Post-exotisme et farcissure polyglotte. Des langues chez Antoine Volodine

Dominique Soulès, « Post-exotisme et farcissure polyglotte. Des langues chez Antoine Volodine », Revue critique de fixxion française contemporaine, n°3, décembre 2011, p. 76-85.

Pour mémoire :

Résumé : Voix contemporaine singulière, Antoine Volodine se distingue par son imagi­naire spécifique et sa conception de lui-même comme “écrivain étranger et apatride“ ; cela a une incidence sur son utilisation du français – un français mâtiné d’autres langues. Car son œuvre est polyglotte, mais elle l’est à sa manière, plus complexe que la simple coexistence de langues en elle. En outre, les romans volodiniens invitent le lecteur à en mettre plusieurs en pratique pour redonner aux textes leur diversité référentielle (l’onomastique le montre). Parfois ce lecteur est victime des stratégies linguistiques de Volodine lui faisant par exemple réellement éprouver la glottophagie ; parfois, narrant les tribulations langagières de certains personnages, Volodine en appelle à la mémoire personnelle du lecteur pour lui faire retrouver l’accès à la langue. Non pas une langue mais des langues au sein du post-exotisme ; politique mais aussi poétique, linguistique et pragmatique, telle est donc l’œuvre volodinienne.

Mots clés : post-exotisme, onomastique, glottophagie, tupi, chinois

(5 800 mots / 32 000 signes)

“Au commencement était le Verbe”… Si cela s’avère particulièrement pour tout écrivain, la question de la langue se pose également parfois, antérieure à celle du choix lexical ; en effet l’élection de cette langue, quand elle est possible, ne va pas toujours de soi et peut connaître des revirements. Au XXe siècle, les exemples abondent d’écrivains en proie à plusieurs langues, qu’elles s’inscrivent toutes, ou non, dans leurs ouvrages : ainsi de Samuel Beckett écrivant d’abord en anglais puis en français sans toutefois abandonner l’anglais. Ainsi également, parmi les vivants nous entraînant dans le XXIe siècle, de Vassilis Alexakis[1] naviguant entre la langue française et la langue grecque ; ainsi aussi, sur un mode différent encore, d’Eva Almassy laissant derrière elle le hongrois pour adopter le français[2]. Ces exemples pourraient être autres, incluant notamment certains noms de la littérature dite francophone ; la liste, quant à elle, pourrait être bien plus longue.

Si la question de la langue se pose donc avant tout en amont de l’écriture, elle peut également être sujet de cette écriture, partiellement lorsqu’elle ne concerne que quelques épisodes fictionnels ou d’une façon plus étendue lorsqu’elle est l’objet d’une œuvre dans sa totalité, que celle-ci soit de pure fiction ou récit mâtiné d’éléments autobiographiques. En outre, si en raison d’une situation qui leur confère une légitimité de fait à ce propos, il est peu surprenant de lire cette question traitée par des écrivains exilés ou des auteurs francophones non métropolitains, ils n’en ont néanmoins pas l’exclusivité et n’y prétendent d’ailleurs nullement.

Étrangère à ces “plumes attendues”, la voix d’Antoine Volodine, écrivain français contemporain, se fait elle aussi entendre à ce sujet et ce, particulièrement dans une conférence prononcée à la Bibliothèque Nationale de France lors de rencontres littéraires franco-chinoises :

[Mes romans] forment un objet littéraire publié en langue française mais pensé en une langue extérieure au français, indistincte quant à sa nationalité. Une langue non rattachée à une aire géographique déterminée et clairement “étrangère”, puisqu’elle ne véhicule pas la culture et les traditions du monde français ou francophone.[3]

Issue d’un texte péri-romanesque, cette citation qui vaut art poétique condensé à l’extrême, annonce explicitement la distance prise par Antoine Volodine vis-à-vis de la langue française. De plus, bien qu’il soit un auteur métropolitain, il préfère, comme ses personnages, “[s]e ranger parmi [les] écrivains étrangers et apatrides”[4] et refuse absolument de se réclamer d’une quelconque “patrie linguistique”[4]. Ce positionnement singulier pour un auteur qui n’est ni exilé ni francophone, au sens où l’adjectif désigne un espace situé hors de l’hexagone, n’est pas qu’une déclaration d’intention. Au contraire, il s’illustre effectivement au sein de l’édifice romanesque volodinien, et ce diversement, tant dans les langues accueillies dans ses œuvres que dans les stratégies littéraires mises en place pour inciter le lecteur à (re)penser (à) des problématiques linguistiques qui outrepassent la fiction, nous touchent personnellement ou ont eu leur part, non négligeable, dans de sombres épisodes historiques.

Sur cette question des langues chez Volodine notre propos ne saurait être exhaustif car celle-ci nécessite bien plus que quelques paragraphes ; vraisemblablement tout un ouvrage. Nous nous contenterons donc d’en mettre en évidence trois représentations et usages différents ; commençant par la façon dont la langue joue dans l’onomastique, nous montrerons ensuite comment Volodine rend présente, dans l’un de ses romans, la problématique de la glottophagie, enfin nous évoquerons le biais linguistique par lequel il rappelle que, tous, depuis toujours, nous avons indéfectiblement à voir avec la langue.

Onomastique internationale

Trait saillant des textes dits post-exotiques – car ainsi cette œuvre s’est-elle nommée dans un geste baptismal auctorial – l’onomastique attire l’œil et titille l’oreille par ses graphies surprenantes, ses consonances inouïes et les mélanges systématiques et nombreux de noms et de prénoms, de références précises et d’allusions plus vagues. Se distinguant du melting-pot international désormais fréquent chez les auteurs contemporains qui rendent compte, dans leurs œuvres, de zones pluri-ethnicisées ou de la mobilité géographique affectant certaines familles sur plusieurs générations, le post-exotisme[4] frelate les racines linguistiques et trafique les langues. Ainsi dans Des anges mineurs d’Antoine Volodine d’Evon Zwogg, d’Izmaïl Dawkes ou de Nayadja Aghatourane. Dans Songes de Mevlido, on rencontre notamment à proximité du personnage éponyme Mackie Jiang, Adar Maguistral ou encore Samiya Choong. Non seulement l’internationalisme est de mise dans les anthroponymes volodiniens, mais il est également comme outrepassé en raison des quelques lettres qui dévoient l’orthographe usuelle des (pré)noms ou distordent légèrement leurs sonorités. Non plus une langue nationale identifiable dans son idiotisme, ni même plusieurs langues avérées entrecroisées au sein du post-exotisme, mais une “langue indéterminée”[4] aux échos réels diffractés et un peu lointains. Ce plurilinguisme aux étymologies bégayantes, dirait Deleuze, est systématiquement exercé par l’auteur lors de sa forgerie et fait littéralement voir l’engagement linguistique qui est le sien et qui, d’œuvre en œuvre, à la fois se confirme et s’amplifie au rythme des nouveaux (pré)noms.

Non content toutefois de donner à lire cet engagement linguistique, implicitement il invite aussi le lecteur à en faire l’expérience au-delà de la simple lecture, l’incite à faire preuve de lucidité et de compétence polyglottes en le conviant à quelques exercices de traduction qui lui permettront d’apprécier la construction ludique et doucement piégée de certains personnages. Si l’anglais ne nous est pas totalement étranger, c’est avec amusement que l’on constatera que Lilly Young, contrairement à ce que laisserait spontanément penser son patronyme, n’est plus toute jeune et que cette tricentenaire radote et parfois oublie son interlocuteur : signe avéré de sénilité[5]. Si c’est à l’espagnol que l’on se laisse aller, à en croire le dictionnaire, Leonor Nieves serait blanche comme neige ; or non seulement le personnage appartient à une tribu indienne, mais surtout sa dextérité dans le maniement des armes, chez elle exempt de toute censure[6], en ferait presque un personnage peu fréquentable si on ne la savait d’une beauté irrésistible et d’une intelligence indéniable, ou vice-versa. Mélange d’une Calamity Jane pragma­tique et d’une Blanche Neige strictement linguistique, Leonor Nieves gagne en épaisseur littéraire si l’on réalise à quel point elle prend le contre-pied de son patronyme, échappant ainsi à une destinée (de papier) par trop évidente.

Qu’on n’aille cependant pas croire que la polyglossie qui affleure dans les patronymes est uniquement ludique, loin s’en faut ; les deux chiens de Dondog nous en four­nissent un exemple. Toujours en compagnie l’un de l’autre, inséparables comme le sont les deux éléments du duel en grec ancien, l’un se nomme Smoky, l’autre Smiertch ; l’un convoque donc, au travers de l’anglais, la fumée alors que l’autre, par le biais de la langue russe, évoque la mort. Comme les animaux eux-mêmes qui ne se quittent pratiquement pas, leurs noms doivent être associés si l’on veut comprendre que cette fumée n’est autre que le signe volatil et intangible de la mort lorsqu’elle est donnée dans les fours crématoires[7]. Autre renvoi à cette période noire de notre Histoire, un personnage d’Alto solonommé Zagoebel ; son nom fait cette fois appel à l’allemand et peut s’entendre comme un composé du verbe sagen qui signifie dire et de –goebel qui, presque sans aucune déformation, rappelle Goebbels, le patronyme du ministre de la propagande hitlérienne. Or Zagoebel ne se contente pas de dire Goebbels, il en reprend aussi le comportement et les exactions, notamment langagières, lorsqu’il s’agit de mettre l’autre à mort, physiquement et verbalement. Et là où Volodine, dans son roman, parle d’oiseaux qui, selon Zagoebel, ne produisent que de “l’art dégénéré”[8], Viktor Klemperer signale ceci de la réalité qui fut la sienne :

[L]e gouvernement Nazi ne voulait pas seulement mettre les Juifs à l’écart, il voulait aussi les “diffamer”. Pour ce faire, il avait à sa disposition un jargon spécial qui, de par ses formes lexicales, apparaît aux Allemands comme une distorsion de la langue allemande et leur semble laid et grossier. […] sur la liste des prénoms laissés aux Juifs se trouvaient les diminutifs Yiddish, les Vögele, […] qui étaient pour une oreille allemande, à la fois gênants et ridicules.[9]

À l’origine de l’onomastique volodinienne on trouve donc un travail sur les deux “faces” du mot, le signifiant autant que le signifié ; cette attention minutieuse à la langue permet un brouillage systématique des règles fondamentales de l’identification “par une technique romanesque soucieuse de désorienter un lecteur trop confortable­ment installé dans ses habitudes”[10]. “Immense territoire international”, “langue de traduction”, celle qui préside à l’onomastique l’est indéniablement. Ici elle se joue de la construction littéraire des personnages :

Ce travail de brouillages, dont on peut dire qu’il est littéralement usant, se révèle non seulement très productif au niveau narratif, en suscitant enquêtes et contre-enquêtes, mais encore […] il indique, par expérimentation directe sur le lecteur, jusqu’à quel point on peut tirer sur la trame de la fiction sans la mettre totalement en pièces.[11]

Là elle en appelle à la mémoire historique des lecteurs : plurilingues, une fois débar­rassés des “scories” dont l’auteur les a parés, les anthroponymes du post-exotisme  rappellent l’Histoire et disent aussi, peut-être même avant tout, que la littérature s’entend à échelle mondiale et que la destruction de l’homme par l’homme n’est pas l’apanage d’une seule culture, d’une seule nation, d’une seule langue…

Cette pluralité des langues, évidente dans l’onomastique, Volodine la prolonge au-delà  des anthroponymes et fait preuve dans ses œuvres d’une hospitalité linguistique particulièrement diversifiée. Des langues, sans heurt, côtoient le français et s’y greffent avec une aisance qui évite à l’ensemble l’allure d’un désastre cacophonique ; leur présence, une fois encore, illustre le projet volodinien mais permet également quelques stratégies littéraires vouées à souligner ou dénoncer certaines de nos pratiques langagières. C’est donc en usant de langues variées que Volodine nous rappelle notre rapport à la langue, quelle qu’elle soit, et met en garde contre ses mésusages possibles.

Glottophagies en miroir

La “glottophagie”[12], ainsi nommée par Louis-Jean Calvet, fait partie de ces mésusages et désigne la dévoration d’une langue par une autre, comme lorsque le colon(isateur) impose au colonisé la sienne ; et quand les armes sont de la partie, nul autre choix pour lui que d’abandonner sa langue, officiellement du moins, sur la place publique. Cela est connu ; et pour la France déjà décrié depuis longtemps par Yacine Kateb : arrivé à Paris “dans la gueule du loup”, il écrit dans cette langue lupine avant de retrouver la sienne, d’y revenir. Cela est connu et déjà narré également par Ahmadou Kourouma :

Suis p’tit nègre. Pas parce que suis black et gosse. Non ! Mais suis p’tit nègre parce que je parle mal le français. C’é comme ça. Même si on est grand, même vieux, même arabe, même chinois, blanc, russe, même américain ; si on parle mal le français, on dit on parle p’tit nègre, on est p’tit nègre quand même. Ça, c’est la loi du français de tous les jours qui veut ça.[13]

Antoine Volodine reprend lui aussi le récit de la colonisation ou de ce qui s’y apparente, notamment sous son aspect linguistique, et lui aussi fait entendre dans la langue de son texte, cette guerre des langues – à sa manière néanmoins. En effet, en raison de la dérive référentielle pratiquée avec assiduité par l’auteur, Puesto Libertad, ville centrale de Le nom des singes et lieu de guérillas entre tribus amazoniennes, ne peut être localisé avec précision[14] ; mais qu’importe puisqu’il ne s’agit certainement pas, en lisant Volodine, de retrouver les archives d’un historien. Qu’importe également l’anachro­nisme linguistique qui fait cohabiter dans ce roman le tupi, langue désormais disparue, et le français, langue vivante. Qu’importe donc cet anachronisme qui, sur le plan linguistique, ne fait qu’illustrer d’autres anachronismes appréciés par l’auteur, mais le choix du tupi n’est ni aléatoire, ni gratuit. Utiliser cette langue parlée au XVIe siècle dans la région amazonienne par un peuple en pleine expansion proche des Guaranis, peut certes faire écho à la version moderne de cette langue en usage chez les Indiens du Brésil, mais là n’est pas l’essentiel, tant on sait la mimèsis indifférente à Volodine. Faire surgir le tupi dans le texte français consiste surtout à choisir une langue étrangère et hermétique pour le lecteur contemporain ; c’est lui faire concrètement expérimenter la situation du colonisé “qui se retrouve ainsi étranger chez lui (sa langue n’est pas la langue officielle), péjoré dans son usage linguistique”[15]. Face aux listes de mots tupi ou aux substantifs sporadiquement égrenés dans le texte[16], le lecteur ressemble à Golpiez, personnage contraint de justifier son identité et ses pratiques linguistiques : “Quand on m’interrogeait sur mon identité […] on testait aussi mes connaissances de vocabulaire”[17], dit-il. Mais alors même qu’il ne commet aucune erreur lexicale, on lui reproche sa prononciation : “Les nasales des Jucapiras ressemblent à des diphtongues impérialistes, les Jucapiras allongent les syllabes muettes comme des impérialistes”[17]. Ressemblant donc à Golpiez, ce lecteur ressemble surtout à quiconque est soumis à une intrusion doublée d’une invasion linguistique et il n’est plus simplement témoin d’un récit auquel il ne participerait que de façon distanciée, dans “la position la plus confortable : assis, étendu, pelotonné [ou] couché. Couché sur le dos, sur un côté, sur le ventre”[18].

Le nom des singes se différencie donc des œuvres qui se contentent de donner à lire des événements glottophagiques, qu’ils soient avérés et historiques ou de pure fiction ; ce roman se différencie également des œuvres qui, insistant sur le côté linguistique, aident le lecteur avec des périphrases explicatives ou des traductions entre parenthèses comme le fait avec humour Ahmadou Kourouma dans Allah n’est pas obligé. En un mot, Le nom des singes laisse volontairement le lecteur en proie à son incompétence linguistique. Le choix du tupi, renvoyant aussi à une époque et un lieu marqués par les colonisations européennes, répond donc à l’évidence à une stratégie auctoriale qui paradoxalement choisit une langue pour qu’elle échappe avec certitude au lecteur, qu’elle ne puisse être une suite de signifiants mais se limite à des blocs de matière sonore avec lesquels il devra composer – comme le colonisé, pour lequel les mots du colonisateur n’ont pas de sens si ce n’est l’oppression comme sens premier. Si hospitalité linguistique il y a indéniablement dans Le nom des singes, on est loin de l’usage ludique révélé par l’onomastique ; le tour employé vis-à-vis du lecteur est également plus abrupt que la traduction des anthroponymes conduisant aux versants sombres de l’Histoire. Avec ce roman, se payer de mots revient littéralement pour l’auteur à rappeler, de façon pragmatique, certains enjeux historico-politiques qui passent par la langue également. Louis-Jean Calvet les signale en socio-linguiste : “Peut-on sérieusement affirmer par exemple, que le pouvoir est au bout du fusil et non pas au bout du dictionnaire ? Et n’y a-t-il pas simplification excessive à opposer ainsi ce qui n’est peut-être pas antithétique mais complémentaire ?”[19]. Volodine, en romancier, donne à ces questions une réponse littéraire.

Cet éclairage politique de la langue n’étonnera pas qui fréquente de longue date les œuvres volodiniennes. L’auteur en effet revendique cette tonalité donnée à son écriture : “Il y a [dit-il] un souci politique permanent inscrit dans la pâte romanesque que je remue pour en faire des histoires.”[20] ; la critique la confirme qui range ces œuvres parmi les  “fictions du politique”[21]. Pourtant il est d’autres représentations de la langue au sein de l’édifice post-exotique parmi lesquelles celle de son apprentissage.

B-A BA, balbutiements et bégaiements

Sur ces moments antérieurs à sa maîtrise, cette période où nous tentions encore de l’apprivoiser, de la faire nôtre et de nous conformer à ses règles de fonctionnement intangibles, on revient assez rarement. En effet, une fois la langue maîtrisée, elle est alors (devenue) un vade-mecum aussi indispensable pour nous que par nous oublié tant son utilisation désormais va de soi, nonobstant les mots et les tournures qui parfois nous échappent. Désireux d’évoquer notre rapport à la langue dans ces moments-là également, Volodine ne passe pas sous silence cette ère balbutiante et bégayante durant laquelle les hésitations de la langue et les incertitudes du crayon sont monnaie courante.

Là encore cependant les choses sont un peu biaisées car les épisodes de Le port intérieur concernent a priori l’apprentissage d’une langue étrangère : en effet Breughel, personnage principal exilé volontaire à Macao, tente d’y apprendre le chinois et cette quête constitue une véritable aventure linguistique qui vient doubler celle qui l’oppose à Kotter, un tueur lancé à sa poursuite. Le lecteur inquiet du sort de Breughel espère autant qu’il échappera à Kotter que le chinois, lui, ne lui échappera pas. Cette langue pourtant résiste, confortant la réputation qui est la sienne et qu’atteste l’expression française “c’est du chinois…” ; c’est pourquoi on lit ceci par exemple dans le roman :

Ce n’est pourtant pas faute d’efforts. Des heures perdues, des milliers. Les mots chinois sont là, à petite distance, très peu farouches, mais, dès qu’on en a capturé un, il s’évade. Il suffit de. Un clignement de la conscience, une demi-heure de torpeur, et déjà le fugitif a rejoint la rue bruyante, la masse où tous les caractères sont inconnus, à apprendre ou à réapprendre.[22]

Breughel néanmoins ne se décourage pas et tente d’apprivoiser les sons et les signes, l’oral et l’écrit ; autodidacte, dépourvu de manuel et d’enseignant, il trouve lui-même ses propres outils de référence, crée ses propres méthodes d’apprentissage. Les programmes radiophoniques, la rue ou même les spectacles d’opéra fournissent des trames sonores à partir desquelles exercer son ouïe, l’affiner et parfois même s’entraîner à la prononciation. On voit par exemple le personnage en proie à l’insomnie “dress[er] l’oreille et, jusqu’au petit matin, […], fai[re] collections de tons hauts, moyens, descendants, montants, semi-inférieurs, semi-supérieurs ou bas” (PI 49). Quant à l’écriture et la lecture, là aussi Breughel s’y adonne seul, nocturnement ou en plein jour. Pour lui la rue est un véritable abécédaire abondant et polymorphe qui prend la forme des enseignes successives sur lesquelles l’amant de Gloria s’entraîne à lire avec plaisir : “L’écriture des Han. Les enseignes chantaient partout au-dessus des têtes dans un mélange sino-portugais dont [il] n’étai[t] pas lassé encore” (PI 98).

Si le choix d’insérer le chinois dans la fiction peut partiellement relever de la connaissance qu’en a Volodine, du goût qui est le sien pour certains aspects de la culture chinoise et des séjours qu’il a faits en terre asiatique[23], le savoir n’est pas essentiel pour le lecteur car Le port intérieur n’est ni un récit autobiographique, ni une autofiction livrée en pâture à un lecteur soucieux de décrypter des petits secrets d’ordre privé. Si les connaissances personnelles de l’auteur peuvent nous assurer que les notations que l’on trouve à propos de la langue ne sont pas erronées, l’intérêt linguistique du chinois est ailleurs que dans l’expression d’un “je” auctorial plus ou moins masqué et plus ou moins narcissique qui livrerait au lecteur ses expériences langagières. En effet, s’il est mis en perspective au sein de l’édifice post-exotique, le chinois, langue “qui résiste à l’autorité discursive du logos et de l’alphabet”[24], rappellera indéniablement aux Occidentaux que nous sommes, le choix du tupi dans Le nom des singes car, même s’il s’agit cette fois d’une langue vivante, elle nous est très vraisemblablement tout aussi étrangère que le tupi. Reste cependant que d’une œuvre à l’autre les enjeux ne sont pas les mêmes, et les personnages le montrent : alors que d’un côté Golpiez ingurgite mécaniquement une langue en apprenant des listes par cœur, de l’autre, Breughel tente de l’apprendre et en fait ainsi véritablement l’expérience. De plus, alors qu’on peut lire des mots de tupi dans Le nom des singes, le chinois n’apparaît pas à proprement parler dans Le port intérieur : il est simplement évoqué en ces diverses caractéristiques sonores ou graphiques, aucun idéogramme ne vient faire intrusion dans le texte et seul un épisode du roman rappelle concrètement que la lecture du chinois est verticale[25].

Avec le choix de cette langue, la stratégie littéraire de Volodine est donc autre, ses conséquences linguistiques sur le lecteur également ; il ne s’agit plus cette fois de lui faire éprouver dans le hic et nunc de la lecture une situation linguistique particulière mais de le conduire à une anamnèse langagière par identification à un personnage. En effet, tous nous avons appris au moins une langue, celle dite maternelle, et pour chacun de nous, durant cette période d’apprentissage, elle a pris les traits, ne serait-ce que par moments, d’une langue vraiment étrange et parfois même peut-être un peu étrangère – unheimlich dirait Freud.

Et en effet, pratiquer une langue étrangère, découvrir en écrivant les difficultés qui lui sont propres, en même temps que les possibilités qu’offrent grammaire, syntaxe, prosodie, permet sans doute de prendre ses distances par rapport à une langue natale, de la percevoir dans son étrangeté, presque comme une langue morte.[26]

Proposant au lecteur différents personnages se démarquant les uns des autres notamment en raison de leurs rapports variés aux langues asiatiques, Volodine lui offre non seulement de se remémorer telle (més)aventure linguistique personnelle lors d’un séjour à l’étranger, mais aussi de s’identifier à celui des protagonistes de son choix pour, au-delà de toute langue étrangère, remonter aux expériences qui furent les siennes lorsqu’il s’est agi pour lui d’abandonner progressivement l’état d’infans – celui qui ne parle pas ; pas encore. Le lecteur peut donc choisir de s’identifier à Breughel, enthousiaste dans son rapport au chinois et désireux d’apprendre, à Kotter, qui fait figure d’analphabète et désire le rester, ou à Gloria, polyglotte avec aisance. Quelle que soit sa préférence, variable selon les stades d’apprentissage, Le port intérieur ne lui donne pas à lire un traité de linguistique rigoureusement structuré mais une évocation impressionniste de la langue et des rapports que l’on peut entretenir avec elle. Hors de toute visée didactique, il s’agit de faire à nouveau surgir chez le lecteur les restes d’une expérience linguistique immanquablement vécue.

Tôt ou tard, chacun est confronté à un idiome qu’il ne peut pas dire sien, et face auquel il n’est d’autre alternative que de parler autrement, ou de se taire. C’est alors que l’on prend conscience du fait que l’on a appris rien de plus, et rien de moins, qu’une langue parmi d’autres. En tant qu’objet de savoir, celle-ci varie dans l’espace et dans le temps : pour certains, il peut s’agir du tamoul ; pour d’autres, de l’amharique ; pour d’autres encore, du bulgare. Mais, en tant qu’expérience partagée par l’ensemble des êtres parlants, cette langue porte aussi un nom unique, inventé à la fin du Moyen Âge et qui n’est jamais sorti d’usage : la “langue maternelle” (materna lingua).[27]

Avec Le port intérieur, mais aussi Écrivains dont la section intitulée “Comancer” offre un exemple savoureux du stade pré-orthographique[28] qui vient compléter les “leçons” du roman asiatique, le lecteur, mêlant dans un premier temps lecture et souvenirs personnels, les dépassant ensuite pour quelques réflexions linguistiques plus générales, peut se faire en quelque sorte philologue en entretenant rapport réflexif et distance critique envers sa propre langue. En outre il peut également prendre conscience du fait que si sa solitude lui offre l’avantage de la liberté expérimentatrice face à des mots inconnus, elle le confine dans une phonétique vraisemblablement hasardeuse et probablement erronée même si ce n’est que partiellement ; conscient de cela, il peut alors désirer lui aussi faire concrètement l’expérience de langues étrangères. Et ce n’est pas la moindre des invitations hors textes, celle qui incite le lecteur à parcourir le monde.

 

Anglais, allemand, russe, tupi, chinois, espagnol ; vivantes ou mortes, alphabétiques ou non, les langues qui traversent l’œuvre volodinienne sont nombreuses, variées également. Pour le substrat français qui les accueille, elles constituent une farcissure polyglotte singulière qui, loin de “dénaturer” la langue sur laquelle elles sont entées, lui confèrent au contraire certains accents particuliers. Garde-fous textuels permettant d’éviter une territorialisation linguistique marquée du sceau de la nation, elles servent non seulement à la mise en œuvre de la conception volodinienne de la langue comme “immense territoire international”, mais elles se font aussi instruments langagiers permettant à la fois de dénoncer certains (més)usages de la langue et aussi de les rendre présents dans le texte afin que le lecteur certes en prenne connaissance, mais surtout en fasse lui-même l’expérience, parfois à son corps défendant.

En écho à l’expression utilisée ici ou là par Volodine lui-même qui évoque une “pâte romanesque”[29], on pourrait, pour sa langue, parler de pâte linguistique, car il la modèle à sa guise ; cette langue particulière l’est donc non seulement en son style, comme chez tout écrivain, mais également en sa conception, poreuse, exempte de frontières. On ne la dira cependant pas mondiale ou globalisée car ces adjectifs nous entraîneraient du côté de l’Esperanto, ce qu’elle n’est en aucun cas. Véritablement babélienne au sens où l’entend Violaine Houdart-Merot[30], la langue volodinienne, toute d’hybridations, d’accouplements, de réajustements et de jeux linguistiques (dont n’ont été livrées ici que quelques bribes), se donne à lire comme telle et même doublement,  car elle fait aussi d’elle-même son propre objet narratif au gré d’épisodes langagiers suffisamment abondants pour n’être pas fortuits. Ainsi, limiter l’édifice post-exotique à une œuvre qui ne ferait que mêler à sa façon Histoire et fictions, imaginaire et réalité, oublier ses dimensions linguistiques et poétiques irréfutables[31], serait être bien mauvais lecteur et aussi bien mauvaise langue…

 

Dominique Soulès
Université Lille 3

 


[1]     “Naturellement, j’ai écrit mes premiers livres en français puisque je vivais et travaillais en français. Les choses en sont restées là jusqu’en 1974, au moment de la chute de la dictature. J’ai alors fait le constat que la Grèce était absente de mes livres et qu’il me fallait reprendre contact avec mon pays et avec ma langue maternelle afin de dire des choses différentes, que je n’avais pas abordées jusque-là. Il me fallait également aller voir comment j’écrirais en grec, trouver ma voix dans cette langue. J’ai donc écritTalgo, une histoire d’amour racontée du point de vue d’une femme grecque. En revenant à ma langue maternelle, je me suis déguisé en femme ; c’est une chose curieuse, mais c’est ainsi que ça s’est fait.” – L’orient littéraire, n°63, septembre 2011 ; [consultation : septembre 2011].             URL <http://www.lorientlitteraire.com/article_details.php?cid=6&nid=3310>

[2]     “La France m’a offert l’asile politique, je lui ai pris sa langue. Telle est mon histoire intime. Je n’ai pas d’autre histoire que celle-ci : j’ai appris le français, je veux écrire le plus beau français du moment.” “Exil en hongrois se dit számüzetés”, Collectif, De la mémoire du réel à la mémoire de la langue : réel, fiction, langage, Nantes, Cécile Defaut/Villa Gillet, 2006, p. 39.

[3]     Antoine Volodine, “Écrire en français une littérature étrangère” : intervention à la Bibliothèque Nationale de France le 14/12/2001 et reprise dans Chaoïd, n°6, automne-hiver 2002, pp. 52-58.              URL <http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-bassmann-2.html>           [consultation : septembre 2011].

[4]     Le terme a été créé en 1990 ; voir à ce propos la version narrativisée qu’en donne l’auteur dans : Antoine Volodine, “Récapitulatif pour d’autres nous autres ainsi que pour nous-mêmes et nos semblables ou dits semblables”, Revue critique de fixxion française contemporaine, n°2, juillet 2011, URL <http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/francais/publications/no2/carte_blanche_volodine_fr.html> [consultation : septembre 2011].

[5]     “[L]es autres grands-mères de Scheidmann paraissaient, elles aussi, accablées par les bavardages de  Lilly Young. De temps en temps, l’une d’elles sentait quelque chose s’effacer à l’intérieur de son intelligence et elle priait son petit-fils de ne pas tenir compte de Lilly Young […]”  Antoine Volodine, Des anges mineurs, Paris, Minuit, 1999, p. 156.

[6]     “Elle le reconnut, elle se rappela son nom – Pedro -, son âge – vingt-trois ans -, et elle lui envoya sous le menton quelque chose d’aigu et de déchiqueteur qui avait rapport avec le voyage, avec la fin ou le début d’un voyage. Leonor Nieves avait la main très sûre. Pedro s’agenouilla puis bascula.” Antoine Volodine, Le nom des singes, Paris, Minuit, 1994, p. 112.

[7]     La fraction Werschwell qui sillonne une partie du roman en accomplissant de réguliers meurtres éminemment sélectifs en est un exemple ; à propos de ce choix, Volodine précise : “J’ai vraiment soigné au millimètre tout ce qui concerne l’extermination des Ybürs pour que justement il y ait un flou suffisant, pour qu’on ne dise pas C’est la Shoah ou c’est les Tutsis, même si, bien sûr, en donnant un nom allemand (la fraction Werschwell) aux pogromistes, je renvoyais à quelque chose de clair […]” Antoine Volodine, “L’humour du désastre”, La Femelle du Requin, n° 19, automne 2002, p. 40.

[8]     Antoine Volodine, Alto solo, Paris, Minuit, 1991, p. 109.

[9]     Viktor Klemperer, Lingua Tertii Imperii. Notizbuch eines philologen, Berlin-Est, Aufbau Verlag, 1947 (traduit de l’allemand par Elisabeth Guillot) LTI, la langue du IIIe Reich. Carnets d’un philologue, Paris, Albin Michel, [1996] 1998, <Agora>, p. 116. Rappelons que Vogel est la traduction allemande d’oiseau ; nous soulignons Vögele dans la citation.

[10]    Eugène Nicole, “L’onomastique littéraire mise au point”, Poétique, n° 54, avril 1983, p. 237.

[11]    Frank Wagner, “Portrait du lecteur post-exotique en camarade – note sur la réception des fictions d’Antoine Volodine” dans Anne Roche (éd.), Écritures Contemporaines n° 8 : Antoine Volodine – fictions du politique, Caen, Lettres Modernes Minard, 2006 p. 98.

[12]    Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme ; petit traité de glottophagie, Paris, Payot, 1974.

[13]    Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, Paris, Seuil, 2002 [2000], <Points>, p. 9.

[14]    Pour les toponymes, l’auteur évoque trois forgeries possibles, l’une d’elle est la suivante : “[J]e nomme des lieux, mais la nomination renvoie à une civilisation imaginaire, déchirée par la guerre civile depuis des siècles : par exemple une bourgade d’Amazonie, Puesto Libertad, ou un immense territoire d’Asie Centrale, la Balkhyrie.” – Antoine Volodine, “Écrire en français une littérature étrangère”, art. cit.

[15]    Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme ; petit traité de glottophagie, op. cit., p. 154.

[16]    Le lecteur rencontre par exemple la liste suivante (non exhaustive) : “ Le purumã […], l’ucuriaguaçú, la jassytara, la pataúa, l’açai […], le batantám à noix dures, le mucumucu, le jiriba, l’uricuri […]” – Le nom des singesop. cit., p. 213.

[17]    Antoine Volodine, Le nom des singesop. cit., p. 37.

[18]    Italo Calvino, Si par une nuit d’hiver un voyageur, [1979], Paris, Seuil, 1982 [1980], <Points>, p. 7.

[19]    Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme ; petit traité de glottophagie, op. cit., p. 141.

[20]   Antoine Volodine, “Écrire en français une littérature étrangère”, art. cit.

[21]    À ce propos, on se reportera aux pages 37 à 47 de l’article de Dominique Viart intitulé “Situer Volodine ? Fictions du politique, esprit de l’Histoire et anthropologie littéraire du post-exotisme” dans Anne Roche (éd.), Écritures Contemporaines n°8 : Antoine Volodine – fictions du politiqueop. cit.

[22]    Antoine Volodine, Le port intérieur, Paris, Minuit, 1996, p. 37. Désormais PI à l’intérieur du texte. On peut également ajouter cet autre exemple qui atteste que la relation de Breughel au chinois n’est pas de tout repos : “Soudain au cœur de la nuit, tu n’avais pas été très sûr de pouvoir tracer le caractère pourtant si simple qui signifie chat, chatte, chaton, et parfois panda, ou hibou, chouette. Tu es soulagé, tu soupires. Tu n’avais pas oublié le moindre trait finalement.” (PI 44-45).

[23]    Pour les goûts asiatiques de Volodine, on trouvera quelques explications dans l’entretien avec Jean-Didier Wagneur intitulé “On recommence depuis le début…”.
URL <http://www.editions-verdier.fr/v3/auteur-bassmann-7.html> [consultation : septembre 2011]. Pour ce qui est des séjours de l’auteur en Asie, plusieurs ouvrages en témoignent dans les remerciements de la page 6 : Le port intérieur ou Nos animaux préférés par exemple.

[24]   Éliane Formentelli, “Rêver l’idéogramme : Mallarmé , Segalen, Michaux, Macé” dans Marie Dollé (dir.), Lectures de Segalen, Stèles et Équipée, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1999, p. 199.

[25]    Antoine Volodine, Le port intérieur, op. cit., p. 54.

[26]   Marie Dollé, L’imaginaire des langues, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 49-50.

[27]    Daniel Heller-Roazen, Écholalies – Essai sur l’oubli des langues [2005], traduit de l’anglais par Justine Landau, Paris, Seuil, 2007, <La librairie du XXe siècle>, p. 163.

[28]   Antoine Volodine, Écrivains, Paris, Seuil, 2010, <Fiction & Cie>, p. 39-70.

[29]   Entretien avec Jean-Didier Wagneur, “On recommence depuis le début…”, art. cit.

[30]   “[A]u sens propre, dans le tissu du texte, les écritures peuvent se babéliser, se laisser pénétrer par d’autres langues et jouer de cette diversité ainsi que des variations internes aux langues.” Violaine Houdart-Merot (éd.), Écritures babéliennes, Bern, Peter Lang, 2006, p. X.

[31]    “Ces fictions, écrites au plus près du malaise, interrogent simultanément la puissance du langage (polyphonie des discours) et l’implosion des liens traditionnels (généalogiques et/ou politiques).” Christine Jérusalem, “La rose des vents : cartographies des écrivains de Minuit” dans Bruno Blanckeman et Jean-Chritophe Millois (dir.), Le roman français d’aujourd’hui – transformations, perceptions, mythologies, Paris, Prétexte éditeur, 2004, <critique>, p. 76 – nous soulignons.

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