Glouchenko ! / Quand la vidéo révolutionne (vraiment) le théâtre

Aurélia Hillaire, « Glouchenko ! / Quand la vidéo révolutionne (vraiment) le théâtre », [site] Rue du théâtre.eu, 26 juillet 2010.

Pour mémoire :

Le Bardo Thöddol, le livre tibétain des morts, fait état d’un sas entre mort et renaissance : traversée de quarante-neuf jours en territoire flottant qui mettra à l’épreuve le défunt, avec, à la clef, la renaissance ou une nouvelle réincarnation. C’est sous l’angle décalé du roman d’Antoine Volodine que David Girondin Moab choisit de mettre en scène cet après-décès. Alors, « Bardo or not bardo »?

«Glouchenko!» La voix grave d’un bonze interpelle le soldat : «Tu es mort Glouchenko! Tu es dans le bardo». L’homme est plongé dans une obscurité épaisse où il ne reconnaît aucun des objets parmi lesquels il croit s’être endormi sur son lit d’hôpital. C’est sûr, il s’agit d’une mauvaise blague des gars de la compagnie : ils ont éteint le compteur, l’ont déplacé pendant son sommeil en un lieu inconnu. Le moine a beau lui lire le Livre des morts, son camarade mort quelques jours plus tôt lui partager ses impressions au téléphone, Glouchenko n’y croit pas. Et plutôt que d’affronter les pièges de la réincarnation en allant vers la « Claire lumière » qui montre la voie du repos éternel, s’enferme dans un profond sommeil.

La scène est d’autant plus incongrue qu’elle est couverte par un reporter de l’au-delà : micro et casque sur les oreilles derrière une vitre, il informe d’improbables auditeurs de l’expérience que vit -façon de parler- notre militaire trépassé. Récit objectif qui vire parfois au commentaire personnel, pour lequel il ne manque pas de se faire rappeler à l’ordre. Tiens, tiens… même là-bas…

Seule note un tant soit peu politique dans un théâtre qui n’a rien d’engagé, du moins au sens où l’on aime interprété. C’est dans la recherche marionnettique que David Girondin Moab jette ses forces et sa sensibilité. Lancé dans cette exploration d’un champ de possibles encore vierge, il conjugue l’objet ancestral qu’est la marionnette aux technologies du présent, ouvrant la porte d’un nouvel univers.

Recréer l’illusion du vivant tout en donnant vie à l’imaginé, le d’ordinaire inmontrable par la marionnette: c’est ainsi que David Girondin Moab avait pu aborder les sujets couplés de la monstruosité et de la sexualité dans son extraordinaire Imomushi (festival off 2009, déjà à la Caserne des Pompiers).
Avec Glouchenko!, la réplique du corps est construite sur sa propre image, captée et retravaillée. L’outil vidéo, tendance apparue il y a quelques années sur le plateau du théâtre où on l’utilise encore trop souvent à tort et à travers, touche peut-être enfin à l’essentiel.

Lumières et vidéos d’Yragaël Gervais tissent l’illusion de ce monde parallèle, territoires de fantômes tridimensionnels en errance ou en passe de réincarnation projetés sur des supports que la mise en scène efface pour plus encore de réalité. Troublé d’avoir foulé pendant une (trop) courte heure un territoire théâtral nouveau, conscient d’avoir frôlé au but, on pourrait en ressortir dérouté. Retour un peu précipité en monde réel.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *