inexorablement pour tous ceux à qui je demandais leur avis sur ce titre, la mienne...» (François Weyergans, Trois Jours chez ma mère, p. 111)

« Là où les autres élèves avaient foncé tête baissée dans l'éloge conventionnel du dialogue, je m'étais lancé dans l'éloge dithyrambique du monologue et j'avais obtenu dix-neuf sur vingt.» (Ibid., p. 125)

« On croit toujours que c'est moi dans mes livres. même Delphine ignore qui je suis parfois.» (Ibid., p. 131)

J'hésite entre puéril et sénile. On sourit à chaque page, mais d'un amusement qui est aussi une forme de compassion, comme devant un illusionniste dont tous les trucs sont éventés, les pigeons déplumés, les foulards sales.

Pertinemment, François Bon demande : « Pourquoi le traitement de texte est-il le logiciel qui a le moins évolué, voire même a régressé par rapport à sa ductilité des années 80 ? »
Ma réponse : parce qu'on n'en a (presque) plus besoin. Je ne m'en sers plus qu'une ou deux heures par semaine. Le traitement de texte servait à préparer des textes imprimables, pour être transmis, imitant la lettre manuscrite (en-têtes), la revue (colonnes), le journal, le rapport, le livre (édité par soi-même), etc., tout ce qui formait le monde de l'imprimé et que l'on pouvait imiter — que ce soit pour y entrer ou pour le refuser. Or, il en est de moins en moins question : si j'imprimais mon JLR pour le diffuser, il n'aurait que cinquante lecteurs par an, alors que dématérialisé comme ceci il en a au moins cinquante par jour. Il reste des usages professionnels du traitement de texte, mais ils disparaîtront vite, d'ici cinq ans. Par contre, ses fonctions principales s'intègreront dans de nouveaux outils en ligne (exemple actuel : Writely).


Lundi 16 janvier 2006. De la spécularité à trois balles à l'exagération patrimoniale.

Lecture, tranquille.

Franchement, plutôt que de lire ce que je pourrais écrire sur la première séance annuelle du GRAAL consacrée à François Weyergans et à ses petits tours de passe-passe, sa spécularité à trois balles — tu me vois en Weyergraf, en Weyerberg, en Weyerbite, en je et en il, qui écrit ad libitum qu'il n'arrive pas à écrire, tout en profitant des avances sur recette et en fumant comme un tas de pneus, vachement subversif, le gars... — bref, mieux vaut aller lire la semaine de Christian Salmon dans Libération, chez Remue.net, ou la suite du débat sur les axiomes de François Bon...

Excellent catalogue du fonds de l'IMEC, merci à Marianne de nous l'avoir signalé sur son Blogofil. Des recherches à prévoir... Un dossier à monter pour aller faire un petit tour là-bas d'ici un à deux ans... Juste un regret : que les photos des auteurs au format timbre-poste aient quand même été systématiquement salopées par une marque de propriété. Il y a de la bêtise et de l'insulte dans l'exagération patrimoniale.


Mardi 17 janvier 2006. Prévoir lunettes.

nuées
j'en sors

Tour de quartier :
Allez les auteur(e)s, en rang ! Présentez, clavier !
Si vous préférez donner de la voix, les Liaisons dangereuses sont à nouer !
Surtout, n'allez plus aux spectacles, la police les rend dangereux !
Accord sur haine radicale du rallye.
Ravel, j'en rêve déjà...

dans l'agneau
la tête porte
le numéro six

Le jour où j'ai fait mon premier fond d'œil. L'ophtalmo déclare mes yeux excellents, mais légère presbytie que les yeux corrigent, d'où la fatigue et les récents symptômes. L'hypothèse de T. était la bonne. Prévoir lunettes après prochain examen.
Moi qui comptais finir Revolver dans le train, j'ai dû clôre paupières. Et réécouter attentivement deux émissions de l'an dernier sur les anti-modernes (celle avec Sollers et celle avec Forest), le dernier ping-pong Veinstein-Sollers et l'excellente discussion Ruffel-Marx-Bayard dont il a déjà été question. Que de bonnes choses à en dire, avec quelques réserves sur le dernier Sollers (je veux dire Sollers tel qu'il est maintenant) et sur la pente fatale de la littérature selon William Marx. Mais pas question que je recopie, repos oculaire oblige.
Je voudrais qu'on me lise des Contes merveilleux pour que vienne le marchand de sable. Mais ça coûte la peau des fesses...


Mercredi 18 janvier 2006. Abruti qui a éternué.

Tant pis, voilà quand même qu'un petit rhume s'est déclaré. Je le vois bien venir de samedi, jour d'abondante pluie froide où je suis allé jusqu'à Asakusa. Mais ça peut tout aussi bien venir de n'importe quel abruti qui a éternué près de moi sans mettre sa main, comme on dit par chez moi. Maintenant, c'est moi qui éternue.
Je suis quand même allé au sport et ai pu avancer de quelques pages dans Revolver. Je me demande si l'auteur n'a pas sciemment cherché à être ingrat, avec ce style sec et parataxique, ces personnages croqués et erratiques, odieux comme son Lucas déjanté, insupportable et quelque part attachant.

« Il lui renverse son plat de pâtes, la badigeonne, la salit. Elle le pousse, jette l'assiette de côté, tente de se dégager. Il revient vers elle, glisse sur du gras. Elle lève les mains pour l'aider, l'empêche de tomber. Lui, tête la première, se fiche l'œil sur son pouce. Borgne, il s'effondre comme foudroyé, ne se relève pas aussitôt. Étendu, face dans les nouilles, il prend son temps, ne se charge pas de colère, voudrait nager, disparaître dans le mouillé, atteindre un fond, patauge. Elle lui porte secours. Ils sortent dans les rues, maculés, dégoulinants de sauce tomate. Il se tient l'œil, d'une main rouge, achève de se barbouiller.» (Alain Sevestre, Revolver, p. 15)

À l'autre bout de l'échelle humaine, on trouve de ces gens qui ne vivent que de jeux financiers, de montages d'entreprises imbriquées et qui ne produisent quasiment rien que des services dans de la mode. Ce gros crétin de Horie, je le vois à la télé depuis plus d'un an et je sens qu'il pue le people et l'arnaque. Il suffit d'aller sur les pages de son portail, Livedoor, pour voir que tout y pue le clic à fric. Ceci dit, Rakuten ou Yahoo Japan, c'est à peu près la même engeance.
Ce qui est nouveau, c'est l'action-éclair de la police financière, débarquée dans tous les bureaux de la boîte lundi matin, saisissant tous les ordinateurs sur le champ — parce que chez ces adorateurs du baud d'or, les affaires secrètes ou illégales se discutent... par courriel !
Aujourd'hui, totale perte de confiance des investisseurs et des petits porteurs, massifs ordres de vente et... historique fermeture de la Bourse de Tokyo. Mort de rire ! J'écoutais ça de mon bureau, avant une réunion durant laquelle je savais que j'ouvrirai enfin Rancière... Pas de rapport ? À voir.

« Là où la philosophie rencontre la poésie, la politique et la sagesse des négociants honnêtes, il lui faut prendre les mots des autres pour dire qu'elle dit tout autre chose. C'est en cela qu'il y a mésentente et non pas seulement malentendu, relevant d'une simple explication de ce que dit la phrase de l'autre et que l'autre ne sait pas.» (Jacques Rancière, La Mésentente, Éditions Galilée, 1995, p. 14)

Ah ! Si Ghérasim avait connu Sereine !...


Jeudi 19 janvier 2006. Bon jour pour Mazarin.

Un seul examen à faire passer, aujourd'hui.
Pour reposer mes yeux et laisser le rhume passer, quelques émissions de radio en rangeant de la paperasse.
Avant d'écouter le Charivari de Jean Échenoz ce soir (sur France Inter, émission maintenant podcastable), je suis bien content de trouver l'émission du 12, avec Jacques Rancière. Et puis, tiens, en tripatouillant l'adresse du lien, je récupère l'émission du 9 janvier sur les entretiens Duras - Mitterrand, avec Mazarine Pingeot, Yann Andréa et Michel Butel. Et ça vaut le coup !
Pour continuer dans l'exigence littéraire, les Mardis littéraires n'étaient pas mal du tout, cette semaine. Avec Antoine Volodine, Éric Meunié et Philippe Vasset (ses Bandes alternées semblent maintenant disponibles sur Amazon tandis que la page de Fayard a complètement changé...).

Dans la revue SKLUNK qui vient de naître (Bernard Stiegler et Giorgio Agamben sont annoncés pour le numéro 2, en février), un article (pro-Google, mais qu'à cela ne tienne) dans lequel Pierre Bongiovanni pense révéler la nature du changement en cours :
« Avec l’universalisation des modalités d’indexation et d’accès, ce qui prévaut désormais c’est l’évanouissement de la notion même de pertinence des données.
Ce qui veut dire que le contenu des tablettes d’argile de Summer, les extraits des méditations de Spinoza sur la joie, les arguties d’un politique en campagne, le journal des étudiants du collège de Saint-Nom les Burleaux, et la dernière dépêche de Reuter sur les agissements occultes de l’Opus Dei, acquièrent le même niveau de vraisemblance, de réalité, de véracité.
Ce fait constitue une mutation en cela qu’il ruine le pouvoir des instances de légitimation du savoir et de la transmission. Et, ces instances étant engagées dans de perpétuelles luttes de pouvoir les unes contre les autres, c’est la scène même et l’enjeu de leurs combats qui s’en trouvent disqualifiés.»
Outre le fait que le sujet n'est pas nouveau, je crois que cette banalisation des données est une vue de l'esprit — pour frapper les sensibilités et se constituer un lectorat, les jeunes revues prennent souvent de ces positions extrêmes...
Or, bien avant l'accès web, les imbéciles confondaient déjà tout (Summer, Spinoza, etc.). Je ne crois pas que le changement d'échelle modifie grandement le rapport entre pertinence et véracité, par exemple.
Surtout, la paralysie, voire la disparition de certaines instances de légitimation du savoir, pour reprendre ce vocabulaire flou, n'empêche absolument pas que d'autres instances se mettent place, en adéquation avec la nature et la quantité des données à traiter.
Au reste, l'article n'est pas inintéressant ni désagréable à lire... Encore que les changements de taille et de couleur des caractères ne soient pas ce que l'on fait de mieux.
(Je m'entraîne à la litote...)

De bon augure pour T., qui a demain un important rendez-vous.
Le 19 janvier 1650, bon jour pour Mazarin qui faisait arrêter Condé, Conti et Longueville. Il ne savait pas que ce serait le point de départ de la seconde Fronde. Voir aussi le Journal des guerres civiles de Dubuisson-Aubenay (p. 202 et suivantes).


Vendredi 20 janvier 2006. Fendue par mon train.

Même pas le temps d'aller au sport. Enfin, c'est peut-être plus prudent puisque le rhume semble ne pas être trop grave.
Trois surveillances d'examens en amphi, à chaque fois entre 150 à 250 étudiants — je le sais, on les compte. Le professeur principal est chef de la session, trois ou quatre collègues sont commis pour l'assister. Un seul donc conduit les opérations, on lui obéit. Distribuer comme ci, compter comme ça, ce secteur-ci, ramasser les copies de ce secteur-là. Et c'est chaque fois une formidable occasion de voir à l'œuvre, sans rien dire, de voir et différencier des types humains d'intelligence et d'organisation, des caractères et des amours propres. Trois types, aujourd'hui, et trois façons de gérer le nombre et l'espace.
Je n'explique pas en détail, ce serait lassant, les consignes, les non-dits, les attitudes, mais au final l'un d'eux est moyen (essayer d'être au moins comme lui), élaborant sa méthode sans trop demander aux autres mais leur faisant confiance à l'occasion, un autre est admirable en tout point, modèle d'organisation, de flegme et d'attention à autrui, collègue ou étudiant, examen impeccable, comptage sans bavure, bien recoupé par tous, le troisième d'apparence sympathique mais en fait bordélique et finalement à la limite du caractériel, butant sur sa propre construction mentale et obligeant ses collègues à des recomptages, aucun ne voulant lui mettre le nez dans son erreur, moi, bonne excuse, partant au beau milieu pour aller surveiller ailleurs — sauvé par le gong.

Déjeuner chez Downey — ça faisait un bail — avec David et un collègue allemand avec qui nous discutons de cours de doctorat à prévoir pour 2007. Exceptionnellement, leur hambourgeois est fait avec des toasts de pain anglais... J'ai eu le dernier avec du pain d'hambourgeois normal, rond, non pas parce que je suis l'aîné mais parce que j'ai commandé le premier.

Depuis hier, reprise des repiquages MD >> MP3 d'émissions de France Culture de 1999-2000 (j'avais commencé en 98 avec des cassettes, dans la minuscule mezzanine d'Ochiai où j'habitais alors, un câble à la sortie casque, et le modem que je connectais chez Twics à l'heure des émissions désirées, quelle qu'en soit l'heure). Il y avait eu beaucoup d'émissions consacrées à Jean Genet, en 2000.

La nuit débute, fendue par mon train, propice au choix d'un angle pédagogique et à la relecture d'une moitié de la transaction que Derville propose à Chabert. Il faut au moins quatre heures de préparation pour qu'il reste deux heures de cours ayant la densité et la fluidité que j'estime les meilleures pour faire comprendre et apprécier l'œuvre. Je peux me tromper.
J'arrive tard, T. a déjà dîné. Une tomate et du saumon fumé me suffiront. Et puis boulot avec comme d'habitude, outre le livre ouvert devant moi, sept ou huit fenêtres à l'écran : la page de notes pour le cours, la version électronique du Colonel Chabert, la page de consultation directe du TLF, la concordance de Balzac d'Étienne Brunet, le site complet du GIRB, une page pour interrogations Google, etc.

Rhume + Chabert = coucher tôt – pas de JLR avant demain...
Les RSSés seront avertis.



Samedi 21 janvier 2006. Ce qu'est une mise en abyme.

Levé à six heures pour finir le cours, je ne me rends compte de rien. C'est T. qui s'exclame en ouvrant les rideaux à sept heures : il neige. Et dru. Et ça risque de tenir...

« Quoique récemment construite, cette maison semblait près de tomber en ruine. Aucun des matériaux n'y avait eu sa vraie destination, ils provenaient tous des démolitions qui se font journellement dans Paris. Derville lut sur un volet fait avec les planches d'une enseigne : Magasin de nouveautés. Les fenêtres ne se ressemblaient point entre elles et se trouvaient bizarrement placées. Le rez-de-chaussée, qui paraissait être la partie habitable, était exhaussé d'un coté, tandis que de l'autre les chambres étaient enterrées par une éminence.» (Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert, p. 92-93)

C'est toujours un grand plaisir de voir un auditoire comprendre et ressentir ce qu'est une mise en abyme. Ayant vu les notes de bas de page qui traitent des versions de 1832 et 1835, des corrections, des relations entre ces personnages et ceux d'autres romans, idem pour les événements, par exemple la faillite de Roguin dans Eugénie Grandet ou l'endettement de Derville dans Gobseck, on comprend que des pans entiers d'histoires sont récupérés d'un livre à l'autre, montés, bricolés pour tenir, souvent sur des histoires pas drôles, des problèmes d'argent, de famille, des crimes, des secrets, et qu'ici telle description de maison faite de bric et de broc, avec l'insistance descriptive que Balzac y met ne peut pas ne pas avoir de valeur analogique avec l'ensemble du projet de la Comédie humaine alors en pleine élaboration.

En plus, l'actuelle rue Watteau où Chabert habite, alors rue du Petit-Banquier, se trouve juste à la sortie du métro Campo-Formio (nom d'un traité napoléonien de 1797), où je suis passé tous les jours pendant mes trois ans à l'École Nationale de Chimie-Physique-Biologie — quand j'ai dû lire Splendeurs et misères des courtisanes, entre autres. Un des plus beaux titres qui soit, d'ailleurs.

Ça mérite bien une mousse au chocolat après les côtes d'agneau... La déco, c'est moi. D'ailleurs, sans doute pour prendre des forces face à l'adversité neigeuse, nous avons tous pris un dessert, aujourd'hui, Hisae, T. et Katsunori, alors que ce n'est pas dans nos habitudes...

Après, hélas, repos à la maison. Certes, à l'Institut, il y a des films... les Semaines des Cahiers qui commencent... Je devais, je voulais y aller... Mais la fatigue, le risque de rechute... Ça ira mieux demain. Demain, j'irai.
Et puis j'ai d'autres choses à lire et à écouter... J'installe Winamp, pour avoir radios et podcasts, très pratique et beaucoup moins lourd qu'iTunes. J'écoute le dernier Masque et la plume et suis encore une fois très très déçu — sauf au début, au courrier pour et contre la précédente émission sur Finkielkraut, quand le nom de quelqu'un que je connais bien est cité... Hein, Patapon !

Chronique réticul' air.

Chloé Delaume entame sa revanche sociale. Et comme je disais l'autre jour, elle mélange bien les blogs.
Trouver des images avec formes et couleurs, expérimental, c'est Retrievr.
Allez, un petit quizz littéraire, pour finir ?


Dimanche 22 janvier 2006. Ne pas faire de carrière du tout !

Lancez Google, ça rebondit.
« Le magazine Livres Hebdo a publié aujourd’hui que Google aurait numérisé des centaines d’ouvrages français, sans aucune autorisation des maisons d’éditions. [...] Les œuvres "pillées" appartiendraient aux éditeurs Gallimard, Grasset, Hachette ou Fayard, et antérieures à 1970, les auteurs étant Albert Camus, Paul Valéry, André Malraux, André Gide ou André Breton.» (chez OpenFiles.com)

On peut aussi ne pas faire de carrière du tout !
C'est la réflexion que je me suis faite après être sorti du Petit Lieutenant (2005), film de Xavier Beauvois (il faut l'avoir vu pour comprendre). Ce film est une pure merveille (il y a des avis différents), une étude de moeurs qui est une fiction sans effet de fiction, ni musique d'accompagnement, ni jeu d'acteur qui montrerait qu'on joue (Beauvois s'est donné un rôle d'extrême-droite...). Au début, d'ailleurs, voyant Jalil Lespert, je me croyais dans Ressources humaines... La même caméra qui observe le monde autour de lui, comme si ce n'était pas pour faire un film, découvrant en même temps que lui son nouvel univers de travail, la police judiciaire de Paris. Et il ne se passe pas grand chose. De fil en aiguille, même quand il y a un cadavre, on ne se croit pas dans un film policier. Nathalie Baye et Jacques Perrin sont excellents dans leur retenue, les quelques mots qui disent tout le passé, la rémanence du passé dans le présent qui donne du poids aux personnages. Et quand elle tire, en légitime défense, ça dure trois secondes et le type est mort. Et puis tout est fini, elle marche sur la plage, on la suit en travelling en gros-plan, pendant deux bonnes minutes, et tous les sentiments qu'on peut prêter à son visage sont justes.
Je suis à l'Institut franco-japonais. Il y a du soleil. Je prends un café. Le réseau sans fil fonctionne bien. Je poste maintenant et je complèterai plus tard.

Intermède entre deux films. Déposer mon portable à la maison, aller chercher du pain et du fromage à Miyura-ya, revenir manger un morceau de gâteau offert à T. par une relation de famille venue chercher les cannes à pêche de son père...

Le deuxième film que je vois, je me demande même si l'on peut dire que c'est un film. Je veux dire que je m'interroge (positivement) sur le statut de ce cinéma. Ça innove dans le genre aujourd'hui comme Jean Rouch pouvait innover dans les années 50-60. Pendant 2h40, on suit ce qui se passe pour un groupe de Noirs arrivés du Congo, comment ils sont isolés dans l'aéroport, confinés dans une cellule, car il n'y a pas d'autre nom pour ce lieu, comment ils sont rapidement traités comme des animaux, insultés, empêchés de toilettes ou de boire par des policiers filmés en gros plan pour que l'on voie bien qu'ils sont apparemment comme tout le monde — mais qu'ils ont dû être spécialement triés ou formatés pour travailler là car ceux qui ne seraient pas racistes à la base ne pourraient pas rester dans ce métier. Ensuite on essaie de nuit de les remettre dans un avion, ils s'accrochent, crient, se laissent traîner, l'une est blessée par la porte d'un bus qu'on ne veut pas rouvrir, ça prend du temps, les passager réguliers vont arriver, mieux vaut cacher ces mauvais traitements — qui, tant qu'ils ne sont pas constatés, n'existent pas. C'est un peu Guantanamo, à Roissy. Justement, un agent du MAE (pour une fois, bénir ce ministère), passe « incidemment » dans ce couloir retranché de l'aéroport (c'est le mot qu'emploiera son supérieur), constate la présence de ces gens, leur air hagard, l'évidence des mauvais traitements, faxe des noms au ministère car les demandes d'asile ne peuvent pas être refusées — si elles sont reçues (en traitant ces êtres humains comme des animaux, les policiers peuvent ne pas entendre les demandes d'asile politique...).
Après, c'est le squat, l'interdiction de travailler contradictoire avec la nécessité de survivre en attendant que les autorités statuent sur la demande d'asilestatuer qui veut parfois dire attendre deux ou trois ans que ces gens meurent, s'entretuent ou soient pris à travailler, trafiquer ou je ne sais quoi d'interdit.
Blandine, que l'on suit depuis le début, 2h10 avant de la voir sourire !... La dignité, c'est quand même un peu comme le foie : dans de bonnes conditions, ça se reconstitue.
Pas de musique d'accompagnement du confort du spectateur, de longs plans fixes pour bien voir la déréliction et l'ignoble, des bouches qui s'ouvrent après beaucoup d'hésitation pour raconter chacune son drame personnel, les raisons de l'exil, de la transplantation de leur vie dans un autre continent, de la croyance en une hospitalité qui n'est pas au rendez-vous.
Car La Blessure (2004) de Nicolas Klotz est un film librement inspiré de L'intrus de Jean-Luc Nancy.
En tout cas, je ne verrais plus Roissy du même œil. Et les gens en uniforme, dans l'aéroport... Leur mutique service cache-t-il ce que je crains de maintenant savoir ?

Je franchis de nuit des continents et deux rues où la neige reste étonnamment blanche — ça gèle — pour rentrer dîner et voir à la télé une émission où l'on explique scientifiquement pourquoi les nabés aident à soigner le rhume — voilà pourquoi le mien a si vite passé !


Lundi 23 janvier 2006. L'adhésion aux yeux fermés.

Il s'agirait de dire
savoir dire pouvoir dire — quand
quelqu'un que l'on admire
pour ce qu'il crée fait promeut etc.
ce par quoi il s'est fait connaître à nous
dire donc quand
il devient lui-même le but avide
de la manœuvre et que la chose créée faite promue etc.
n'est plus qu'entonnoir de la notoriété vers lui
— créer faire promouvoir devenus mots vides
 — Et de dire qu'alors je le quitte
Parce que quant à moi
Je voudrais disparaître si je suis celui qu'on regarde à travers moi

Ce petit texte ne vise personne. Ou plein de gens. Il refuse le fanatisme, l'adhésion aux yeux fermés. Il revendique le quant-à-soi, le libre arbitre, l'intime conviction. Je l'ai traîné plusieurs jours, craignant qu'on le lise en l'appliquant aux personnes citées dans le même billet. Mais il est mûr, aujourd'hui, autonome, monade, bulle de savon de fabrication artisanale.

Matinée à trier du courrier (plus de 300 messages reçus et lus depuis la mi-décembre) pour archivage. En même temps, je regarde l'Arrêt sur images d'hier, sur la commission parlementaire des innocentés d'Outreau. Toujours aussi intéressante, cette émission. Mais pendant que l'on démonte l'échaffaud d'un coté, n'est-on pas en train de le monter de l'autre ? Sera-t-on serein pour écouter le juge ?
J'enregistre ensuite Jeux d'épreuves (sur Échenoz, Rosa Montero, Jean-Paul Enthoven et Patrick Suskind), mais n'ai pas le temps de l'écouter. Idem pour Une Vie une œuvre consacrée à Léon Werth tandis que j'imprime des articles sur Weyergans, sa vie son œuvre, pour tout à l'heure.

Rapide déjeuner à la maison avec T. (qui avance maintenant avec régularité dans sa rédaction — je dirai un jour tout ce qui l'en avait empêchée depuis cinq ou six ans). Je nous fais une salade tomate-concombre au thon et des côtes de porc sauce tomate puis nous finissons l'excellent gâteau aux fruits reçu hier.
Vais au centre de sport de Shibuya, sans T., parce que j'ai besoin de me bouger un peu. Je me sens rouillé.
Enfin, le GRAAL, de cinq à sept, où l'on parle pas mal des futures restructurations du monde universitaire japonais du fait de la dénatalité, avant d'en venir à nos moutons : le chapitre 2 de Trois jours chez ma mère.
Où est la limite entre la fiction, l'autofiction et l'autobiographie ? C'est très difficile à dire, déjà dans l'absolu, a fortiori devant une œuvre. Peut-on dire que Christine Angot a publié des œuvres d''autofiction mais pas Michel Houellebecq ?
Il faudrait savoir la vérité de la vie de l'auteur, sinon on parle dans le vide, en fait. Littérairement parlant, il faudrait surtout réussir à saisir la nature du contrat que l'auteur nous propose vis-à-vis de son livre et de son narrateur...
Puis excellent dîner, léger et peu onéreux, dans un petit restaurant japonais près de la gare d'Ebisu, Zen, poissons au miso, tempura, tofu au bouillon, salade de daikon et d'algues. Entre nous six, il est beaucoup question des relations entre Chine et Taïwan d'une part, et de ce qu'on appelle un bon écrivain d'autre part. La conclusion, le saké aidant, c'est que même en désaccord, nous restons amis. Mes camarades semblent penser que c'est souvent une qualité des Français. Ne pas faire du désaccord verbal une cause de rupture, dirais-je. Que des Anglais (ils en savent quelque chose) auraient parfois quitté la table. Des Allemands ou des Japonais aussi, peut-être... Certes, les généralisations sont dangereuses mais il y a peut-être un peu de vrai en ce que même si la parole est violemment contradictoire, les Français (des Français comme nous) garderaient toujours l'espoir de convaincre l'autre un peu plus tard...

Horie, le patron de Livedoor, peut-être coupable et probablement bouc-émissarisé, a été interpellé aujourd'hui. Je voulais justement en reparler car il y a un excellent billet avec des morceaux de japonais dedans chez Comme ça du Japon d'hier.
J'ai également appris ce soir que nous avions changé de commis... Je veux dire que la France a un nouvel ambasssadeur au Japon. Est-ce pour cela que le site de l'ambassade est inaccessible ce soir ? En revanche, celui qui vient de partir a orchestré son départ en arrêtant son blog. Je ne lui souhaite même pas bon vent.


Mardi 24 janvier 2006. Consistence engrammée.

Matinal shinkansen, casque aux oreilles pour continuer les découpages d'émissions de France Culture repiquées de MD  (réenregistrés dans l'ordinateur avec Total Recorder, tout le contenu d'un MD devenant un seul morceau mp3). Écoutant les débuts et fins d'émissions, tout en consultant un fichier texte dans lequel j'avais consigné les informations sur les émissions, je suis au rythme de 2 MD par voyage, soit une dizaine d'émissions mises au format mp3 et bientôt gravables. Au passage, je note qu'il faudra que je réécoute attentivement Une vie une œuvre d'août 2000 consacrée à Henri Michaux. L'été 2000, il y avait aussi eu une émission intitulée Cette année-là pour tirer en 45 minutes la quintessence musicale de l'année. J'écoute celle consacrée à 1976 et suis effaré que ces tubes aient trente ans. Le retour des Bee Gees, juste avant Saturday Night Fever, de même que Fernando d'Abba étaient exactement synchrone des Barbares de Lavilliers, du Gabrielle de Johnny Halliday ou du Carnet à spirale de William Sheller ! Sans parler d'Hotel California des Eagles, dix mille fois entendu...

Certains jours, je l'arrête, j'éteins, je change de station en disant que c'est de la merde, un attrape-mouches, une scie. Certains jours, j'en ramollis de frissons en mesure et m'y baigne une fois de plus. Dans le premier cas, mon surmoi juge l'objet commercial, très en contrebas, et méprise cet esclavage des masses. Dans le second, ma psyché se prend dans la figure mon image comme déglutie par la musique, quelque chose de ma consistence engrammé dans des notes de guitares électriques. Nous ne sommes pas d'un seul tenant, ni dans le temps ni dans l'instant.

« Hélène est une personne sûre. On l'aime tout de suite. Elle n'a aucune idée préconçue. Elle poursuit un sentiment sans tordre les situations, calculer les retombées. Elle ne veut pas non plus changer Lucas. Jamais, plus tard, lorsqu'ils, on peut dévoiler la fin, seront ensemble, elle, pour donner un exemple, n'essaiera de le pousser à acheter une surveste ou un trench pour faire de Lucas un type bien. On n'est pas de ce côté des choses. Elles ne tourneront pas bien pour faire envie.» (Alain Sevestre, Revolver, p. 162)

Après avoir lu la fin, toute proche, à quelques pages de là, on aura besoin de l'anachronisme et de l'incise, pour se faire une raison, un espoir. Ah, cruel ! Arrêter le texte juste quand les personnages sont enfin devenus sympathiques...

Froid et soleil. Déjeuner au Downey avec David et CM, tous les trois plus joyeux de parler d'étudiants que de collègues ou de l'administration. L'attachement continue dans l'heure qui suit à faire passer un examen. Ça vaut mieux puisque je vais bientôt partir un mois avec une trentaine de ces étudiants (stage linguistique) — alors que je refuserais assurément de partir avec une trentaine de collègues !

En enfilade, une semaine du Journal de Samuel Pepys (prononcer pips) en feuilleton radio. Bellement restituée, c'est la consistence d'une autre époque, fantastiquement loin de la nôtre. Mais dans une structure littéraire pourtant tellement proche de notre JLR, comme le Zibaldone de Leopardi, comme d'autres journaux faits de la variété de la vie quotidienne : événements personnels, bribes d'actualités de divers domaines, réflexions tous azimuts, etc.
Manière de répondre au commentaire d'Honoré fils & petits-fils d'hier. Non pas « installer directement de la réflexion | invention | création plutôt que commenter sans arrêt le déjà là, mais là selon des lois obsolètes, celles-mêmes qu'on dénonce », mais installer de la réflexion | invention | création à côté du sans arrêt déjà là selon des lois obsolètes qu'on dénonce très sélectivement. La vie est à ce prix.


Mercredi 25 janvier 2006. Excellent taux d'accès à la cible.

Le colis de ma famille (voir au 26 décembre) est bien arrivé — grand merci pour toutes ces bonnes choses ! Comme mon vélo est crevé et qu'il fait entre 0 et 3 degrés, David a eu la gentillesse de m'emmener à la poste en voiture pour le chercher. Parce qu'évidemment je n'étais pas à la maison pour le réceptionner lundi matin. Il y a une procédure téléphonique pour négocier un nouvel horaire de livraison à travers les choix d'une boîte vocale, mais tellement compliqué qu'on a plus vite fait d'y aller. Et puis ça nous sort du campus.

Le livre de Damien Galtier que j'avais demandé, La Diététique du sportif, correspond exactement à ce que je recherchais. Ni le genre recettes de cuisines avec petits conseils diététiques, ni le genre abstraite diététique des aliments pris séparément. Il part d'objectifs à court et moyen terme, pour l'entraînement, la compétition, la perte ou la prise de poids, la récupération, etc., et développe des stratégies diététiques laissant des marges de choix entre aliments dont la combinaison fait sens et expliquant ponctuellement les mécanismes de telle ou telle partie du corps.

Surprise en ouvrant le coffret de deux dévédés des Poupées russes, la suite de l'Auberge espagnole : il y a une carte publicitaire pour une chaîne de pizza à domicile. On voit évidemment la logique. C'est la première fois que je vois cela. D'habitude, il y avait de la pub pour d'autres films du même distributeur. Cette fois, ça signifie que le dévédé est tellement entré dans les mœurs que des annonceurs sont prêts à payer, sans doute avec un excellent taux d'accès à la cible. Sauf que pizzas et boissons sucrées, associées à la sédentarité écranique, ça va faire encore plus d'obèses. D'où l'utilité accrue du livre de diététique...

J'allais jeter les boules de papier froissé utilisées comme bourre par ma mère ou ma sœur pour caler les éléments du colis, quand mon regard accroche sur un titre, Ripoux 3. Je déplie et aplanis les feuilles et découvre le programme de télévision des 8, 9 et 10 janvier, sans doute juste périmé au moment de la mise en boîte. J'essaie d'imaginer ce qu'ils ont pu choisir, dans tout ça. J'ignorais qu'on avait tourné un troisième Ripoux. Comme si le premier ne suffisait pas déjà amplement. C'était sur TSR1, une chaîne que je ne connais même pas. Tournant la page, je vois qu'il y avait aussi Les Patriotes d'Éric Rochant (1994), sur Arte, franchement pas terrible, selon mon souvenir. Et puis sur M6, Ni pour ni contre (bien au contraire) de Cédric Klapisch (2003), suivi de L'Appât de Bertrand Tavernier. Une soirée Marie Gillain, en somme. C'était peut-être le mieux à se faire, ce soir-là. Enfin, si on se sentait obligé de regarder la télé...
Ça me paraît loin, quand même. Je n'ai plus ce type de choix. Je lis sur papier, sur écran ou je vais voir des photos lointaines, je regarde un peu d'infos japonaises, je choisis le film que je veux voir, j'écris mon journal ou du courrier. La télé est vraiment passée au second plan.
Justement, ce soir, j'ai regardé Feux rouges, de Cédric Kahn (2003) (il faut que j'écrive au collègue qui me l'a prêté pour lui dire que je l'ai retrouvé). Très moyennement intéressant. Je ne sais pas comment est l'atmosphère du roman de Simenon mais le film souffre de trop de plans tournés en voiture, d'un certain manque d'originalité dans la construction. La meilleure séquence, je trouve, c'est quand Darroussin passe coup de téléphone sur coup de téléphone depuis le comptoir d'un bar ; il a repris ses esprits après les errements de la nuit, reconstitue par bribes le parcours de sa femme et finit par la localiser dans un hôpital.

Reniant ses principes pour être admis en Chine, Google baisse dans mon estime. Exalead le remplacera-t-il ? Ainsi va le monde, le jeune idéaliste devient un vieux requin, toujours plus intéressé par l'argent et le pouvoir.
Entretien avec Kenzaburo Oe dans le Nouvel Obs. Le même journal propose aussi de poser des questions à Sollers, « invité des forums » en ligne le 13 février de 17h à 18h30. Je me demande ce que ça peut donner, ce genre de rendez-vous...

J'en préfère d'autres, actuellement.
« L’an dernier j’ai consacré trois mois à n’écrire que trois poèmes sur le jardin que vous avez en face de vous. Et j’étais à l’écoute. Je cherchais simplement par quel moyen verbal transmettre un peu de ce que je pouvais percevoir dans le silence.» (Henry Bauchau, Nous ne sommes pas séparés, entretien avec Yun-Sun Limet, chez Remue.net — je me souviens très bien du feuilleton de France culture d'après Œdipe sur la route, actuellement sur des MD pas encore transférés en mp3, mais ça viendra).


Jeudi 26 janvier 2006. Dans le marbre de mémoire.

J'ai bien fait.
Hier soir, j'avais reçu un courrier m'informant, comme tous les enseignants de l'Institut, qu'en raison de l'affluence de réservations pour Rois et reine samedi (+ rencontre avec Desplechin), il y aurait une projection privée ce jeudi à 15 heures. Jouable... Je donne mon examen de 9h30 à 10h20, je plie bagages, déjeune rapidos, fonce au train... Bien éveillé, à plus de 300 à l'heure, ce ne sont pas deux MD que je convertis en mp3 mais cinq ! (dont trois excellents Du jour au lendemain de janvier 2001, l'un avec Hélène Cixous, un autre avec Jean Baudrillard, le dernier avec le regretté Pierre Sansot).
Pas beaucoup de monde à la séance, la plupart des personnes prévenues n'ayant sans doute pas pu se libérer. Et puis comme je l'ai déjà dit à propos des séances et conférences régulières, la quasi-unanimité des enseignants de l'Institut se désintéresse totalement et ostensiblement des activités culturelles de l'établissement dans lequel ils enseignent — alors qu'ils sont censés se cultiver un minimum pour représenter quelque chose de français, à défaut de le souhaiter intimement... Bref, je laisse les moulins tourner...

Des galaxies qui se heurtent — voilà ce que j'ai d'abord pensé du film, une gigantomachie directement tirée du quotidien et des malheurs d'une famille à peine plus compliquée que les autres. Mise en scène, cadrages et mouvements de caméra portée font un effet de loupe tour à tour sur chacun des personnages, renforcé par la compréhension que donnent les flash-back narratifs, montés comme des tirs chirurgicaux. L'articulation posée d'Emmanuelle Devos, diction théâtrale de l'épanouissement floral, contraste autant avec l'outrance comportementale d'Ismaël qui se la joue (Mathieu Amalric) qu'avec le détachement douloureux du père écrivain (Maurice Garrel), atteint d'un cancer au dernier stade. Quand le comique, à ce point et sans honte, le dispute au tragique, quand l'hybridité d'une écriture est si magistralement assumée, on ne peut être que devant un très grand film, meilleur que Comment je me suis disputé... En fait, c'est la profondeur trouble de certains films de Bergman (et je vois a posteriori que je ne suis pas le seul à y avoir pensé).
Évidemment, il y a des scènes anthologiques que les acteurs nous gravent dans le marbre de mémoire : Nora (Emmanuelle Devos) au téléphone avec sa sœur, Ismaël au musée avec l'enfant de Nora, Maurice Garrel d'outre-tombe disant sa lettre, Jean-Paul Roussillon agressé jovial en sa boutique...
« Le cycle des malheurs s'est arrêté », dit Nora à la fin, façon interview. Mort du père, problèmes familiaux, je ne peux m'empêcher de penser à T. et d'espérer que pour ici aussi Nora dit vrai.
Il m'est d'ailleurs difficile de parler normalement à Jephro ou à Cedric que je croise après le film. Mais je n'oublie pas de remercier Abi pour le message qui m'a permis de venir.
Je préviens mes lecteurs susceptibles de venir samedi que la séance de 15 heures sera comble mais qu'il y aura une séance supplémentaire à 19h30 (qui finira donc vers 22h10, faut y faire gaffe, pour certains).

Le canapé est arrivé hier et T. en est enchantée (photos demain, peut-être). Ce matin, un ami bricoleur est venu monter une étagère qu'il a fabriquée à notre demande, avec des planches de trois centimètres d'épaisseur, hauteur 90 et profondeur 50, c'est pour du rangement solide et servir de plan de travail à une personne qui ouvre simultanément sept ou huit gros livres et dictionnaires — on aura reconnu T. quand elle travaille. Elle m'y emmène après le film, car c'est notre film qui continue, et le même appartement l'an dernier arpenté par son père, hanté par les ancêtres, devient petit à petit un lumineux bureau de chercheuse et de traductrice.

« Sunsiaré de Larcône était venue [...] m'apporter le manuscrit de son roman, La Messagère, sur le conseil de Jean-Claude Brisville qui pensait que je pourrais y intéresser la maison Plon. Le roman m'avait agacé par son narcissisme naïf et son symbolisme bécassin, mais je retiendrais la romancière.
[...]
Si l'on pouvait parler de quête à propos de Sunsiaré, il s'agissait surtout pour notre Jasone de se trouver un Jason. J'avais cru bien faire en la présentant à Julien Gracq. Notre probe artisan des lettres s'était soumis à l'épreuve probatoire qui consistait en une équipée en forêt du Perche ; elle en était revenue bredouille et seule au volant, son compagnon ayant préféré revenir par le train. « Je vous ai compris », aurais-je pu dire à Gracq après la mort de Nimier. La dernière fois que j'étais monté aux côtés de Sunsiaré, dans sa décapotable, lui voyant quitter le volant des mains en griffant l'accélérateur de son joli pied nu et tourner son sourire de mon côté — le côté du « mort » —, je m'étais dit :
« Jamais plus.» Après l'accident, l'enquête diligentée par les compagnies d'assurances n'avait pu aboutir, les deux corps ayant été éjectés. Pour Antoine Blondin il ne fait pas de doute que Sunsiaré était au volant.» (Guy Dupré, Les Manœuvres d'automne, Éditions du Rocher, [1989] 1997, p. 11-12)


Vendredi 27 janvier 2006. Fouilles en terre et en tête.

Film du matin : Les Yeux clairs (Jérôme Bonnell, 2005) — Note : A.
Sobre et pudique fouille d'un blocage familial et comment en sortir...
L'homme des bois sait changer une roue ! (dit avec le ton de « Conchita, elle connaît le mambo ! »...)

Film de l'après-midi : Les Invisibles (Thierry Jousse, 2005) — Note : B+.
Étonnante version bruitiste du Chef-d'œuvre inconnu, fouille otoscopique...
Moi-même passionné de l'oreille et volontiers voleur de sons, ça n'a pu que me plaire. Mais que Lio joue mal !
Content de voir que la monteuse s'appelle Tatjana Jankovic, amie d'école, perdue de vue depuis plus de dix ans... (et grand bonjour, si tu passes par ici !)

Entre les deux : photos de fouilles archéologiques sur le terrain mitoyen (à venir demain), déjeuner avec collègue charpentier & vernisseur.




Soirée : préparation cours Colonel Chabert (p. 119-136) — cause du style télégraphique (que certains préfèreront peut-être).

Ai-je besoin de parler de Mozart ?... Non, hein.
En revanche, parlons de Netizen ? Quelqu'un l'a-t-il vu ? Lu ? Ça vaut le coup ou c'est que de la daube ? En tout cas, l'UMP a l'intention d'en faire son beurre... Ils sont d'accord, chez Netizen ?


Samedi 28 janvier 2006. C'est à l'accusé d'apporter la preuve de son innocence...

Cours sur Le Colonel Chabert. Des pages 111 à 119 (en folio classique), Balzac fait quelque chose de superbe. Il ouvre la parenthèse des « méditations » de Derville, ballotté par la voiture qui l'emmène de (chez Chabert, ce qui est aujourd'hui le quartier de) Campo-Formio (voir samedi dernier) à la rue de Varenne (chez la comtesse Ferraud, du plus pauvre au plus chic du Paris de 1818). Parenthèse qu'il ferme à la page 119 en le « sortant de sa longue rêverie ».
Entre les deux, sur sept pages, c'est-à-dire dans le temps que lui laisse le cocher, le narrateur nous ficelle les parcours du comte Ferraud, de la veuve Chabert et de leur avoué Delbecq, ce qui fait que notre temps de lecture est synchrone au transport de Derville. Les conclusions convergent sur le point faible de la comtesse : être née Rose Chapotel... L'entrevue avec elle confirme que Derville peut la faire payer.
Mais c'est sans compter avec deux petites erreurs qui montrent bien qu'elle et eux ne jouent pas dans la même cour. L'une de Derville qui répond positivement quand la veuve Chabert lui demande si son mari l'aime encore. L'autre, c'est Chabert qui s'emporte et entre trop tôt dans la pièce où se trouve sa femme, lui révélant des sentiments différents du « flegme militaire » (p. 95) qui aurait pu le faire gagner.
Plus largement, Balzac met parfaitement en scène l'opposition complexe entre d'un côté des personnages sur la défensive, ceux qui ont des positions nobles et des fonctions classiques, disons tout l'héritage social et littéraire de l'Ancien Régime (ici, Ferraud comme Chabert), et de l'autre côté des personnages actifs, ceux qui sont en train de créer ou qui savent utiliser les nouvelles règles du monde, avocats, avoués, dans cette nouvelle, ailleurs d'autres professions libérales ou de services auxquelles le roman jusqu'à Stendhal (inclus) réservait la figuration. Les héros gris du social et du légal prennent la place des héros lumineux des vertus et des dignités.

Déjeuner au Saint-Martin.
Puis ménage dans l'appartement de feu le père de T., qui commence à changer d'aspect. Nouveau canapé, nouvelle étagère, réorganisation. Les ancêtres et leurs stèles y ont leur coin, bien sûr.

Passage rapide à l'Institut pour voir la foule se presser à la conférence d'Arnaud Desplechin, entre les deux séances de Rois et reines, affichées complètes dès 10 heures du matin (en arrivant pour mon cours, vers 9h20, j'ai trouvé une queue de 150 personnes, avec quelques amis dedans).
Desplechin était au fond de la médiathèque. Je suis allé le saluer, lui donner ma carte, dire en quelques mots que j'appréciais beaucoup son travail et que j'en parlais ici même. Mais je ne suis pas resté pour écouter ce qui, de plus en plus, paraît nuisible à mon appréciation des films — je ne parle que pour moi.
Amical salut renouvelé, s'il passe par ici un jour.

Découverte du Tigre, à paraître, un journal avec un R de réel qui aurait mis du baume dans son capital.

Beau décryptage de Grégory Rzepski : comment une sociologue un peu magicienne, Monique Dagnaud, désembourbe Finkielkraut dans Le Monde grâce aux courriels reçus par France Culture. Il y a quelques temps, je disais que je ne signerais pas une pétition contre Finkielkraut. Maintenant, je me demande si je ne vais pas en écrire une !
Quoi qu'il en soit, pour devenir une vraie sociologue, il faudra que cette dame comprenne que la majorité (des auditeurs) qui ne s'est pas exprimée n'en a pas moins un avis, et qu'il est sans doute différent de ce que l'on fait dire à la minorité, qui s'exprime d'ailleurs sous le coup de l'émotion. Une telle sociologie de bazar nuit à cette discipline déjà un peu mazoutée par les cargos idéologiques échoués.

Pour finir en beauté, Florence Aubenas fait le point dans Libération d'hier, je le mets là parce que c'est précieux :

« Outreau, l'emballement des téléspectateurs
Personne n'aurait imaginé que c'est l'audimat qui ferait un jour flamber la renommée de la chaîne parlementaire (LCP) et c'était si peu prévisible qu'aucun instrument n'a été prévu pour mesurer l'audience quotidienne de ce canal dont l'aride spécialité consiste à retransmettre des débats à l'Assemblée et au Sénat. Depuis dix jours, sur LCP, les programmes volent en éclats, les émissions sont reportées et les téléspectateurs palpitent à l'heure des trois séances hebdomadaires de la commission sur l'affaire d'Outreau. Ce sont bien sûr les auditions des 13 acquittés qui ont lancé la machine la semaine dernière : leurs dix heures d'antenne, diffusées en direct, ont été retransmises une première fois dans la nuit, puis, face à la demande, à nouveau pendant le week-end. Cela n'a pas suffi à endiguer l'engouement. LCP est débordée d'appels. «Existe-t-il une cassette, un DVD ?» demandent des courriers. «Si oui, où les trouver ?» «Vite, c'est pour offrir», précise une femme au téléphone qui s'effondre en apprenant que les enregistrements ne sont pas (encore ?) disponibles.

Cette semaine, 13 avocats étaient à leur tour entendus par la commission, programme qui pouvait sembler moins télégénique que le défilé des innocents, voire même répétitif puisque cinq défenseurs avaient déjà été auditionnés. L'audience ne faiblit pas.

Mercredi soir, maître Thierry Normand témoigne : «Au début, Outreau était pour moi un dossier triste, banal, local.» Au moment de l'instruction, c'est lui, le bâtonnier de Boulogne-sur-Mer, que le conseil général du Pas-de-Calais s'était choisi pour assister 10 des 17 enfants se disant victimes, voulant ce qu'il y avait de mieux pour la nouvelle «priorité gouvernementale» : la chasse au pédophile. Normand se voûte devant la commission. Avec lui, pour la première fois depuis les six acquittements à Paris, l'épopée judiciaire d'Outreau n'est plus racontée du côté des acquittés. On est passé sur l'autre versant du dossier, ceux qui soutenaient l'accusation. Normand dit qu'il conserve toute son estime à celui qu'il appelle toujours «Monsieur le magistrat» : Fabrice Burgaud.

Coulisses. Dans le couloir de l'Assemblée, deux responsables de LCP décident cette fois encore que le journal sera annulé pour continuer la diffusion en direct. Il est 20 heures. A la chaîne comme ailleurs, les messages de téléspectateurs continuent de tomber. «C'est bien, on se croirait dans les coulisses du tribunal.»

Dans la salle, l'audition de Normand se poursuit. En septembre 2001, l'instruction fait un nouveau pas à Boulogne-sur-Mer. «Des bruits se sont mis à circuler au palais de justice, et même en ville, que des adultes d'une certaine position sociale étaient en cause», se souvient Normand. Il file consulter le dossier dans le bureau de «Monsieur le magistrat». Quatre enfants accusent désormais ceux que la rumeur appelle déjà «les notables», un curé, un chauffeur de taxi ou un huissier. «Je n'avais jamais lu une chose aussi horrible. J'ai vu les enfants, ils étaient cassés. A cette époque, je n'avais aucun doute.» Normand dit qu'il n'est pas le seul. «Certains de mes collègues de la défense étaient aussi révulsés que moi. 95 % des magistrats y croyaient.» L'avocat lâche une de ses formules qui vont faire alors la une de la presse. «Nous avons atteint le degré zéro de l'humanité.» Aujourd'hui, il dit : «C'est très difficile à vivre. Des gens que j'ai considérés comme coupables étaient innocents.»

En janvier 2002, un nouvel événement achève d'«incendier totalement le dossier». Pour prendre ceux qui l'accusent à leur propre piège, Daniel Legrand, 20 ans, affirme avoir assisté au meurtre d'une petite fille à la Tour du Renard. Philippe Houillon (UMP, Val-d'Oise), rapporteur de la commission, est le seul des 30 députés à avoir eu le droit de lire l'intégralité du dossier pénal. Il rappelle que deux des enfants sont alors interrogés : l'un parle du meurtre d'une petite fille, l'autre d'un bébé. «Vous n'avez pas relevé cette contradiction ?» Normand soupire. «Les conversations de couloir faisaient penser que plusieurs enfants pouvaient être concernés. Il y avait le syndrome de l'affaire Dutroux, une émotion galopante, dangereuse. L'avocat est un extraverti, qui n'est pas insensible à la médiatisation d'une affaire. Je dois faire amende honorable pour un ou deux propos que j'ai tenus.»

Aucun cadavre. Devant la même commission, hier, William Julié, avocat de la défense cette fois, va lire la transcription de ces «un ou deux propos» de Normand : le récit détaillé du meurtre d'une enfant aux journaux télévisés. Aucun cadavre ne sera jamais trouvé. Au téléphone, certains téléspectateurs de LCP renâclent. «Pourquoi les avocats sont en costume et pas en tenue ? Cela ferait plus vrai.»

Maître Julié se souvient de Karine Duchochois, qui entre dans son bureau et se dit innocente. «Comme beaucoup de gens qui viennent me voir», assène Julié. «J'ouvre le dossier mais je ne me dis pas tout de suite que c'est vrai. Je ne connaissais que les images médiatiques dont j'avais été bombardé comme tout le monde. Karine Duchochois était accusée par trois personnes, c'est toujours délicat. Même si les textes disent le contraire, c'est à l'accusé d'apporter la preuve de son innocence quand il y a plusieurs paroles contre la sienne.» Devant la cour d'assises de Saint-Omer, Julié dit qu'il a eu de la chance. «Ma cliente a fait bonne impression. Je dois dire aussi que j'ai été étonné quand la presse s'est retournée à 180 degrés. Je pense qu'on a une réflexion à mener : 9 millions de téléspectateurs regardent la maison de l'huissier en janvier 2002 puis pleurent avec lui après son acquittement. Il y a quelque chose qui me dégoûte profondément.» Et, droit devant les caméras de LCP, il lâche tranquille : «A la fois, moi aussi, quand je sortais de la salle d'audience à Saint-Omer, je me disais : "Pourvu que je passe à la télé." Je suis un jeune avocat qui a besoin de se faire une situation.»

Depuis la retransmission de leurs auditions, certains des acquittés reçoivent des messages et des cadeaux de téléspectateurs, bien plus qu'après le verdict des assises. Comme si leur innocence s'était plus véritablement révélée à l'écran que devant la justice. Dans les entreprises, on enregistre déjà des demandes de congé pour suivre en direct l'audition du juge Burgaud, prévue le 8 février.»



Dimanche 29 janvier 2006. Gueule de pronétaire.

Un dimanche de repos. Pas de ping-pong. Soleil.
Lecture dans mon bain (Weyergans donne trois chapitres de Weyergraf, p. 161-234, deuxième et troisième couches spéculaires, affligeant), et mise à jour de l'index du JLR avec les noms propres de décembre (c'est en ligne).

Une heure de marche après le déjeuner, en écoutant Christine Angot (le dernier entretien avec Laurent Goumarre, sept. 2004) — décidément, j'aime bien Christine Angot, je me souviens que c'est Anne qui me l'avait recommandée, vers 1998, c'était Interview (1995), à ce moment-là, avant l'Inceste. Puis j'écoute le feuilleton sur Cézanne (cinquième épisode), qui parle incidemment de Frédéric Bazille, mort au front.
Si la neige vous confine, allez faire des rébus de Cham (très difficiles), ou sortez au grand air et voyagez avec Philippe De Jonckheere qui revisite l'Atelier de Bazille, dont Jean-Claude Bourdais avait remis l'étude sur le métier. Bientôt, on vivra plus de choses intéressantes dans nos blogosphères que dans la vraie rue...

À découvrir à Orléans, quand j'y serai, pour lire.
Pronétaire, pronétaire, est-ce que j'ai une gueule de pronétaire ?

Entendu sur France Info hier soir :
« Les Chinois fêtent le nouvel an chaque année.»
Oh oh ! (Je promets que ce n'est pas tronqué, ni avec un sens différent selon le contexte.)


Lundi 30 janvier 2006. Ambiguïtés et ambivalences de la virtuosité.

Quand Pierre Assouline dégoise contre Le Clézio et Sollers, c'est tellement mieux que d'habitude qu'on dirait presque un blog !

De l'usage de l'astérisque dans Google. Il semblerait que ce soit nouveau. Je me souviens d'avoir essayé il y a deux ou trois ans, sans résultat. Mais aujourd'hui, sur une brève de Zorgloob, je viens d'essayer une structure phrastique historique : "A sera X ou ne sera pas", résultat : 141.000 occurrences.
On s'amusera aussi de cette formulation hugolienne...
Essayez et si vous trouvez des requêtes édifiantes, donnez-les-nous !

Ai reçu ce matin copie du message suivant, relatif à la plainte déposée par le Mouvement de protestation contre les propos du maire de Tokyo, M. Ishihara, concernant la langue française. Je ne pense pas pouvoir y aller, le 3, mais je soutiens et diffuse, en rappelant que le calamiteux ambassadeur de France, remplacé depuis peu, avait veulement refusé de s'y associer :
« La troisième audience du procès que nous avons intenté au maire de Tokyo — nous sommes aujourd'hui 35 plaignants Japonais et Français — aura lieu le vendredi 3 fevrier 2006 à partir de 10 heures au tribunal de Tokyo et si vous souhaitez y assister sentez-vous libre de le faire puisque ce n'est pas à huis clos.
Les deux premières audiences se sont avérées positives et nous avons pu exposer nos griefs de façon très précise. Les juges — au nombre de trois — se sont montrés très attentifs. Lors de la deuxième audience, le juge principal a demandé aux avocats de M. Ishihara à quel titre il avait tenu ses propos concernant la langue française et à quel titre les avocats de monsieur Ishihara assuraient sa défense : en tant que maire de Tokyo ou en tant que personne privée. Les avocats du maire de Tokyo ont demandé un delai de réponse et nous savons désormais que M. Ishihara a "soi-disant" tenu ces propos à titre privé et que sa défense sera donc assurée dans ce sens par ses avocats. Quant à nous, nous trouvons très étrange que la mairie de Tokyo se soit fait le relais des propos racistes et insultants de M. Ishihara, puisque la vidéo dans laquelle ce dernier s'essuyait les pieds sur la langue francaise est restée visible sur le site officiel de la mairie pendant plus de huit mois. Ce site est mensuellement visité par environ 700.000 personnes, et la salle de conférence où M. Ishihara a tenu ses propos est également une salle de la mairie de Tokyo.
Comme vous l'avez peut-être constaté, notre site internet n'a pas été tenu à jour ces dernières semaines. Nous sommes désolés de ce contretemps et vous prions de bien vouloir nous en excuser. Nous veillerons dorénavant à ce que toutes les informations concernant l'évolution de ce procès soient sans délai accessibles à tous. Nous vous remercions de votre soutien et vous prions de croire à notre total dévouement à la cause de la langue francaise.»
Adresse du tribunal : 1-1-4 Kasumigaseki,
Chiyoda-ku, Tokyo
(Sortie A1 du métro Kasumigaseki)
Salle : 627


Aidant T. à des détails de sa bibliographie, je tombe par hasard sur un site jusqu'ici inconnu (malgré tout ce que je brasse !), qui se révèle être une mine, que dis-je, une caverne d'Ali Baba, un Eldorado culturel : Canal Académie. Je n'ai pas souvenir d'aucune présentation de ce site...
Il s'agit en fait d'une compilation d'interventions dans le cadre de l'Académie des Sciences Morales et Politiques, qui est une des honorables branches de l'Institut de France. Je me suis inscrit au Salon de discussion et m'y suis trouvé seul devant un unique sujet (Quel avenir pour la recherche en sciences humaines et sociales ?). J'ai tenté d'y déposer le message suivant mais n'ai pas obtenu de retour après le clic sur envoi... Est-ce soumis à modération ? Est-ce perdu ? Eh bien non, puisque c'est ici :
« Dans une fiction futuriste en ligne, Jean Baubérot s'amuse à stigmatiser les blocages institutionnels en l'an 2106 : "Le plus considérable d’entre eux est sans conteste la réunification de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales en une Ecole Sociale et Pratique des Hautes Etudes Scientifiques (ESPHES), ce sigle simplificateur ayant été trouvé au bout de seulement dix années de travail acharné." Pour ma part, très surpris de découvrir ce site asmp.fr et la radio CanalAcadémie, je me permettrais seulement de vous demander ce que vous avez fait pour faire connaître ces extraordinaires ressources — que je vais m'empresser de faire connaître avec mes moyens, notamment par la liste de discussion LITOR...»
Qui a dit que nos académies sont désuètes ou obsolètes ? Si elles se proposent à nous dans les atours des nouvelles technologies, il y aura bien des préjugés à revoir ! Et de nouvelles façons de nous y investir.

GRAAL sur Weyergans...
Aujourd'hui, je souhaitais que nous parlions de la virtuosité. Plus exactement, des ambiguïtés et ambivalences de la virtuosité. Tout d'abord, l'établir, pour Weyergans, en s'accordant sur une définition, celle du TLF : la « maîtrise parfaite d'une technique instrumentale
Exemple, dans Trois Jours chez ma mère, les pages 76-82 (prises comme exemple car on la trouverait à peu près partout). 1. Convocation pour les impôts et difficulté d'y être avant seize heures. 2. Saint du jour (à entendre aussi seins du jour, pour la suite), la Saint-Juste. 3. Association lexicale avec Bouvard et Pécuchet (Juste et François). 4. Souvenir d'une fête boulevard Bourdon, d'y avoir dragué une styliste danoise qui ne connaissait ni Dreyer, ni Kierkegaard. 5. Draguer en parlant d'Andersen le fait passer pour immature. 6. Anecdotes sur les écarts d'âge entre le narrateur, homme à femmes, et ses jeunes conquêtes. 7. Aux impôts, il est reçu par une belle fonctionnaire qui le trouble fort et l'amène à signer n'importe quoi. 8. Il écrit une pseudo-fiction pour raconter qu'il voulait faire un chèque à ses « seins triomphants » (Baudelaire), et qu'en appeler à Kant pour juger d'une belle femme n'était guère efficace. 9. Souhait d'envoyer son prochain livre à la belle fonctionnaire mais certitude de devoir la revoir avant. 10. Achat de fleurs pour sa femme à qui il rêve d'offrir une maison, s'il avait de l'argent alors que la littérature ne rapporte guère. 11. Exemples spirituels de brefs messages écrits que sa femme lui destine, dont un qui reprend le thème du lève-tard par lequel s'ouvre le passage...
L'observation de ces digressions successives, qui sont en fait très maîtrisées, amène à constater la virtuosité, associée aux dilemmes de l'homme à femmes qui aime sa femme, de l'homme de goût tirant le diable par la queue, et de l'homme qui écrit le livre qu'il n'arrive pas à écrire.
Et l'on aime beaucoup, sur six pages. Mais répétitivement, sur la longueur, c'est lassant. Enfin tout cela reste très ludique, sans pathos, n'arrive pas à nous toucher (humainement, je veux dire) — or l'auteur ne veut peut-être pas nous toucher, dans ce sens pathétique, qu'il méprise. Il y réussit, donc.
Car la virtuosité pour elle-même est stérile. Il le sait, sans doute. Mais la virtuosité au service d'une cause est... servile. Être un virtuose amusant ET antipath(ét)ique, ou être un bon ouvrier servile du roman contemporain, Weyergans a choisi son camp. Et le Goncourt vient compléter son diallèle : il peut maintenant l'acheter, sa maison.


Mardi 31 janvier 2006. Congénères dans le désert.

Ah, ça ! Ça fout un coup ! Moi aussi, je viens d'apprendre le décès de Nam Jun Paik... Je ne connais pas toute son œuvre, loin de là, mais pour ce que j'en connais, c'est quelque chose qui m'a toujours enthousiasmé et fortement interrogé. Je crois que j'ai dû voir quelque chose de lui, la première fois, en allant à une exposition West Kunst... quelque chose, j'ai oublié le titre, à Cologne, en... 1981 ? 1982 ?... Avec Jacques, dans son Opel, on avait fait le voyage rien que pour ça.

Ce qui suit ne va pas remonter le moral. C'est tout simplement a-hu-ri-ssant !
Pire que tout ce qu'on pouvait imaginer, les pratiques de licenciement chez Carrefour !
Extrait : « Les caméras cachées, c’est une pratique très courante au niveau national. Une grosse partie du travail des agents de sécurité, c’est la surveillance du personnel, non des clients. Et pour la surveillance, tous les moyens sont bons : il n’y a aucune limite temporelle ou financière. On ne badine pas pour faire installer le dimanche après-midi 200 mètres de câbles pour relier de nouvelles caméras. De chef à chef, ils se refilent les infos pour savoir où acheter le matériel. Que cela soit clair, ces caméras sont uniquement destinées à surveiller le personnel et à faire tomber un maximum de gens. Toutes les semaines, les chefs de sécurité s’envoient leur palmarès.»
Que dire après ça...

J'ai fait ma journée. Oui, au sens où je l'ai banalement vécue, comme d'autres, ailleurs. Puisque mon tour n'est pas venu de disparaître, et puisque rien d'extraordinaire ne m'est personnellement arrivé. J'ai regardé Arrêt sur images de dimanche, sur la préférence des journaux télévisés pour les mauvaises nouvelles, avec David Pujadas — moyen. Le plus intéressant était à la fin, quand Chloé Delaume la ramène sur le sexisme et le travail à charge de la précédente émission, consacrée à Ségolène Royal — et elle avait bien raison. L'émission sur les innocentés d'Outreau fait encore parler d'elle chez Acrimed...
Puis bossé à l'écran le reste de la matinée. Allé déjeuner sous un désagréable crachin avec T. au Saint-Martin. On a échangé nos garnitures. Seul, je suis allé au centre de sport où, pédalant, j'ai presque fini Macaire le Copte (1981), un des premiers livres de François Weyergans, que j'avais commencé avant-hier.
Qu'en dire ? J'ai trouvé trois coquilles qui ont dû être transférées de l'édition originale à l'édition folio. Donc, pas de relecture ? Enfin, ce n'est qu'un détail.
Sur le fond, c'est très intéressant, ce moine du IVe siècle qui cherche l'ascèse en faisant le tour des pratiques monacales de ses congénères dans le désert. Pas accablant d'érudition ni de prosélytisme déguisé, mais un panorama plutôt comique des refus séculiers, sans doute en rapport avec les convictions de l'auteur — qui ne semblent pas très différentes vingt-cinq ans plus tard. Ceci dit, s'il fait pareil avec l'argent du Goncourt, il doit y avoir une queue de solliciteurs à la porte de sa (nouvelle ?) maison...

« Un autre frère vint déranger Macaire en pleine nuit. Il voulait lui confier une certaine somme d'argent qu'il avait peur qu'on lui vole. « Pourquoi ne te débarrasses-tu pas de cet argent en le donnant au premier venu ? », s'étonna Macaire [...]
— Le moine ne doit rien posséder, conclut Macaire. La possession est ce qu'il y a de pire.»
(François Weyergans, Macaire le Copte, Gallimard, coll. folio 1543, 1981 [rééd. 1984], p. 135-136)

Éric Meunié : « Pour moi, la littérature, c'est la vanité, c'est pas autre chose. Ça sert à rien, ça n'a jamais rien produit, ça n'a jamais rien changé et quand on le fait, on a l'impression que le monde va en être totalement rénové. C'est un souci... J'en suis pas très heureux...
Pascale Casanova : — Par exemple : "Il n'y a pas de meilleur lecteur pour un écrivain raté que l'écrivain qui a soulagé sa vanité par quelques livres qu'il croit repérables. Il porte sur le premier un regard bienveillant, lavé de toutes les scories de son propre style, libre de toutes les phrases dont il se sait capable, et tous avec moi, croit-il. La communauté se réduit aux écrivains qui se lisent pour s'entretoiser et se remettent à l'ouvrage lorsque le livre d'un alter ego semble dépasser leurs prétentions."» (Extrait de l'émission les Mardis littéraires du 17 janvier 2006, avec Antoine Volodine, Éric Meunié et Philippe Vasset. Pascale Casanova lit un extrait de Poésie complète d'Éric Meunié, chez Exils, préfacé par Éric Chevillard. Meunié sera à écouter en public le 17 février à Paris.)

Fin de journée en écoutant le Bien Commun sur le droit d'auteur. Puis Assia Djebar à Voix nue (Pierre Belfond, la semaine dernière, c'était très bien aussi...).

©Berlol, 2006.