Le radeau de la sardine

Manuela Draeger, Le radeau de la sardine, Paris : L’École des loisirs, 2009, 62 p., coll. Médium.

  • Ci-dessous, présentation de l’éditeur
  • Ci-bas, présentation sur le site du Cafard cosmique

Présentation de l’éditeur :

Bobby Potemkine s’était roulé sur le trottoir en compagnie de ses trompettistes préférées, deux louves arctiques au pelage immaculé. Lili Nebraska s’était mise en tenue de gala : bracelet de coquillages roses à la cheville, foulard vermillon autour du cou, et rien d’autre. Volgone Krof avait quitté l’atelier « Connaissance du Chou » où elle est professeur, pour venir avec son accordéon, et sa voix des steppes désolées. Jusque-là, tout était normal. Le concert de mélodies de la toundra pouvait commencer. Mais soudain, la musique s’est assourdie, les notes se sont atténuées, puis on n’a plus entendu un seul bruit, alors que l’orchestre se déchaînait toujours.
– C’était déjà comme ça hier soir, a dit Zori Platipus le hibou, l’ami d’enfance de Bobby, qui venait d’arriver en radeau.
C’était bizarre, ça faisait un peu peur. Il était temps que Bobby mène l’enquête.

Présentation sur le site du Cafard cosmique :

Un livre peu épais à la maquette sobre, un titre énigmatique, une photographie de couverture qui déteint au fil des romans de la même série — tous parus dans la collection « Médium » de L’École des loisirs — Le Radeau de la sardine détonne dans les rayonnages.

Une ville sans nom, froide, en bord d’estuaire, avec plusieurs bâtiments en ruines et une totale absence de gouvernement. Sur le port, entre la vieille station-service et les entrepôts de charbon, Lili Nebraska, Volgone Krof et deux louves arctiques donnent un concert. Peu à peu, le son s’assourdit, le silence grignote les mélodies, et malgré les efforts des musiciennes, l’orchestre se transforme en image animée et muette. Lili Nebraska propose à son ami Bobby Potemkine de réactiver la police pour enquêter sur cet étrange phénomène.

Malgré ce pitch curieux, réduire ce livre à un roman d’enquête écrit sous psychotropes serait oublier que Manuela Draeger se pose en experte des fausses pistes et des faux-fuyants. Mélangeant allègrement objets, personnages, lieux ordinaires et pures inventions, le décor semble à la fois proche et complètement étranger. Un décalage s’installe, une sensation de flottement apparaît, avec pour corollaire une interrogation sur la genèse de cet univers, tant certaines choses paraissent familières. Est-ce une émanation de notre futur ? Une uchronie ? Ou bien l’imaginaire d’une créatrice aimant désarçonner son lecteur ? Mystère.

Le narrateur Bobby Potemkine distille pourtant quelques explications au travers d’adresses au lecteur. Paradoxalement, ce ne sont que des éléments inutiles : rappeler que son ami Zori Platipus est issu d’une famille de hiboux spécialisée dans le remorquage de traîneaux semble aller de soi, alors que l’hibernation prend une page complète.

Pari risqué, donc, mais tout fonctionne à la perfection. Manuela Draeger déroute son lecteur sans jamais le perdre, pour peu qu’il accepte de se laisser entraîner par un imaginaire hors du commun. Le lecteur rit parfois de bon cœur, grâce au flou généralisé et à la maladresse attachante du narrateur. Ainsi, la maison de la culture — unique témoin d’une vague administration — organise un atelier « connaissance du chou ». Et c’est d’ailleurs un des choux qui donnera la solution au mystère. Mais chut, même si la résolution de l’énigme ne constitue pas le cœur de l’histoire, ne dévoilons pas la fin, toute en finesse et en délicatesse.

Au-delà de sa créativité, la force de l’auteur réside dans son écriture. Avec une superbe économie de moyen, Manuela Draeger arrive à donner consistance à des personnages aussi abracadabrants qu’un crabe laineux ou une chauve-soubise. Elle joue avec les mots, les sonorités, et, telle une compositrice devant sa partition, place chaque morceau de phrase à dessein, procurant au texte une étonnante musicalité.

En quelques mots, le décor se dresse, les personnages s’animent. Ce petit roman se lit comme un hymne au libre vagabondage de l’imagination. Pour celles et ceux qui acceptent de se faire mener en radeau.

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