Écrivains : Volodine et le post-exotisme

Christian [s. n.], « Écrivains : Volodine et le post-exotisme », Envrak, Webzine culturel [en ligne], n° 60, novembre 2010. [http://www.envrak.fr/article-560-ecrivains-volodine-et-le-post-exotisme]

  • Article en ligne sur le site de la revue.
  • L’auteur signe de son prénom, y compris dans la rubrique d’informations éditoriales.
  • Entre les paragraphes, des images des couvertures des livres, sauf celle-ci.

Antoine Volodine

Pour mémoire :

J’ai croisé Volodine un soir d’octobre 90, il faisait déjà sombre mais quelques nuages rouges s’attardaient dans le ciel d’Orléans. A la librairie « Les temps Modernes », il feuilletait là quelques livres comme pour passer le temps. Il existait donc Volodine, mais son attitude discrète lui donnait des airs de clandestin qui veut absolument se fondre au décor. Humble, il me posait plus de questions que moi même son lecteur pourtant. Rarement j’ai eu cette impression, non pas de rencontrer un écrivain mais un personnage sorti de ses romans. Un visage aux traits rudes et humains, visage marqué par la souffrance et la résistance à la fois. J’avais l’impression de voir un homme tout droit échappé du Goulag, qui s’excusait d’être là, mal à l’aise dans son costume de velours, mal à l’aise dans cet univers.

J’achetai un exemplaire de Lisbonne dernière marge qu’il me dédicaça ainsi : « Pour Christian, qui porta longtemps mes livres et aujourd’hui cette marge emporte… »

La nuit était tombée et il disparut discrètement dans les rues d’Orléans. Qui porta longtemps mes livres … Depuis ma découverte de Biographie comparée de Jorian Murgrave dans la collection « Présence du futur », j’étais hanté, non seulement par l’écrivain, mais bien plus par ses personnages. Le milieu des années quatre vingt, le grand tournant, nous pressentions la descente de croix burlesque du grand christ rouge de la révolution russe comme l’écrivait Cendrars dans la prose du transsibérien. De nombreux ouvrages de fiction déclinaient tous les scénarii possibles de cette décrépitude.

Mais, déjà chez le Volodine de ces années là, nous étions hors de l’événementiel mais bien dans l’éternelle réalité de l’oppression. L’auteur demeurait mystérieux, refusant de parler de sa biographie, il s’en inventa une, des origines russes, mon premier regard se confirmait, l’auteur refusait de paraître et devenait lui même un personnage romanesque. La lecture des critiques de l’époque et la critique d’aujourd’hui me laisse penser qu’à force de s’attacher à l’événement, le fugace, nous passons à côté de l’œuvre ou plus exactement de la construction d’une œuvre. Volodine a toujours refusé de citer ses sources d’inspiration, ses auteurs de référence, peut-être n’en a-t-il pas ? « Je n’écris pas comme… » dit-il, quand il publie chez Minuit il dit à Jérôme Lindon (et il fallait oser le faire) qu’il n’a aucune idée des nouveaux auteurs Minuit. Volodine a mis en chantier une œuvre, un souffle nouveau, l’auteur disparaît et laisse l’avant scène aux personnages. L’auteur rêve ses personnages mais lui même n’est –il pas le personnage rêvé des ruines circulaires borgésiennes ? Attention ! Pas de référence ! Nous sommes dans l’éternel questionnement !

Que faisait-il dans l’excellente collection de science fiction, « Présence du futur », Volodine ? Traducteur des Strougasky, lui enseignant de langue russe, d’accord, mais romancier ? Rien n’est science fiction chez Volodine, rien n’est fantastique, son monde est simplement notre monde, dans toute sa cruauté, toute sa sauvagerie, toute son oppression, toute son injustice. Depuis ces temps, nous étions au siècle dernier, siècle qui restera célèbre par son extrême barbarie, Volodine n’a cessé de brouiller les pistes, caracolant d’éditeur en éditeur, publiant même ses personnages qu’il ne faisait qu’incarner. Existe-t-il une cohérence dans ce cheminement, peut-être des époques marquées par ses diverses stations ?

Au début, quatre livres dans « Présence du Futur » chez Denoël, comme on l’a vu, une méprise. En fait, une terre d’accueil, Elisabeth Gilles le publie dans cette collection parce qu’elle reconnaît un talent et vraisemblablement la naissance d’une œuvre. Le pied à l’étrier, en somme, signe des vrais éditeurs. Quatre romans fondateurs, 1985 : Biographie comparée de Jorian Murgrave, 86 : Un Navire de Nulle Part et Rituel du Mépris, Des Enfers Fabuleux en 88. Certes, ces premiers romans sont imprégnés de l’ambiance de l’époque, l’écroulement progressif de l’empire soviétique. Dans Un navire de nulle part, des sorciers mécontents ont condamné la terre russe à mourir sous les lianes d’une selve infranchissable. Seule Pétrograd, capitale de la grande tourmente a échappé au désastre cependant la mémoire de la révolution a été contaminée par les fièvres malignes de la tropicalité. Nous étions depuis longtemps plongés dans cette ambiance de déliquescence absurde grâce aux lectures des écrivains russes de la dissidence, tel Zinoviev, mais Volodine ne cantonne pas son propos au système qui s’effondre, il universalise l’oppression et la révolte, la promesse de l’avenir radieux n’était pas seulement l’apanage du système soviétique ! Volodine ne laisse aucune place aux oppresseurs dans ses romans, ses personnages sont toujours les perdants qui résistent en racontant l’histoire, leurs histoires et finalement toute l’histoire. L’écrivain se dématérialise en quelque sorte et laisse l’espace libre à ces personnages écrivains eux mêmes, créateurs donc et créateurs d’auteurs. Alors que les écrivains de la dissidence sont désormais des témoins figés d’une époque, l’œuvre de Volodine est toujours vivante et se perpétue car elle écrit l’histoire et l’histoire ne s’arrête pas et surtout pas quand un mur s’effondre, d’autres murs se construisent… Éternelle régénérescence, éternelle lutte, éternelle défaite, la seule issue, la seule victoire possible, c’est écrire et les personnages de Volodine sont écrivains ! Ils s’expriment aujourd’hui dans son nouveau roman : Ecrivains. Mais, avant de s’arrêter au présent, prenons le temps du cheminement.

En passant du côté des « Éditions de Minuit », Volodine donne libre court à ses personnages, les nouveaux et les anciens racontent leur vie, écrivent leur vie, la défaite est générale, l’écriture un moyen de résister et d’exister plus que de se souvenir. Mais la question du comment écrire demeure centrale, dans Alto Solo, Iakoub Khadjbakiro, l’un des personnages et auteur également, double peut-être « vivait sa propre histoire. Elle pouvait se définir ainsi : il souffrait de rédiger des ouvrages peu conformes au goût du public, remplis d’énigmes que peu de lecteurs décortiquaient, des textes pour oiseaux perdus qui ne lui assuraient aucun succès et lui attiraient la réprobation des services frondistes… En outre, écrire selon la mode du jour, selon les canons en vigueur, correspondait pour lui à une lâcheté dont il ne voulait pas se salir la conscience ». Durant cette période Volodine a voyagé, durant deux années il a vécu à Macao, parcouru les hauts plateaux de Mongolie puis le Pérou… Bref, les lieux changent, dans le milieu des années quatre vingt dix, Volodine s’éloigne du territoire soviétique source première de ses inspirations car les lianes de la selve se métastasent. Son propos ne concerne pas l’événement mais bien l’histoire universelle, l’aventure humaine de l’échec, de la résistance, de la lutte sans cesse recommencée, de l’écriture de la vie, de la littérature comme arme.

C’est à cette époque que l’on retrouve Volodine sous la couverture blanche de « Gallimard », côtoyant ainsi les grands auteurs du vingtième siècle. C’est là qu’il formalise sa démarche et se définit comme auteur post-exotique et rejoint ainsi une communauté d’écrivains déjà rencontrés parce que narrateur de romans tel que Lisbonne Dernière Marge, ou encore Alto Solo… Dans Vue sur l’Ossuaire et Le Post-Exotisme en dix leçons, leçon onze, Volodine expose cette esthétique qui, à tous prix, refuse toute compromission avec les littératures officielles, contrôlées par les pouvoirs et résiste à toute récupération. Le Post-Exotisme proclame la mort du narrateur et certainement de l’auteur au sein duquel ce qu’on nommait les personnages s’incarnent désormais et deviennent eux mêmes auteurs. Ainsi, Lutz Batzman, théoricien du Post-Exotisme, meurt leçon onze mais comme annoncé dans le même ouvrage : « On avait du mal à établir une frontière entre les bruits d’eau émis par le déluge, les râles de Bassmann émis par Bassmann, …Le Post Exotisme s’achevait là… La cellule sentait le monde décomposé, l’humus brulant, la fièvre terminale… Il n’y avait plus un seul porte-parole qui pût succéder à. C’est donc moi qui »

Et Lutz Bassmann publie en 2010, mais ce n’est pas encore le moment, suivons la chronologie. L’auteur n’a, à ma connaissance, jamais voulu s’exprimer sur ses changements d’éditeurs, mais tout cela n’est pas gratuit, il y a certainement beaucoup d’humour dans ces déplacements, mais j’en reviens à mon sentiment premier, il y a un malaise, un mal être, ne pas être à sa place… Le Post-Exotisme ne s’enferme pas, ce n’est pas une posture mais bien une manière de voir et de décrire le monde, être là ou ailleurs, peu importe mais il faut fuir, il s’agit d’une littérature de la clandestinité, de l’intrus… Rien à voir avec une théorisation, Volodine n’est pas le Robbe-Grillet du Post-Exotisme, ce qui s’écrit n’est pas le nouveau roman mais bien le roman de la vie qui bien souvent ne prend son relief qu’au voisinage de la mort.

Dès lors, Volodine ou les auteurs qu’il ne fait qu’incarner (rappelons ici ses voyages et son vécu asiatique, le shamanisme et peut-être le bouddhisme et la réincarnation, toutes ses influences ne sont pas neutres) formalisent le Post- Exotisme, définissent les genres, Romance, Shagga, Narrat, Novelle ou Entrevoûte, les genres du post-exotisme sont définis avec précision. Une Shagga se décompose toujours en deux masses textuelles distinctes : d’une part, une série de sept séquences rigoureusement identiques en longueur et en tonalité ; et ; d’autre part, un commentaire, dont le style et les dimensions sont libres. Ici, nous n’irons pas plus loin, le lecteur est prié de se reporter aux pages, 27 à 29, 37 à 41 et 54 à 57 des dix leçons pour plus de précisions.

Ensuite, Volodine et les autres publieront dans la collection « Fiction et compagnie » du Seuil, et compagnie… Comme symbole du groupe, bonne pêche, une logique en somme. Une série de Narrats, Romances et entrevoûtes vont se succéder jusqu’à cet Ecrivains qui vient de paraître mais que nous ne pouvions évoquer sans revenir sur la production antérieure de Volodine et des écrivains dont il assume aujourd’hui l’incarnation. Déjà, certains auteurs post-exotiques avaient suivi d’autres voies éditoriales mais en cette fin d’année 2010, les post exotiques font masse, simultanément à Ecrivains, Lust Bassmann du fond des temps publie : Les aigles puent chez Verdier et Manuela Draeger : Onze rêves de suie à l’Olivier. Mais détrompez vous, il ne s’agit pas d’un jeu littéraire d’une supercherie destinés à abuser les vieux bonzes de l’académie Goncourt, le Post-Exotisme n’entre pas dans la comédie, il est hors du temps et ne se compromet pas !

Ainsi, nous voilà arrivés en septembre 2010, de notre temps, mais nous sommes peut-être plus tard, ou tout simplement hors du temps. Bref, Volodine publie Ecrivains où il nous livre une série d’histoires, des histoires d’écrivains. Inutile de répéter que nous sommes dans les règles du Post -Exotisme, il s’agit d’un roman où les histoires s’entrecroisent, les personnages apparaissent, disparaissent, sont à la fois auteur, narrateur et personnage. Ils sont tous rescapés ou victimes d’un monde qu’ils ont combattu, marqués par la défaite, ils ne renoncent pas mais résistent dans l’éternelle quête avec l’arme de l’écrit ! Si l’écrivain Mathias Olbane semble avoir renoncé, après vingt cinq années d’incarcération durant lesquelles il poursuit son œuvre en dressant de longues listes de vocables imaginaires accumulées en liasses épaisses, aujourd’hui libéré et atteint d’une horrible maladie qui le défigure, il a laissé son œuvre au pénitencier et les feuillets doivent servir comme jadis déjà de papier toilette à ses codétenus, Linda Woo elle, poursuit sa résistance… Elle donne une leçon de post-exotisme , elle rend hommage à Maria Iguacel , codétenue qui vient de mourir. Pour ce faire, elle prend le nom de Maria Iguacel , l’auteur qui lui prête la main aussi… Ainsi se déploie le mystère de l’écriture post exotique. Le ton de la leçon marque la détermination toujours intacte de Linda Woo. Du fond de sa cellule n° 1614, elle gueule, elle narre, elle romance, elle entrevoute, Linda : « Il y a douze ans, elle a tué des hommes qui méritaient d’être réduit à rien, des hommes qui avaient été tout, ou, du moins, beaucoup de choses , elle a tué des ennemis du peuple que beaucoup de gens auraient voulu tuer s’ils en avaient eu le courage, mais peu de gens ont le courage de faire justice, presque personne ne s’engage dans la vengeance et les représailles au nom du peuple. Elle, l’a fait. »

Elle définit le Post -Exotisme non dans sa théorie mais dans son action, elle dit : « Si les écrivains post-exotiques se sont autrefois engagés en politique et en littérature, ce n’était pas pour tenter d’obtenir plus de confort dans leur vie personnelle, ou parce qu’ils désiraient approcher ceux qui apparaissent avec une humilité tapageuse au dessus du monde et qui le gouvernent et l’ordonnent, et parce qu’ils voulaient jouir du droit de parler au nom des maîtres et en défense des maîtres, avec en retour le droit d’attendre leurs flatteries, les petites tapes sur l’échine, les friandises et les babioles que les puissants distribuent à leurs serviteurs, que ceux-ci soient des politiciens ou des artistes. Non, ils ne souhaitaient pas ronronner des bassesses et se frotter affectueusement contre les bottes des maîtres en imaginant qu’ils avaient choisi librement d’être domestiqués, alors que la présence prés des bottes est toujours le résultat d’une sélection des maîtres parmi ceux qui ont été éduqués selon la logique des maîtres. Non, il faut chercher ailleurs les racines de l’engagement. Il faut définir autrement nos désirs. ». Linda Woo, s’arrête là, n’allons pas plus loin, ne la secouez pas, elle est pleine de larmes, lui aussi.

Chercher les racines de l’engagement, « comancer », un autre chapitre d’Écrivains, la recherche des origines, alors que le narrateur est au seuil de la mort, torturé par ses ex compagnons devenus fous qui confondent victimes et bourreaux dans leur dernière révolte, il résiste. Il, nous ne connaîtrons pas le nom du narrateur, est-ce Volodine, cette fois ? Il, résiste, en se remémorant son enfance, il, écrivait déjà des histoires sur les protège-cahiers avec les mots d’enfant, sans maîtrise des signes et des règles, il, écrit avec l’assurance d’être le pont, le trait d’union, clairvoyance, aveuglement ? La situation est extrême, ses bourreaux vont lui éclater la tête avant l’assaut des gardes du pouvoir. Alors, « comancer », c’est aussi la question de finir. A noir, I rouge, le poète de sept ans, le crayon marron ou le crayon mine, peu importe il écrit des histoires avec le sentiment qu’il poursuit le long cycle, il ajoute au palimpseste et d’autres après reviendront, écriront, réécriront… Et le récit qui s’éteint se régénère en puisant à la source des origines.

Finir, parce qu’il faut finir, alors terminons ! Les lectures renvoient aux lectures, les lectures s’enchaînent et se déchaînent, inlassablement un texte me revient en mémoire, comme un Romance, les mêmes mots que Linda Woo pour dire la haine des maîtres, pour dire et retourner en cellule une fois la peine purgée, pour croire encore à la force du verbe. Qui est-il ? Un auteur post-exotique ? Alors le voici :

«Les magistrats de l’antiterrorisme donnent ainsi raison à l’adolescent que j’étais et qui, comme des milliers d’autres à travers l’Europe, avaient fait ce choix en estimant qu’il était impossible d’agir en révolutionnaire dans les cadres de la politique bourgeoise. Pour nous, dans ce système, on ne parle librement qu’à la seule condition de balbutier les commandements des maîtres.

Aveuglés par leurs certitudes réactionnaires, les juges parient sur la disparition sans retour d’une véritable opposition d’extrême gauche dans nos pays repus du malheur qu’ils causent ailleurs. Une opposition de classe capable de briser les appétits de prédateurs qui détournent les fruits du labeur des travailleurs…

Qu’on le veuille ou non, ma détention révèle les peurs qui hantent toujours les gouvernements des pays impérialistes. Leurs craintes du fantôme de la résistance. Ma détention résulte de la volonté d’anéantir toute trace d’une alternative radicale aux habitudes rituelles des pétitions et des manifs-promenades, au verbiage hémiplégique des « plus à gauche, tu meurs », aux actions sans lendemain et aux comédies de la rupture avec le système et ses supplétifs.

Malgré tout, la lutte continue : chaque combat, chaque escarmouche, chaque refus porte en son sein une alternative révolutionnaire. J’ai appris de nos défaites. Mais je ne suis jamais dit qu’ils sont les plus forts, qu’il n’y a plus rien à faire. Je n’ai jamais renoncé à diffuser notre expérience combattante. Et j’assume toute la responsabilité politique de nos actions passées.

Deux années d’emprisonnement pour des mots… »

Jean-Marc Rouillan Lettre du 02/10/2010 (extrait). Centre de détention de Muret.

La force des mots, la puissance revendicatrice et révolutionnaire du texte, « comancer », finir, « recomancer… » Non, vraiment, terre d’accueil ou non, Volodine n’avait rien à faire dans une collection de science fiction, il est bien de notre temps, de jadis et sûrement de demain ! Son prochain éditeur sera peut-être l’administration pénitentiaire ? J’en doute, un coup d’ailes d’oiseau n’entame pas les murs des prisons !

Christian

Écrivains : Antoine Volodine. Le Seuil, coll Fictions & Cie. Septembre 2010.


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