Sur « Zazie dans le métro », cours 4

4. Le 8 mai : chapitres 6 et 7version audio

(On commence par des questions et quelques détails sur les chapitres précédents…)

Découpage narratif :
  • Chapitre 6 : Zazie met son pantalon (change d’âge et de condition, au moins à ses yeux) (p. 63-65)
  • Marceline écoute ce qui se dit à côté : Pedro traduit « danseuse » par « pédale » (63-65)
  • Zazie entend aussi ce qui se dit à côté, questionne sur le mot « hormosessuel » (64-65)
  • elle entre dans la pièce et la conversation, exhortant Gabriel à la fermeté (65-66)
  • Pedro menace puis questionne aussi sur Marceline, Gabriel le jete dans l’escalier (66-67)
  • Pedro assis au café, Gabriel arrive et ne le voit pas (68-69)
  • discussion et évanouissement et Gabriel, réveillé par un vrai remontant (69-70)
  • causerie sur le parfum et les conneries… jusqu’au déjeuner (71-73)
  • Chapitre 7 : Conversation entre Mado et Gridoux, cordonnier qui déjeune dans son échoppe (74-77)
  • conversation entre Gridoux et Pedro qui l’interroge, sur les lacets puis sur la famille de Zazie (78-80)
  • Gridoux remet un lacet à la chaussure de Pedro, conversation sur l’homosexualité (80-81)
  • Gridoux interroge Pedro sur son identité, que ce dernier semble avoir perdue (82-84)

Ces chapitres de conversations entre adultes portent essentiellement sur l’identité des deux personnages masculins Gabriel (homosexuel ou pas ?) et Pedro (flic ou satyre ?). Les femmes Marceline, Mado et Zazie n’y font que de la figuration. La problématique de l’identité masculine est liée aux apparences, à l’apparence physique et à l’apparence professionnelle, ainsi qu’à la tendance de l’autre à la catégorisation nette à partir d’éléments ambigus : être danseuse devient être « une tante » (Gabriel selon Pedro), avoir des moustaches, un melon et poser des questions équivaut à être flic (Pedro selon Gabriel et Gridoux).
Apparaît également ce nouveau personnage, Gridoux, qui semble en savoir long sur tout le monde. Modèle de la commère au masculin, ou de l’indicateur, du dénonciateur, etc. ?

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— Nouvelle situation de porte au théâtre de boulevard : d’un côté Gabriel et Pedro, de l’autre Marceline qui entend et prétend ne pas entendre, et Zazie qui met son pantalon ; « elle mentait doucement« , adverbe souvent associé à Marceline
« pédale » : dérivé de « pédé », lui-même abréviation de « pédéraste » (TLF : « Homme qui éprouve une attirance amoureuse et sexuelle pour les jeunes garçons, enfants ou adolescents; p.ext., homosexuel », pédale étant « prob. due à l’attitude du cycliste sur sa selle »…). C’est un jugement volontairement insultant de Pedro mais qui procède de la confusion (volontaire) entre le costume lié au métier (danseuse) et l’identité, en partie déterminée par « l’orientation sexuelle » (expression aujourd’hui consacrée pour ce qui n’est ni une essence ni un choix, « orientation » étant un mot plus sérieux que « tendance » également employé, mais toujours négativement connoté). Bien sûr, dans les années 1950, l’homosexualité est encore tout à fait cachée, que ce soit au voisinage ou aux enfants ; elle est encore considérée comme un crime (au pire) ou une déviation (au mieux) ; cette vie au secret produit une aura de mystère, très exploitée par la littérature et la presse et qui ressemble à ce que l’on pense des sociétés secrètes, à quoi le groupe homosexuel est souvent assimilé par les « honnêtes gens » qui leur attribuent un pouvoir notamment politique ou financier tout à fait exagéré ; « honnêtes » gens qui restent en revanche inaccessibles à la douleur morale de ceux qui doivent se cacher de la sorte, notamment en jouant la comédie de l’homme marié, avec « vraie » femme et éventuels enfants en « couverture » ; la littérature qui montre l’homosexualité de l’intérieur, si l’on peut dire, sans en être un réquisitoire ou une défense, que ce soit Gide ou Proust est encore assez peu considérée, ou considérée comme « courageuse » ; il n’y a pas encore d’engagement, de manifestations (Gay Pride, en France, à partir de 1971) ni de « coming-out » (vers la fin des années 1960, premier aveu public par le poète américain Robert Duncan en 1944, en France en 1972 par Guy Hocquenghem, essayiste qui mourra du Sida en 1988).
Gabriel nie être homo mais ne nie pas qu’il s’habille en femme dans un club notoirement homosexuel, le but étant « pour faire marer le monde » : sa prestation de danseuse est donc d’abord conçue comme un rôle (comédien) et comme un rôle comique, d’un comique basé sur le contraste entre les attributs masculins et féminins.
— la « preuve » est qu’il est marié : typique de pseudo-argumentation par la mise en valeur d’une autre apparence (le mariage pouvant n’être qu’une pure convention, voire un déguisement, de Marceline, par exemple, dont le nom n’est peut-être qu’un déguisement de Marcel, Cf. Proust avec le cas évidemment ici en filigrane d’Albertine / Albert).
Pendant ce temps, expression classique des récits alternés de scènes ayant lieu en même temps sur deux ou plusieurs lieux, Zazie s’admire (autre monde)
— l’expression est osée (« petites fesses ») et le pantalon est « moulant », suit et révèle les courbes naturelles du corps, ce qui, pour les femmes était interdit ou preuve de perversité ou de vice… Aujourd’hui, on dirait plutôt « sexy » !

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— Pedro reprend son argumentation sur les raisons d’avoir la garde de Zazie, Gabriel avoue que c’est partiellement vrai, qu’il y a de ça (« iadssa »), donc que sa sœur elle aussi le croit homosexuel
— Zazie révèle son intention de se montrer à Pedro avec son pantalon, de ne pas « moisir ici »
— et découvre que Marceline mentait, qu’il est possible d’entendre à travers la porte…
— « plongea » son oreille « dans le bois » de la porte : métaphore d’exagération qui montre sa détermination à entendre
— Pedro cherche son paquet (ressort comique lié à l’attente de l’entrée en scène de Zazie)

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— Zazie rapporte qu’il est maintenant question de Marceline, le discours direct suit
— Gabriel nie que Marceline veuille porter des pantalons
— Pedro suggère que ça pourrait être lié à l’attitude homosexuelle de Gabriel (déstabilisation des identités voisines, un effet contaminant de l’homosexualité…)
— Zazie a entendu (ou Pedro a dit) le mot « hormosessuel » et elle en demande le sens à Marceline, qui improvise (superbement) : outre la prononciation relâchée du x, le préfixe « homo » est transformé en « hormo » qui semble venir du mot « hormone » (mot inventé vers 1904, sur le verbe grec hormaein, mettre en mouvement, exciter, pour désigner le rôle de messager et d’information des cellules hormonales) ; le jeu de mot de Queneau est savoureux et renvoie aux fantasmes liés à l’homosexualité d’une sexualité variable ou hésitante (bisexualité ou indécision), toujours en mouvement (couples non-stables) et liée à un réseau d’information (une intelligentsia homosexuelle, ce qui est en partie vrai du fait de la getthoïsation des intellectuels et artistes homosexuels)
— elles s’interrogent sur la capacité de Gabriel à chasser Pedro… Suspense !
— Zazie entre et s’annonce, Gabriel la prie de rendre le pantalon
— réponse lapidaire de Zazie : « les rendre mon cul », on ne peut faire mieux !
— l’hésitation de Gabriel vient bien du fait qu’il croit Pedro « flic », donc craignant la police des mœurs ou « brigade des mœurs ». TLF pour « mœurs » : Ensemble de comportements propres à un groupe humain ou à un individu et considérés dans leurs rapports avec une morale collective; absol., règles de vie, modèles de conduite plus ou moins imposés par une société à ses membres ». De « murs », « mors », « meurs et us » (XIIe-XIIIe), « du lat. mores, plur. de mos, moris, masc. (d’où ce même genre relevé en a. fr.) « volonté, désir; usage, coutume »; la plupart du temps au plur. genre de vie, traditions [morales, religieuses], habitudes; caractère, comportement; lois, règles ».

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— Zazie harangue (« grandiloquence ») pour motiver et soutenir Gabriel ; l’hésitation entre flic et satyre se résout en « flic dégueulasse », équivalent de « pourri » ou « ripoux »… Zazie scénarise jusqu’à aller cracher sur la tête coupe, imagerie datant de la Révolution française à une époque où la peine de mort existe encore en France (et jusqu’en 1981 !) et au moyen de la guillotine mise au point et adoptée officiellement en 1791-1792.
— La réaction de Gabriel est inverse : il frémit et les verbes se déforment en « i », vers l’aigu : « fermit » (pour ferma), « tournit » pour « tourna »)
— Zazie l’exhorte à nouveau en invoquant sa mère et sa mission, traitant Pedro de « galapiat » et de « gougnafier », deux mots rares et généralement pas connus des enfants (effet comique assuré). Galapiat : Mot d’orig. pop. Prob. composé du rad. gal- exprimant la gloutonnerie, la voracité et p. ext. la paresse, le manque de vergogne. Gougnafier : Orig. controversée. À rapprocher de gougnafiasse « goinfre » (1891, Richepin, Truandaille, p. 55 ds Sain. Lang. par., p. 321). Dans Sain., loc. cit., gougnafier est défini « paillard » et considéré, ainsi que gougnafiasse, comme dér. de gougne « prostituée » (gouine*).
— l’énumération s’achève sur une fausse progression à effet comique : après deux mots rares, une expression banale mais visant à criminaliser les mauvais conducteurs automobiles (sur le modèle des campagne nationales de prévention routière, terme qui existe depuis la fin des années 40)

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— la tension monte jusqu’à ce que Gabriel se mette en mouvement quand il est question de Marceline, ménagère = « vider les ordures »

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— le « fernet-branca », modèle de boisson démodée, inventée en 1836 par Bernardino Branca, à base de plantes (gentiane, rhubarbe, aloès, camomille, etc.), vieillie un an, goût fort amer, se boit en apéritif, en digestif ou en cocktail, également réputée pour soulager les estomacs fatigués par un excès de boissons alcooliques.
— « pas buvable » VS « pas sale » = pas mauvais ; ils confirment que le nom en est connu mais que peu de gens en boivent ; c’est « démodé », comme « l’eau d’arquebuse »

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— après évocation des boissons alcoolisées, retour à la grenadine, « remontant » de Gabriel ; y a-t-il un rapport entre danseuse espagnole et fruit de Grenade ? En principe, est bon pour la gorge.
— quiproquo invitation & confirmation, jeu burlesque
— Turandot s’aperçoit qu’il avait oublié le type, comme il avait oublié de prévenir Gabriel et Marceline après la fugue de Zazie = tendance à oublier l’important, débordé par le peu qui lui arrive d’inhabituel…

page 70

— « pseudopodes » = comme des marques de pieds… Mado reprend sa place
— « petite nature » (santé faible, émotivité maladive) VS « a fait ses preuves » (au STO), rappelle que de nombreux héros furent des gens du commun, pas bien courageux en apparence (Cf. Effroyables Jardins)

page 71

— « trop hésitant pour être vrai » : Gabriel aurait-il simulé son malaise ? ou voudrait-il se faire passer pour plus faible et donc moins attaquable qu’il ne l’est ?
— du parfum de Fior, jeu de mot subtil sur ce qui est « raffiné », en jouant sur les deux sens du mot : raffinage et raffinement…
— croyance populaire (et absurde ?) en la présence d’excréments dans des produits de luxe
— Turandot prend cela au sérieux (sa limite)

page 72

— Gabriel répète des « conneries », selon Charles ; Gabriel lui demande s’il dit des « conneries » qu’il aurait inventées lui-même ; première occurrence du thème de libre choix de la pensée et du rapport à l’identité (Cf. perte d’identité de Pedro, p. 82-84, harcèlement de Charles par Zazie, p. 89, par exemple)
— « d’où c’est qu’on est parti ? », marque la fin de la digression et le peu d’utilité du propos, le côté absurde et loufoque de certains dialogues (Queneau n’a pas très envie de se prendre au sérieux, même quand il traite de sujets sérieux)
— « midineurs », certains avec « leur gamelle » = repas préparé à la maison et mis dans une boîte en fer-blanc qui peut être réchauffée dans l’eau.

page 73

— rappel de la suite (Tour Eiffel) qui sert d’horizon pour le lecteur
— passage de l’apéro au déjeuner…

page 74, chap. 7

— apparition soudaine d’un nouveau personnage, Gridoux (gris et doux ?), d’abord identifié comme commerçant (attendant le client) avant que le type de commerce ne soit indiqué ; p. suivante : « l’échoppe » (de quoi ?) ; p. 77, « seul avec ses godasses et la rue » (?) ; p.78 : « vous n’auriez pas un lacet… » ; p.79 : « Je suis cordonnier »…
— « casser la graine »

page 75

— le fromage de Brie ne « va pas très vite »
— il prend du camembert, le « frome »

page 76

— pourquoi toutes ces questions de Gridoux ?
— Mado en vient à ses « problèmes personnels »
— Charles, trop romantique
— il faut trouver l’oiseau rare et le « dénicher » parmi des millions (thème de l’amour et de la différence pour chacun de trouver un partenaire selon son cœur)

page 77

— vulgarité déformant le jeu de mot sur oiseau et dénicher
— « on tire un coup, sur les marches du palais », contraste entre les paroles d’une chanson enseignée aux enfants et des propos salaces
— Mado n’est pas prise au sérieux par Charles, qui lui-même cherche quelqu’un…
— elle se demande ce qu’il faudrait avoir pour qu’il la remarque : le « baba en or » ?

page 78

— habitude de l’occupation = de l’Occupation, d’une période où les pénuries incitaient à l’économie de toute sorte de choses, notamment le tabac
— Gridoux répond mais ne bouge pas, dans le but évident de déplaire ; quel peut être le sens de cette attitude ? sinon que c’est son caractère, qu’il veut montrer qu’il est le maître chez lui, même contre son intérêt commercial et jusqu’à la mauvaise foi (des lacets sont visibles alors qu’il dit ne plus en avoir)
— le « type » joue les indigents pour un lacet = chacun exagère son rôle

page 79

— le cordonnier n’est pas marchand de chaussure, à prendre au sens proverbial, comme les proverbes qui suivent
— les deux expressions en latin et celle qui suit en italien sont débitées dans un apparent désordre, renforcé par la fin de la série, « adios amigos amen et toc » mais ces trois phrases sont en relation avec un même thème : le cordonnier doit rester dans les limites de ses compétences, la progression sociale sans limites, la volonté d’
égaler ou de dépasser d’autres peintres pour en devenir un soi-même : le thème des limites de soi, en-deçà ou au-delà des ambitions et de l’éducation

page 80

— tonton = tata ; même si marié, preuve par Henri III
— entendu « à la tévé », déjà !
— ce « qu »ils » racontent ; dans « tous » les livres = expression de la rumeur publique et…
— de sa bêtise : « Même dans l’Annuaire » ?

page 81

— Gridoux explique l’intérêt de l’ambigu, notamment pour l’art de Gabriel
— début de départ en vrille psycho du « type » : il ne répond pas à la question de Gridoux
— qui lui a remis un lacet

page 82

— « moi, je me suis perdu », non pas dans le quartier mais identitairement parlant !
— Gridoux ne comprend pas
— Est-ce une feinte de Pedro ? Il semble sincère… Le lecteur est désemparé par ce cas inhabituel d’un personnage qui n’a pas décliné son identité et qui devient amnésique : on n’a aucun moyen de l’aider.

page 83

— Avec ce dialogue, on n’est pas loin des situations absurdes d’un Beckett ou d’un Ionesco : l’inconnu, arrivé là comme par hasard, ne sait plus son nom, son métier, son adresse… À moins que ce soit un effet de la chute dans l’escalier !
— savoir son nom, l’apprendre ? question philosophique : comment sait-on son nom ? Nécessairement de l’extérieur, famille, société, groupe, etc.
— Quant à n’avoir jamais eu de nom…

page 84

— Gridoux, comme le lecteur, angoissé par le cas du « type », Pedro…



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