Sur Zazie dans le métro, cours 2

Notes de cours

2. Le 17 avril : chapitres 2 et 3 8-Oversion audio

(On commence par des questions et quelques détails sur le chapitre 1 laissé inachevé la semaine dernière…)

Découpage narratif :
  • Chapitre 2 : arrivée devant chez Gabriel (18)
  • Charles descend chez Turandot (18-21)
  • dîner comme prévu chez Gabriel et Marceline, jusqu’au coucher de Zazie (21-24)
  • Gabriel se manucure et discute du lendemain avec Marceline (24-26)
  • Turandot monte pour protester, se dispute avec Gabriel (26-27)
  • Zazie, réveillée, participe et retourne au lit (27-29)
  • Peu après, départ de Gabriel (29)
  • Chapitre 3 : Au matin, dans la maison silencieuse, Zazie cherche et trouve les « vécés » (30-31)
  • Zazie sort, suivie par Turandot, dont elle se plaint auprès des passants (31-34)
  • Turandot s’échappe et revient au café, effrayé, jusqu’à se rendre compte qu’il faut rendre compte (34-35)
  • Turandot prévient Marceline, qui réveille Gabriel, qui ne veut pas aller à la recherche de Zazie puis s’y résout (35-41)
  • Dans la rue, conversation avec Gridoux, qui ne sait rien ; Gabriel remonte se coucher (41-42)

Ces deux chapitres couvrent la soirée et le lendemain matin. Il se passent principalement à l’intérieur, chez Gabriel, avec des personnages qui entrent et qui sortent, présentés comme dans le texte théâtral. Les conversations en constituent la majeure partie, ayant Zazie pour sujet mais avec de nombreuses digressions qui donnent un aperçu du mode de vie de Gabriel & Marceline ainsi que de leur entourage (propriétaire, commerçants voisins). Zazie n’en est pas le personnage principal, mais son langage est déjà le thème dominant…

page 19

— Les commentaires des premières lignes sont au présent, puis au passé. Est-ce une maladresse de l’auteur ?… [dans le dossier, quelqu’un a écrit qu’il y a « de fréquents et arbitraires passages du présent au passé » (p. 244) — c’est mal connaître Queneau que de croire qu’il aurait laissé traîner autant d’arbitraire…] En fait, cela se reproduit très souvent. En observant plusieurs occurrences de cette « faute », on peut ressentir un effet de focalisation et de défocalisation. Le présent donne une sensation de proximité, de direct, son et image, tandis que le passé (imparfait ou passé simple) donne une idée de commentaire, de contextualisation plus large. La succession de ces changements de temps verbaux est donc un procédé stylistique qui crée un effet de zoom et de passage du zoom au plan large, souvent sans que le lecteur s’en aperçoive. Rompre ainsi avec les conventions grammaticales, comme on l’a déjà vu avec les conventions orthographiques, n’est pas, de la part de Queneau, une simple protestation ou contestation d’un ordre (du langage), mais le moyen de créer une œuvre ayant un style bien à lui et d’une grande efficacité.
« zinc en bois depuis l’occupation », ou « l’Occupation », allusion à la collecte des métaux durant la Seconde Guerre mondiale, façon de rappeler que cela se passe quelques années après la fin de la guerre.
— Comme Gabriel au chapitre 1, les personnages Turandot et Mado Ptits-pieds sont introduits sans présentation ni description. Entre les parties dialoguées, les commentaires sont très proches des didascalies théâtrales.
« C’est elle ? » suppose que Zazie est visible, sans que ce soit indiqué…
« pas d’histoire dans ma maison » (et suite en bas de la page 20) : le propriétaire Turandot craint que la présence d’une enfant entraîne des problèmes de moralité, soit que sa présence soit une incitation pour des pervers, soit que ce soit l’enfant elle-même qui provoque ou aguiche des personnes… Est-ce une réaction propre à Turandot (qui le caractérise en tant que personnage) ou est-ce un trait de comportement habituel à cette époque, ainsi dénoncé par Queneau ? L’histoire familiale de Zazie ou les aventures avec Pedro feront plutôt pencher vers la seconde réponse : la pédophilie, comme le viol ou la prostitution des enfants était une réalité de l’époque !

page 20

« un chien complet, un basset », chute comique de la phrase, effet visuel.
— « Mado… vint se mettre… et brise le silence » : effet de zoom ou de mise au point sur le présent.
— « mélancolique », sera une obsession de Mado, qui cherche un amoureux
— « la mouflette » (cf. p. 9).
« une petite salope qui dise des cochoncetés » et suite : dans l’esprit de Turandot, c’est bien l’enfant (de sexe féminin) qui est responsable et qui provoque des adultes, notamment des « vieux gâteux » que Turandot à l’honneur d’accueillir (avec lesquels il se solidarise) ; vision classique par laquelle des adultes se déresponsabilisent de leurs pulsions et de leurs crimes sexuels. Le Voyeur, d’Alain Robbe-Grillet date de 1955 (Prix de la critique, défendu notamment par Barthes et Blanchot) et traite d’un crime sexuel sur enfant, sans le raconter puisque le personnage central ne paraît pas s’en sentir coupable.

page 21

« raconter tes histoires », après quoi Gabriel intervient alors qu’il n’était pas dans le café. Il y a un saut direct chez Gabriel, sans explication.
« crie-t-elle doucement », oxymore qui attire l’attention sur Marceline dont la personnalité reste dans l’ombre (du fait qu’elle parle peu)
« consommé »… « N’egzagérons rien » : mieux qu’une soupe donc, TLF : « Bouillon de viande ou de poisson, généralement enrichi de légumes et d’aromates, concentré à la suite d’une longue cuisson. »
« que Gabriel ramenait du cabaret », première allusion au lieu de travail de Gabriel.

page 22

« comment ça raisonne déjà bien » : en effet, questions et réponses de Zazie montrent son intelligence (alors que souvent les adultes refusent d’accepter que les enfants soient aussi intelligents qu’eux…). Fait suite à la dernière phrase du chapitre 1 et révèle, chez Gabriel, une faculté de distanciation, de tolérance et de compréhension qui n’est pas chez les autres personnages.
« Y a la retraite », montre par exemple chez Marceline une réponse automatique, cliché, très différente de la qualité des propos de Gabriel. Et déjà une sorte de reproche ou de rancune contre les fonctionnaire dont l’emploi et la retraite sont garantis…
« Tu trouverais pas tout seul, hein ? » : Zazie aime bien faire attendre son public, elle est sûre de ses effets d’actrice, et pour Queneau c’est un moyen d’entretenir le suspense verbal…
« Pour faire chier les mômes » : la chute est savoureuse, et suivie d’une progression lyrique

page 23

« je leur »… anaphore emphatique qui montre la jubilation de Zazie, et renvoie aux méthodes quelque peu violentes de la pédagogie classique
« s’oriente l’éducation moderne », Gabriel informé des nouvelles méthodes… réformes en cours pendant ce qui s’appelait la « modernisation de la France »
« y aura plus d’institutrices » : vision pas si fausse, car ces nouvelles méthodes ont en effet été introduites mais il y a toujours des institutrices… la « modernisation » devient « anticipation » ou « science fiction »
— ce que Zazie ressent bien puisqu’elle passe à « astronaute » (la chienne russe Laïka a été en Spoutnik en 1957, la NASA a été fondée en 1958, le premier humain, Youri Gagarine, sera envoyé dans l’espace en 1961).
« pour aller faire chier les Martiens » : le but de Zazie, et donc la fonction assignée par Queneau, est de « faire chier » les autres, c’est-à-dire de les déranger dans leurs certitudes, dans leur confort, de provoquer leur réaction et peut-être leur remise en question…

page 24

« Marceline, elle sort jamais sans moi », dit avec méchanceté, soudain, révèle le machisme de Gabriel… Situation des femmes : le Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir, date de 1949.

page 25

« les prouesses des trois orfèvres », cf chanson paillarde… sur laquelle on reviendra p. 53.
— le « caporal conconcon », pas de chanson avec ce titre mais une chanson paillarde dans laquelle il est question d’un caporal et de cons, la Femme du vidangeur.
— Gabriel insiste sur la nécessité de son sommeil ; on apprend peu et petit à petit sur chaque personnage ; stratégie économique et de suspense, un peu comme Zazie qui suscite des questions et fait attendre ses réponses…

page 26

— Donner à Zazie un soporifique en suppositoire : type de médicament considéré comme pratique pour les enfants mais moyen un peu exagéré d’avoir le calme…
— Arrivé, Turandot provoque Gabriel en parlant comme Zazie (tout le monde est contaminé par les expressions avec « mon cul »), rééaction de Gabriel comme à la gare : il demande de répéter…

page 27

— Gabriel, en colère, tape du poing sur la table, ce qui provoque une réaction en chaîne qui préfigure les effets de bagarre qui arriveront plus tard… On peut aussi comprendre, à cette occasion, que Gabriel avait précédemment réussi à se maintenir (depuis combien de temps ?) dans une situation discrète, qui ne dérangeait Turandot, par exemple, ni par l’incorrection de son langage ni par l’affichage de son activité artistique, voire de son homosexualité, bien que celle-ci ne soit pas prouvée. On peut donc considérer que c’est Zazie qui déclenche cette réaction en chaîne, que ce soit par sa présence ou par son langage (voir notes de la page suivante).
— « une porte s’ouvre », beaucoup de didascalies et de portes, dans ce chapitre, qui parodie en cela le vaudeville (issu lui-même d’une comédie agrémentée de chansons à boire).
— réapparition de Zazie, en pyjama, qui découvre à la fois Laverdure et Turandot…

page 28

digression de Gabriel et Marceline sur les trousses de manucure, occasion de découvrir la progression (trope) des types de cuir : box-calf (cuir de jeune mammifère), galuchat (cuir de raie ou de requin), cuir de Russie (chèvre ou mouton) , croco(dile) (le plus réputé pour les produits de luxe).
— le café de Turandot s’appelant La Cave, c’est tout naturellement que Zazie peut introduire le thème de Singermindépré, par contraste avec l’ennui qu’elle sent provenir de Turandot ; Saint-Germain-des-Prés (et ses caves) étant bien sûr d’une extrême importance pour la vie parisienne des années 1950…
« gentille mon cul », dans ce contexte de St-Germain, peut nous faire penser à la liberté de penser et de comportement qui sont à la base de l’existentialisme : à de nombreuses occasions, Zazie semble être non seulement une allégorie du changement mais aussi une égérie de l’existentialisme

page 29

— nouvelles sorties par les portes, commentaire sur le calme de Gabriel = didascalies théâtrales
— et ménagement d’une chute digne d’une pièce de théâtre de boulevard… (oubli du rouge à lèvre)

page 30 (ch. 3)

— situation sanitaire (voir cours 1)
— exploration de l’appartement au petit matin (implicite), nouvelle utilisation des portes

page 31

— découverte des « vécés », « à l’anglaise » et non « à la turque »
— « maison de la belle au bois dormant » allusion à l’épisode du conte, par exemple dans la version de Perrault (1697), dans lequel tout ce qui pourrait servir à la Belle à son réveil est endormi, immobilisé pour cent ans par la baguette de la fée.
— « en y intercalant des gros plans d’acteurs célèbres », nouvelle mode des magazines des années 1950, naissance de la presse de « fan » dans le cinéma et la chanson
« con les contes », jeu de mots comique associant allitération et assonance,
« elle est dehors » : pour la première fois dans ce début de chapitre, on suit Zazie seule et on découvre qu’elle se débrouille très bien, non seulement pour parler (tu causes, tu causes…) mais aussi pour agir (ce n’est pas tout ce qu’elle sait faire !)

page 32

— « ce cri ne manque pas d’attirer l’attention des ménagères et des citoyens présents » : 1. Zazie considère que Turandot la gêne dans sa découverte de Paris (elle ne pense pas qu’elle va se perdre), 2. donc elle ne pense pas que Turandot veuille éviter qu’elle s’enfuie ou se perde (ce qui est une forme de dérangement et de désordre, selon lui), 3. Zazie ne hurle pas parce qu’elle a peur, 4. mais parce qu’elle sait que hurler attire l’attention et qu’elle peut alors jouer le rôle d’accusatrice d’un vicieux, 5. et qu’alors Turandot sera obligé de la lâcher, sera accusé publiquement, etc. La forme verbale « ne pas manquer de » veut dire qu’elle prémédite et choisit ce rôle dans le but de produire un effet ; ce qui illustre ce que Gabriel disait de la capacité à raisonner d’une enfant de cet âge (p.22)… Comme Turandot ne pense pas à ce scénario (il est « sur de la noblesse de sa cause »), elle va gagner. Elle recommencera bientôt…

page 33

« dame alléchée » : attirée irrésistiblement. Bien sûr, les gens s’approchent d’abord pour rendre service et sauver une enfant qui crie, mais Queneau veut nous fait sentir, par le choix de cet adjectif verbal, qu’il y a aussi un goût, un attrait pour le scandale que suscite l’agression d’enfant et la pédophilie supposée, la possibilité d’attraper quelqu’un sur le fait et de l’accuser publiquement (vers le lynchage, Cf. « linnecher », p. 40). D’où le « scepticisme… encré » des gens, où encre remplace ancre, jeu de mot et mise en abyme puisque la « fixation profonde » (ancré) est imprimée devant nous : encrée. La suite est une exploitation burlesque de cette amorce stéréotypée, c’est-à-dire déjà connue du lectorat, avec plusieurs fins possibles.
— Queneau y ajoute la transmission des détails de bouche à oreille, frustrant le lecteur de ces détails (comme Flaubert frustrait le lecteur en ne lui disant pas ce que Madame Bovary et Binet se disent quand celle-ci cherche désespérément de l’argent) mais lui laissant comprendre, grâce à l’effet de ces détails, que Zazie savait quels détails choisir pour les scandaliser.

page 34

— développement du comique de l’ellipse de contenu : les « détails » peuvent ne pas être compris, être dessinés, susciter d’autres histoires, etc.
— à propos du stylo à bille, voir son histoire : inventé en 1938, il devient un produit grand public vers 1945 et économique en version jetable dès 1950. Il est évident que la remarque « Et c’est pratique ? » est un quiproquo volontaire : le lecteur pense d’abord aux détails de Zazie avant de lire qu’il s’agit du stylo.
— les « détails » seront — enfin — traités de « vicelardises » par une femme d’ailleurs vulgaire et raciste (« crouilles » est en effet une désignation raciste des Arabes, reposant sur l’ignorance du fait que le mot en arabe signifie « frère »)
— Turandot « s’est tiré en douce » = a réussi à s’enfuir sans se faire remarquer, Queneau soulignant ainsi que les gens scandalisés, excités par les histoires qu’ils se racontent, ne surveillaient plus le criminel.

page 35

— « satyre », in TLF : Homme lubrique, obsédé qui recherche des relations sexuelles avec des inconnues, notamment des petites filles, ou qui se livre à des actes répréhensibles (exhibitionnisme, voyeurisme)
— « petite tévé », pout télévision, en relation directe avec popularisation des faits divers…
— « avertir les autres ? », effrayé, Turandot en oubliait la fuite de Zazie (bientôt nommée fugue)

page 36

— vitesse de réaction montrée par les formes « Gzakt » (C’est exact) et « lagoçamilébou » (pour la gosse a mis les bouts, de « mettre les bouts » = s’enfuir, partir vite)

page 37

— peur pendant la guerre, avec les Fridolins, sérénité (angélique) de Gabriel pro-Anglais
— « barri », forme d’onomatopée de l’explosion…
— « feu d’artifice » et « spectacle du tonnerre », ça fait penser à Féérie pour une autre fois (1952), roman dans lequel L.-F. Céline décrit les bombardements de Paris comme un très beau spectacle (son personnage subissant aussi l’effet de ces bombes…).
— Turandot explique ensuite qu’il n’a pas réussi dans le marché noir, pendant la guerre : sans doute pas pro-Allemand, il devait être pragmatiquement collaborationniste mais pas convaincu ni prêt à des arrangements foncièrement malhonnêtes ou criminels (ce qui doit correspondre à une réalité de pas mal de gens)

page 38

— s’y prendre comme « un manche, « la poisse », les « roussins », le « plumard », mots d’argot populaire ; à propos d’argot, j’ajoute qu’il existe différents argots, souvent liés à des corps de métiers, des régions, etc., mais qu’à Paris, ils se côtoient et se mélangent inévitablement, produisant une culture d’une incroyable richesse, souvent méprisée par les écrivains bien élevés…
— « la rue c’est l’école du vice », sans commentaire
— Turandot étant monté pour alerter les parents de substitution, il conviendrait que Gabriel fasse « son devoir »…

page 39

— « devoir mon cul » marque la préférence de Gabriel pour son lit et le peu d’importance qu’il accorde au rôle de père et d’oncle, ne craignant pas qu’il arrive malheur à zazie
« lessive sur le feu » VS « trucs automatiques américains » (lave-linge, également proposé par les magasins d’arts ménagers dans les années 1950)
— Gabriel reprend le leitmotiv de Laverdure (échange de discours)
— américanophile + lessivophile !
— paronomase avec hic et nunc = lavage de linge en famille… Dans ces quelques lignes, un festival de jeux de mots !

page 40

— dramatisation de la notion de devoir, Gabriel s’étant finalement décidé et préparé
— parodie d’adieux du départ à la guerre contenu dans l’expression citée « je m’en vais faire mon devoir« 

page 41

— à peine sorti, Gabriel est interpellé par Gridoux (nouveau)
— (mystérieux) complexe d’infériorité dû à l’attitude de Gridoux
— Gridoux fait croire qu’il sait quelque chose à propos de la fugue de Zazie mais…

page 42

— « Une fugue ! / C’est gai », double sens : musicalement, la gaieté de la fugue, et pour la fuite, l’expression « c’est gai » signifie que c’est une situation spéciale, pas facile à régler, donc contrariante, « gaie » par antiphrase.
— Gabriel, dépité par l’absence d’information de Gridoux, retourne se coucher, se soustrait à son devoir, devient un anti-héros ou un lâche, il fait à son tour une « fugue », s’enfuit de son rôle de tuteur de Zazie…

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