Ce qui urgeait dans les têtes

samedi 8 novembre 2008, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Encore deux heures très matinales pour parachever les notes sur deux chapitres de Dora Bruder. Il y est surtout question des lois vichystes « portant statut des Juifs », celle du 3 octobre 1940 et celle du 2 juin 1941, en s’intéressant principalement à leur article premier, celui qui définit les Juifs et fait à chaque fois référence à la notion de « race » (notion dont il faut rappeler qu’elle a été totalement construite sur une fausse vision pseudo-scientifique), la seconde fois aggravant la première par une claire distinction avec celle de confession religieuse. Je ne suis pas spécialiste et ne connais pas la généalogie exacte de ces lois mais j’imagine que des juristes pointilleux — et racistes — ont dû tiquer à la première mouture, comme si elle avait été écrite précipitamment — on se demande bien ce qui urgeait dans les têtes ; comme quoi ce n’était peut-être ni assez définitionnel ni assez référentiel à d’autres textes, ce que sera la seconde. Il est terrible de voir en quelques mots qu’il existait assurément, au-delà des demandes allemandes du moment, une volonté française de stigmatiser les Juifs. Comme si, après l’échec de la bouc-émissarisation d’un seul (Dreyfus), il devenait enfin possible, grâce au contexte nazi dont il fallait vite profiter de peur qu’il ne disparaisse ou que Berlin ne change d’avis, de se débarrasser de tous les juifs à la fois, d’exterminer socialement un groupe (des groupes, en fait). Avant d’être obligé de les exterminer physiquement — car que faire de ceux auxquels on a interdit la plupart des métiers ? On sait à peu près ce qui s’est passé, les crimes, les rafles, les déportations, les exécutions et les gazages, l’ampleur continentale et industrielle de tout cela, mais il reste extraordinairement étonnant — et presque incroyable — de voir sur quel pauvre petit nombre de mots tout cela a reposé.
Étonnant aussi de constater qu’une grande partie des Japonais n’ont qu’une idée très vague de tout cela. Mais comme ils n’ont déjà plus aucune mémoire des crimes de leur propre pays… ce n’est en fait pas si étonnant.

Aussitôt rentré, aussitôt reparti (après de telles évocations, on a besoin d’air).
Les valises étaient prêtes. On file, T. et moi, à la gare de Tokyo, prendre un train pour Morioka, près de cinq cents kilomètres au nord, où il ne fait déjà plus que cinq ou six degrés et où se tient le congrès d’automne de la Société japonaise de Langue et Littérature françaises. Déjeuner dans le train (avons pris des bentos de Kyoto au sous-sol de Gransta), puis lecture et sieste — le trajet dure deux heures quarante.
Une voiture de location nous attend à la gare, nous remontons une rivière vers l’ouest jusqu’au lac Gosho (célèbre il y a quelques temps pour la grippe aviaire de ses cygnes), à l’hôtel Kozanso du site thermal Tsunagi Onsen qui sera pour ce soir la source de notre sommeil. Et préalablement d’un très bon dîner de produits régionaux. Réalisation très contemporaine d’une architecture traditionnelle, vue sur le couchant depuis les bains de bois et de rochers fumants, à température parfaite, T. et moi nous parlons par-dessus le mur séparant hommes et femmes, et admirons la lune.
Après le dîner de kaiseki rustique (une bonne quinzaine de plats différents), on nous propose de peindre sur nos baguettes pour les réutiliser demain matin, voire les emporter. Nous en profitons pour peindre aussi l’assiette…

Swing Girls (S. Yaguchi, 2004), amusant film pris en cours de route à la télé japonaise, des jeunes filles de province qui tentent, ne sachant pas jouer d’un instrument, de devenir une sorte de Big Band pour un concours régional… La séquence la plus drôle est assurément celle de la rencontre avec un sanglier.
Pas de liaison internet ce soir, le billet d’hier sera posté demain d’une station de ski cinquante kilomètres plus au nord, pour la suite, ça prendra quelques jours…

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Publié dans le JLR

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