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Printemps 2015 / cours sur « L’empire des signes » de Roland Barthes

IFJ de Tokyo, avril-juin 2015. Le vendredi, de 13:30 à 15:20.
Pas de cours le 1er mai ni le 12 juin.

Calendrier des cours :

  • 10 avril : Qu’est-ce que ce livre et pour qui est-il écrit ?
  • 17 avril : textes d’introduction et chapitre 1.
  • 24 avril : chapitres 2.
  • 8 mai : chapitres 3-8.
  • 15 mai : chapitres 9-12.
  • 22 mai : chapitres 13-16.
  • 29 mai : chapitres 17-20.
  • 5 juin :  chapitres 21-24.
  • 19 juin : chapitres 25-26, échos du livre.

Le 10 avril : Qu’est-ce que ce livre et pour qui est-il écrit ?

  • Distribution et étude d’un article de Roland Barthes dans Le Nouvel Observateur, 3-10/12/1964 intitulé « La cuisine du sens » (vulgarisation de la sémiologie).
  • Précisions sur les 3 voyages de RB au Japon (1966-1968, et non pas en 1970, comme on le lit trop souvent). Citation de quelques articles dans les O. C.
  • Lecture d’extraits de Maurice Pinguet, « Le texte Japon », article paru dans la revue Critique en août-septembre 1982 et réédité par Michaël Ferrier dans Le texte Japon, introuvables et inédits…, Paris, Seuil, 2009, p. 29-43.
  • Explications sur la collection « Les sentiers de la création » chez Skira.
  • À propos du titre. « L’empire », dans « l’empire des signes », est évidemment polysémique : puissance politique et/ou domination physiologique – avec un hiatus puisque « l’empereur » japonais, « tenno », n’est pas politiquement puissant (ah, si je tenais le scélérat qui le premier a traduit « tenno » par « empereur » !…) ; au final, c’est pour dire que le Japon est le pays dans lequel la population est « sous l’empire » des signes (écritures, codes, règles, etc.) plutôt que « sous l’empire du sens » ; les Japonais seraient donc guidés par des signifiants plutôt que par des signifiés – je ne suis pas certain que ça leur fasse plaisir (mais le texte ne leur était pas destiné – c’est l’un des enjeux aporétiques de ce cours…).
    Le titre est forgé par Barthes à partir de l’expression classique « l’empire des sens », ou « être sous l’empire des sens » (et non « du sens » – ah, la polysémie du mot « sens » en français…), expression qui existait bien avant le film d’Oshima Nagisa (1976, dont le titre était d’ailleurs Ai no korida, « la corrida de l’amour », Ooolé !!!).
    Cette expression caractérisait même une maladie très grave, la « fureur utérine », dans le jargon médical du 18e siècle
  • À propos de l’image de couverture originale. Il s’agit très probablement d’une photographie de poupée représentant Murasaki Shikibu écrivant Le Dit du Genji ou son journal. C’est une icône de la culture japonaise (plutôt qu’une « mythologie »). Barthes écrit, pour la table des illustrations :  » je ne sais qui est cette femme, si elle est peinte ou grimée » – no comment… Il est également possible que ce soit la poupée du temple Ishiyama-dera, dans la province de Shiga (merci à Katsunori-san pour la source), mais il apparaît que la couleur du kimono, la coiffure et la table sont différentes (l’œuvre a pu été renouvelée depuis l’époque de celle qui figurait sur la carte postale reçue par Barthes ?).

Le 17 avril : textes d’introduction et chapitre 1.

    • Présentation du texte de rabat de couverture de l’édition originale (ci-dessous ou ici) :

    « Pourquoi le Japon ? Parce que c’est le pays de l’écriture : de tous les pays que l’auteur a pu connaître, le Japon est celui où il a rencontré le travail du signe le plus proche de ses convictions et de ses fantasmes, ou, si l’on préfère, le plus éloigné des dégoûts, des irritations et des refus que suscite en lui la sémiocratie occidentale. Le signe japonais est fort : admirablement réglé, agencé, affiché, jamais naturalisé ou rationalisé. Le signe japonais est vide : son signifié fuit, point de dieu, de vérité, de morale au fond de ces signifiants qui règnent sans contrepartie. Et surtout, la qualité supérieure de ce signe, la noblesse de son affirmation et la grâce érotique dont il se dessine sont apposées partout, sur les objets et sur les conduites les plus futiles, celles que nous renvoyons ordinairement dans l’insignifiance ou la vulgarité. Le lieu du signe ne sera donc pas cherché ici du côté de ses domaines institutionnels : il ne sera question ni d’art, ni de folklore, ni même de « civilisation » (on n’opposera pas le Japon féodal au Japon technique). Il sera question de la ville, du magasin, du théâtre, de la politesse, des jardins, de la violence ; il sera question de quelques gestes, de quelques nourritures, de quelques poèmes ; il sera question des visages, des yeux et des pinceaux avec quoi tout cela s’écrit mais ne se peint pas. » Lire la suite...

Hiver 2015 / cours sur « Quartier perdu » de Patrick Modiano

Du 9 janvier au 27 février 2015, 
à l’Institut français du Japon – Tokyo,
le vendredi de 13:30 à 15:30.
« Il me semble, malheureusement, que la recherche du temps perdu ne peut plus se faire avec la force et la franchise de Marcel Proust. La société qu’il décrivait était encore stable, une société du XIXe siècle. La mémoire de Proust fait ressurgir le passé dans ses moindres détails, comme un tableau vivant. J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même et qu’elle doit lutter sans cesse contre l’amnésie et contre l’oubli. À cause de cette couche, de cette masse d’oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables. » (Discours…, 2014)

Sur Patrick Modiano

Calendrier du cours

  1. Le 9 janvier : du début du texte jusqu’à la page 25.
  2. Le 16 janvier : lire jusqu’à la page 36.
  3. Le 23 janvier : Lire jusqu’à la page 56.
  4. Le 30 janvier : => p. 80.
  5. Le 6 février : => p. 97.
  6. Le 13 février : => p. 121.
  7. Le 20 février : => p. 154.
  8. Le 27 février : => p. 184 (fin).

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COMMENTAIRE DU ROMAN

  1. Le 9 janvier : du début du texte jusqu’à la page 25. 
    • p. 9, le « passeport vert-pâle, orné de deux lions d’or » ne permet pas d’identifier un pays. On pense tout de même au Royaume-Uni, « pays d’adoption » d’Ambrose Guise, dont les armoiries royales sont flanquées d’un lion anglais et d’une licorne écossaise.
    • p. 9, pour quelqu’un qui avait « perdu l’habitude » de parler français, l’imparfait du subjonctif dans « je craignais qu’il n’engageât la conversation » est plutôt surprenant… même s’il faut tenir compte de la différence entre une conversation en taxi et son évocation textuelle entreprise plusieurs jours après (ce que le lecteur de la page 9 ignore encore).
    • p. 9, que l’on vienne de Roissy (Nord-Est) ou d’Orly (Sud), il est étrange d’entrer dans Paris « par la porte [de] Champerret » (Nord-Ouest) pour aller rue de Castiglione, qui se trouve en plein centre… En revanche, cela nous met tout de suite dans l’axe rue de Courcelles – place Vendôme, qui traverse l’histoire et la géographie du roman.
    • p. 9, trois plans temporels sont présentés : le présent du narrateur anglais (Ambrose Guise), le temps du passeport français « quand j’avais quatorze ans » (Jean Dekker) et, par association d’idées, un passé antérieur évoqué par les mots « bombardement », « exode » et « décombres ». Années 80, 60 et 40 sont les trois étages entre lesquels le narrateur va se (et nous) promener.
    • p. 10-11, le décor humain s’installe, sans jugement et comme intemporel : des touristes américains, néerlandais, allemands, jeunes ou moins jeunes, des homosexuels dans les buissons des Tuileries ; seule la vespasienne a disparu.
    • p. 11, « et si le fantôme, c’était moi ? »… (inversion du point de vue, introversion, début d’un questionnement qui est le sujet même du roman).
    • p. 12, le fantôme devient un « convalescent » et se met à parler français : il entre dans la ville réelle (et commence à faire revivre celui qu’il était).
    • à suivre, dans le cours…
  2. Le 16 janvier : lire jusqu’à la page 36.
    • p. 13, Jarvis (14 occ. dans le roman), « sur les traces de Peter Cheyney et de lan Fleming », selon Tatsuké (p. 19), également inspiré des « aventures du Mouron rouge [de] la baronne Orczy » (p. 28) et dont huit livres ont déjà paru (p. 22), le premier s’intitulant Jarvis who loves me (p. 30). || P. Cheyney (1896-1951), auteur britannique de romans d’espionnage, créateur du personnage Lemmy Caution (popularisé au cinéma par Eddie Constantine), qui est un détective à la fois séducteur, bagarreur, désinvolte et flegmatique… Les deux premières traductions de Cheyney en français sont parues en 1945 et portent les deux premiers numéros de la collection Série noire. || I. Fleming (1908-1964), auteur britannique, créateur du personnages James Bond dont les aventures paraîtront de 1952 à 1966 avant de connaître le succès que l’on sait au cinéma. || Emma Orczy (1865-1947), baronne d’origine hongroise et auteur britannique surtout connue pour sa série populaire de neuf romans et son personnage éponyme le Mouron rouge, the Scarlet Pimpernel (べにはこべ), surnom de Sir Percy Blackeney, un justicier qui sauve des aristocrates à l’époque de la Révolution française [voir film de 1934] et qui sera également un modèle de Zorro. || Les ressemblances entre ces personnages permettent d’imaginer un peu comment peut être Jarvis, en tout cas un personnage déterminé, actif, courageux, un héros au sens général, ce que n’est pas du tout Dekker/Guise, plutôt hésitant, introverti, rêveur, etc.
    • p. 14, la « liste des promenades et conférences » à Paris est une rubrique dans plusieurs journaux et magazines, notamment dans L’Officiel des Spectacles. Outre le panorama qu’elle offre par la diversité des noms parisiens, elle propose des rendez-vous pour former des groupes, ce qui favorise également des rencontres entre touristes, curieux, etc. (Guise pense : « si je me sentais trop seul »…). Cette liste doit être mise en relation avec le thème des touristes dans Paris et avec celui des rencontres à l’époque de Rocroy, déjà proposées par Hayward (p. 26 et passim), et à l’époque de Guise, comme Tatsuké l’explique pour les « R. M. » (p. 23-24).
    • p. 15, « considérer cette ville comme n’importe quelle autre ville étrangère » : le narrateur veut garder ses distances et ne pas replonger dans sa ville ; Tatsuké l’exhortera à repartir dès le lendemain (p. 25). Ces signes laissent le lecteur penser à un possible danger qu’il y aurait à rester et participent au suspense. || Les deux hommes se rencontrent dans un décor d’hôtel international, aussi neutre et touristique que la zone Rivoli-Castiglione, dans le sens de n’être pas véritablement Paris, et commencent leur conversation en anglais, langue internationale. Par la suite, ils regarderont Paris de loin, par une longue-vue (p. 18). || « Mr. Tatsuké, I présume ? » est à la fois une banalité pour s’adresser à quelqu’un ET un rappel du célèbre et flegmatique « Dr Livingstone, I presume ? » de Henry Morton Stanley retrouvant le docteur David Livingstone au milieu de l’Afrique en 1871… ce qui contribue aussi à dépayser la rencontre.
    • p. 16, « Ne vous inquiétez pas, mon vieux, j’aime bien les pizzas » : c’est par cette réplique, « brutalement » et de façon comique, que Guise fait savoir à Tatsuké qu’il parle français, avec l’accent de Boulogne-Billancourt, lieu de naissance de Modiano lui-même. Le narrateur est conscient de son effet et souligne la surprise de l’autre qui laisse tomber son porte-cigarette. Il le lui rend « avant que ça crame » : l’accent et le vocabulaire marquent, avec impertinence, une familiarité de langage plus avancée que le « français très pur » (p. 15) de Tatsuké, maintenant inquiet. Le positionnement hiérarchique des personnages par rapport au français s’inverse. Reste la question : comment se fait-il qu’ils parlent l’un et l’autre très bien français ?
    • p. 17, « il était décontenancé que je sache si bien parler français » (suite joute et suspense…) || Plus bas, « un groupe de Japonais », des touristes qui semblent très différents de Tatsuké.
    • p. 18, « j’ai été marié à une charmante Parisienne » : Tatsuké est le premier à évoquer le passé, révolu, à cause duquel il se tient maintenant à distance de Paris. « Elle tenait un institut de beauté », étrange coïncidence puisque une jeune femme que Dekker avait rencontrée travaillait dans une parfumerie… (p. 169)1
    • p. 18, « Moi, je n’avais pas besoin de cet appareil » : Guise, quittant en quelque sorte la zone internationale, se souvient de son Paris, des « façades familières » dans « l’enchevêtrement des rues » dans sa mémoire, puis s’attarde, avec la longue-vue, sur un café, ses clients, avant de rechercher la rue Troyon, sans succès… C’est le premier contact précis – mais frustrant – avec son passé.
    • p. 19, « la trop grande fraîcheur de l’air climatisé me faisait claquer des dents » : retour au neutre et à sa froideur. Puis aux « affaires » éditoriales : les contrats relatifs aux Jarvis, pour des produits dérivés (avec un chèque de 80.000 livres, voir p. 27)  – pratique commerciale de l’édition qui se existait encore très peu dans les années 80 en France alors qu’elle était déjà plus développée au Japon => Modiano aurait été informé de ce qui se faisait, peut-être à l’occasion de discussions pour la traduction en japonais en 1983 de son roman de 1981, Une jeunesse (voir page Wikipédia).
    • p. 20, « Kimihira » est le nom donné à une chaîne de supermarchés ; n’existe pas en japonais, et ne veut rien dire de particulier. Les kanjis 公平 peuvent se lire « kouhei », soit égalité, ou sans discrimination, ce qui peut avoir un sens dans le commerce populaire. Modiano se serait peut-être renseigné auprès d’un Japonais pour créer ce nom…
    • p. 21, sur le passé parisien de Guise, rapidement, jusqu’à « éluder la question » de son départ par un cliché : les « cycles » de la vie – ce qui affecte tout de même l’existence d’Ambrose Guise…
    • p. 22, possibilité d’en faire un livre (en français), goût pour les autobiographies. || Une « élégance sèche de samouraï » : cliché sur la ponctualité.
    • p. 23, ascenseur très lent… difficulté de revenir dans l’espace-temps habituel, où l’on arrive tout de même avec les « R. M. » = groupes quotidiens de « Rencontres mondiales », ayant pour but la formation de couples qui « ont toute la nuit pour lier connaissance ».
    • p. 24, le narrateur ne sait pas s’il va rester à Paris ou non, il a peur de se retrouver seul (après l’amicale connivence avec Tatsuké).
    • p. 25, mise en garde : « c’est malsain pour vous de rester là ».
    • p. 26, carte de la société de location automobile Hayward…
    • p. 27, téléphone à l’épouse qui n’est pas là… || Pensée sur le contraste entre deux époques, l’une rassurante, l’autre inquiétante, même vingt ans après. || Souvenir de sa modeste arrivée à Londres… dans un quartier en pleine restructuration dans les années 60.
    • p. 28, excellente situation d’aujourd’hui, réussite sociale et mondaine, jusqu’à l’ironique coquetterie du rachat, à Monaco, de la villa de la baronne Orczy, sa « marraine littéraire »… || Première mention d’un « vieux cahier » (p. 28-30, puis 182), à la fois répertoire et agenda d’autrefois, « l’un des seuls vestiges de ma vie antérieure », d’ailleurs devenu inutile car…
    • p. 29, les numéros de téléphone ne répondent plus (sauf p. 182). || « carapace épaisse d’écrivain anglais »…
    • à suivre dans le cours…
  3. Le 23 janvier : Lire jusqu’à la page 56.
    • p. 29-30 : on l’a vu aux p. 25-26, « malsain » et « Hayward » sont proches. Est-ce un hasard ? Symboliquement, c’est une carte « rouge », de la couleur qui signale un danger… Désœuvré, Guise se laisse aller à une « descente à travers le temps » pendant laquelle le nom Hayward – « Mais oui » = réminiscence – évoque « quelque chose ». C’est ce « quelque chose » qui va être recherché et exposé, l’un de ces « vestiges de ma vie antérieure » (p. 28) qui, pour le lecteur, se relie confusément avec le départ de France et la vie refaite en Angleterre vingt ans avant. D’ailleurs, Guise se donne à lui même un objectif : « résoudre toutes les questions qui sont demeurées en suspens » ! Vaste programme…
    • p. 30-31 : la lettre de Rocroy, d’il y a dix ans (milieu de la période). « vous devez vous en souvenir » = familiarité entre les deux personnes, vouvoiement respectueux. « À cause de la couverture… délicieuse femme brune » : motivation d’achat non-littéraire qui rejoint l’opposition entre « registre policier » et le « faire œuvre littéraire ». || Rocroy est le premier à nommer « Jean Dekker » (avant qu’il ne le fasse lui-même au téléphone, p. 35), à le reconnaître sur la 4e de couverture, à accepter que Guise veuille ne « plus rien avoir à faire » avec Dekker. || L’original de la citation de Rocroy sur les « silences » est : « Le secret que gardent sur nous des êtres nous maintient à la surface d’un abîme.Nous vivons à la merci de silences » (Henri de Montherlant (1895-1972), Carnets de 1957, que citera François Mauriac (1885-1970) dans ses Mémoires intérieurs, 1959).2 Il veut dire que ceux qui ont commis des crimes, par exemple, peuvent parfois vivre libres grâce au silence de ceux qui ont connaissance de ces crimes mais ne les ont pas dénoncés… En assurant Guise de son silence sur Dekker, Rocroy veut rassurer ; mais cela peut aussi être pris comme une menace voilée. || Le « monde interlope où » a navigué Dekker va « disparaître » : Dekker « très jeune » VS « crépuscule pour eux ». || En conclusion : la lettre reçue il y a dix ans n’avait pas été relue, elle contient certes un danger selon Montherlant mais Rocroy ne fait aucune demande, assure de sa discrétion et encourage Guise à continuer. Incidemment, le lecteur apprend beaucoup.
    • p. 32, article cinq ans après la lettre (encore le milieu de la période) : Daniel de Rocroy était avocat, réputé avant la guerre puis radié du barreau en 1969, nommé « bohême du barreau », terme dépréciatif voire accusateur. || La conférence du stage est un concours d’éloquence officiel.
    • p. 32-33, place de la Concorde et Champs-Élysées déserts, tranquillité et comme une réalisation de la prophétie de disparition de Rocroy… « sauf les statues ». || Indifférent il y a cinq ans, Guise est aujourd’hui affecté par la mort de Rocroy : il s’est reconnecté à son passé.
    • p. 34 : Rocroy est toujours (encore ?) dans l’annuaire téléphonique. Wattier est le nom de famille de Ghita, une survivante de cette époque, qui va donner accès aux informations du passé. « Ghita » est un diminutif de Marguerite en italien, assez rare pour être remarqué. Il y a eu une Ghita au milieu du XXe siècle, Marguerite Luchaire (1904-1987), artiste peintre également surnommée Grety, fille d’un spécialiste de la littérature italienne et sœur de Jean Luchaire qui adhéra aux idées fascistes et nazies dès les années 1930 et joua un rôle important dans la Collaboration pendant l’Occupation allemande (fusillé en 1946), elle épousa en secondes noces Théodore Fraenkel (1896-1964), psychanalyste et cofondateur du dadaïsme (divorce en 1943). Elle participa activement à la vie intellectuelle, artistique et nocturne des années 1920-1930, fut en relation avec le milieu avant-gardiste, amie de Youki et de Léonard Foujita ; durant l’Occupation, elle profita quelque peu des invitations obtenues par son frère mais resta fidèle à ses amis résistants…
    • p. 36, poinçonneuses automatiques : marquent le changement entre les années 60 et les années 80 (Cf. le Poinçonneur des Lilas de Gainsbourg…) || Premier retour rue de Courcelles, au 45 : « l’appartement […] existe réellement : Proust y vécut avec ses parents de 1900 à 1906. Mais c’est aussi au 45, rue de Courcelles qu’Eddy Pagnon et sa maîtresse Sylviane Quimfe se réfugièrent en 1944, lorsque Lafont les chassa de la rue Lauriston. C’est l’adresse officielle de Pagnon dans son dossier d’instruction. » (Denis Cosnard, Dans la peau de Patrick Modiano, Fayard, 2010, p. 80-81.)
    • p. 37, la « pagode chinoise » (11 occ., auj. Maison Loo), point de repère remarquable et étrange. Entrée dans le noir chez Ghita…
    • p. 38, Ghita le reçoit en « peignoir d’éponge » (quelque peu transparent, p. 41, et qui s’ouvre, p. 44)…
    • p. 39, elle offre de boire dans un verre où elle a bu… = mœurs légères et/ou familiarité retrouvée ? Affection et confiance en tout cas, puisqu’elle lui laissera les clés (p. 43).
    • p. 40, « quelque chose de japonais chez lui » : lien avec Foujita… et l’idée de la mort volontaire… ce qui fait penser au livre de Maurice Pinguet, La mort volontaire au Japon, publié chez Gallimard en… 1984 !
    • p. 41, Gyp, autre surnom de Ghita, qui est aussi celui de Sibylle de Mirabeau (1849-1932), aristocrate de famille légitimiste, journaliste et auteur de nombreuses œuvres populaires et mondaines, résolument nationaliste et antisémite, dont le salon accueillait la meilleure société au tournant du XXe siècle.
    • p. 42, une « chemise cartonnée » parmi de nombreux dossiers (affaires d’un avocat) est destinée à Jean Dekker « si possible » = principe de la bouteille à la mer, message reçu longtemps après.
    • p. 43, « le seul à vous être vraiment tiré d’affaire » : se tirer d’affaire, c’est se sortir d’une situation où l’on est coincé ou en danger, financièrement en particulier, pour parvenir à une situation saine. Il y avait donc forcément quelque chose de malsain dans l’ensemble du milieu que fréquentait Dekker dans les années 60, que sa réussite en tant que Guise a complètement écarté. Faut-il y voir une similitude avec l’histoire de Modiano lui-même ?
    • p. 44-46, solitude dans le Paris d’aujourd’hui – qui n’est peut-être pas le même que celui d’hier.
    • p. 47, première ouverture du dossier, juste le temps de voir le nombre de pages…
    • p. 49, « je replongeais dans le passé », « au fond d’un puits », puis il y a un « mécanisme secret » pour accéder à l’escalier, etc. = passage secret… vers le passé.
  4. Le 30 janvier :
    • p. 50-51 : Grâce à Ghita, la magicienne du temps perdu, ou la gardienne du temple secret (escalier dérobé, pièces cachées), Ambrose retrouve timidement Jean… Les allers-retours entre les rues de Castiglione et de Courcelles sont comme des plongées (le mot est employé plusieurs fois) légèrement oppressantes dans le passé, suivies de respirations à l’air libre du présent. Le lecteur peut cependant penser que Guise, qui ne semble pas être amnésique, se souvient parfaitement dès le début de ce qu’il faisait vingt ans avant, et se demander pourquoi faire attendre une vérité en suivant le chemin d’une enquête ? Serait-ce uniquement artificieux ? Un procédé littéraire ? Ou la volonté de Guise de vaincre sa propre répugnance à dire (et écrire) ce qu’il a caché aux autres – cela s’appelle la honte – en se donnant les moyens,  » par petites touches », de comprendre la situation, l’ambiance, l’enchaînement des faits, etc., ce qui rendra acceptable à ses yeux « le vif du sujet » encore indicible, son probable forfait, que le lecteur ne peut qu’imaginer grave, malgré la compréhension et l’aide de Rocroy « après que je lui eus tout expliqué »…
    • p. 50, « viatique » : argent donné pour le voyage, en soutien ou en secours.
    • p. 52, conversation téléphonique avec Ghita : communique au lecteur indiscret la « peur » de Guise/Dekker et offre un rythme de conversation, une attente d’autres commentaires.
    • p. 53,  » lisant au hasard des pages de papier pelure » : hasard ? + sens propre de pelure (peau retirée à un fruit et jetée) = subjectivité. Mais le papier pelure était aussi d’un usage précis avant les ordinateurs et les imprimantes : plusieurs feuilles séparées par des feuilles de papier carbone permettaient de réaliser simultanément plusieurs copies d’un document (à la main ou à la machine à écrire), sa simple présence indique donc cet usage et sa possible origine : la police.
    • p. 53-56, après tout ce flou psychologique, trois documents sont proposés, dans une forme qui imite un peu l’original : des types de discours se succèdent, dont la forme et l’apparence renseignent sur leur origine, en supplément des informations contenues. || 1. Déclaration de Carmen le 24 mai 1945 (désignant Farmer comme un trafiquant au marché noir). || 2. Fiche de Jean Dekker provenant de la Brigade mondaine du 5 juillet 1965. || 3. Témoignage d’un voisin des Hayward. (Analyse discursive de ces documents).
    • p. 56-63 : sortie et, près d’un tournage de cinéma, rencontre par hasard avec Robert Carpentieri, ancien chauffeur de Georges Maillot, un Tintin un peu ridicule. || Présence réaliste d’une actrice, peut-être Brigitte Fossey, en référence au film Jeux interdits (R. Clément, 1952, page jp.) ? || Coup de théâtre annoncé par Carpentieri, « Maillot n’est pas mort… », et rendez-vous au lendemain. Nous (lecteurs) ne savons pas encore qui était ce Maillot, dont le nom, quelque peu ridicule, répète celui de la Porte Maillot où Guise avait rendez-vous avec Tatsuké, mais nous ressentons le léger malaise de Guise devant ce surgissement d’un fantôme à la fois comique et pitoyable.
      • p. 59, un souvenir… de photo (encore un écran, un visuel intermédiaire).
    • p. 63-64, déposition de Carpentieri du 11 juillet 1965 ; les noms de Carmen et de Hayward reviennent, mais celui de Dekker n’est pas connu de lui (vérité ou faux témoignage ?).
    • p. 65, ayant peur du passé (suite au malaise ressenti et à de possibles risques que nous devinons sans les connaître), Guise se demande s’il doit (à nouveau) fuir.
    • p. 66, retour au tournage (on se demande d’abord ce que c’est : la technique de Modiano est de nous plonger dedans avant de nous dire ce que c’est…).
    • p. 67, intermède sur le souvenir des morts de Rocroy et de Maillot, qui n’avait guère ému Guise.
    • p. 68-81, en voiture avec Carpentieri, « filature » (p. 74) dans Paris associant les lieux où ils passent en suivant le fantomatique Maillot, la conversation au présent et les souvenirs ou commentaires de Guise.
      • p. 69, Rendez-vous de juillet (Jacques Becker, 1949), film sur la jeunesse d’après-guerre, le jazz et le be-bop. Le titre prend un autre sens, p. 73 : « Moi aussi, sans très bien m’en rendre compte, j’étais revenu à Paris pour un rendez-vous de juillet. » || Et réapparition de Carpentieri, qui reprend à : « Maillot n’est pas mort… » ; Guise se force au courage pour savoir ce qu’il veut dire et la preuve devrait arriver « dans quelques minutes » !
  5. Le 6 février : jusqu’à la page 97
    • p. 70, dans la voiture d’un quasi inconnu qui tient des propos étranges et conduit d’une « drôle de façon », nous comprenons que Guise soit mal à l’aise – nous-même, y serions-nous allé ? || 1ère étape : après la rue de Courcelles, un café, rue Vignon (petite rue sur la droite de l’image), où l’on attend une voiture qui passe « toujours » à la même heure – information qui concerne à la fois celui qui passe, et pourquoi, et celui qui le suit, et pourquoi également : le mystère s’épaissit, le cœur de Guise bat « très fort », il se demande comment réagir… Mais on remonte en voiture pour littéralement entrer dans la ronde.
    • p. 71, où l’on comprend que Carpentieri suit régulièrement un homme qui ne sort jamais de sa voiture et qu’il n’est jamais allé lui parler (habitude + distance = dépendance aliénante, qui pourrait être le symptôme d’une psychose maniaco-dépressive, plutôt que d’une simple mythomanie) – sans explication… || Lancia Flaminia, petite voiture de sport assez originale…
    • p. 72, démarrage, itinéraire connu par cœur : rue de Sèze, boulevard Malesherbes => vers le nord-ouest. Puis boulevard de Courcelles et de Wagram, vers l’Étoile = amusantes variations des rondes Maillot-Carpentieri. Guise est ému lors du passage près de la rue Troyon… et se souvient de l’hôtel où il était avec Maillot et Albert Valentin (Hôtel Triumph, au 1 bis, rue Troyon, actuellement Hôtel Princesse Caroline).
    • p. 73, place de l’Étoile, un seul « tour de piste », pour ce « rendez-vous » régulier, sauf disparition de Maillot pendant une quinzaine de jours (donc, Carpentieri vérifie tous les jours…). || Avenue d’Iéna, donc plein sud, vers la Tour Eiffel. || Retour du mot « rendez-vous » et sa résonance (film, situation de Guise qui a rendez-vous avec… Dekker).
    • p. 74, demande de preuve : on double la voiture et l’on attend qu’il passe = « aurait pu être » Maillot… Pas très probant, mais Guise ne veut pas contrarier ou « décevoir » Carpentieri. Contrarier, si c’est un fou, décevoir, si c’est juste un nostalgique – Guise ne sait pas dans quel cas il se trouve.
    • p. 75-81 : la filature, devient « cortège » ou « pèlerinage » – une dimension absurde apparaît dans le commentaire. || Passage devant le Musée Galliera. || Le plus important, ou le résultat de la thérapie : des souvenirs précis de Carmen et consorts réapparaissent :
      • p. 75 : la Calavados (au 40, av. Pierre-Ier-de-Serbie, auj. Black Calavados) = remontée de souvenirs, Carmen, les Hayward et les autres.
      • p. 76-77 : attitude de défi et d’implication = « trouver par moi-même », « le doigt dans l’engrenage »
      • p. 78 : devant l’appartement de Carmen, souvenir; quand « la vie commençait pour moi » = une origine de l’histoire.
    • Cette virée parisienne doit être mise en parallèle avec l’autre sortie nocturne en voiture dans Paris, son pendant dans le livre, celle avec Hayward, p. 156-162 :
      • p. 158, l’eau de toilette Acqua di Selva (qui existe vraiment, trad. eau de forêt) aide à son tour à la remémoration.
      • p. 159, Guise se demande si Hayward a reconnu Dekker…
      • p. 160, arrêt devant chez Carmen = instant de vérité, climax du suspense…
      • p. 161, Hayward reconnaît Dekker, se souvient de Carmen, indique qu’elle « est morte il y a cinq ans » (la même année que G. Maillot ?) = fin du tour et retour à l’hôtel.
      • p. 162, la quête de mémoire est-elle finie ? Non, voilà qu’une autre « fille brune » revient à son tour à la mémoire = c’est comme pour les trains : attention, une fille peut en cacher une autre !
  6. Le 13 février : jusqu’à la page 121.
    • p. 81-82, nouvel essai (raté) d’appeler sa femme en Suisse ; fait apparaître par contraste : « la fraîcheur de Klosters » VS « des eaux tièdes et croupies » (chaleur de Paris + remuement de vieux souvenirs = sensation désagréable)
    • p. 82-83, NOTE sur Georges Maillot, domicilié en Italie, fréquents séjours à Paris, débute en 1941 = invitation à imaginer comment on peut « débuter » en 1941, dans quelles compromissions, sinon collaboration, il pouvait être nécessaire d’entrer. || Nouveaux noms de proches, certains déjà lus… Il devient nécessaire de faire le point sur ces personnages, dans l’ensemble de l’œuvre de Modiano :
      • Carmen (p. 53 et passim, née Chauvière, future Mme Blin), née en 1925, morte en 1978, à l’âge de 53 ans, danseuse de cabaret en 1943, liaison avec Bernard Farmer jusqu’en août 1944 (quand celui-ci quitte Paris, le même mois que la libération de Paris…), liaison et mariage avec Lucien Blin, couple cité dans le livre Comment ils ont fait fortune (Merry Bromberger, Paris, Plon, 1954, voir couv., livre que Modiano attribue, p. 126, à un imaginaire Guthrie Schwill)  que Dekker lit au Val de Grâce (p. 93, et dans lequel Modiano a sans doute ajouté le nom de Blin)…
      • « Jean T. » (p. 83), sans doute Jean Terrail (voir Cosnard, p. 71 et 81), lié à la Gestapo française de la rue Lauriston, voir aussi ce téléfilm ou ce forum) et à Eddy Pagnon, personnage récurrent des romans de Modiano.3
      • Ludo Fouquet, assassiné chez les Hayward (p. 55-56), parmi les gens rencontrés à la Calavados (p. 75), dans les relations de Carmen (p. 83)
      • Andrée Karvé (p. 75, 83), peut-être liée à Genia Karvé qui a le numéro de « téléphone de la rue Lauriston », dans De si braves garçons (1982), cf. Cosnard, p. 80.
    • p. 84-86, essai de revoir Carpentieri, mais il a disparu, et ne répond pas au téléphone.
    • p. 86-87, Guise somnole chez Rocroy, se souvient de la préparation de son premier livre = répétition ? Et réunification Dekker-Guise.
    • p. 88-89, nouvel appel téléphonique à sa femme (sans la joindre) et annonce de sa décision de rester à Paris encore quelques jours ; autre décision, celle de « descendre au fond d’un puits pour chercher, à tâtons, quelque chose, dans l’eau noire », « mes débuts dans la vie » = achat de trois blocs de papier (pour écrire (beaucoup), en commençant par une petite lettre à sa femme).
    • p. 90, début du chapitre II, celui de l’écriture de son histoire et de la mémoire volontaire ; l’expression en venir aux aveux sert généralement dans un contexte criminel… Tout commence à « vingt ans », en « Haute-Savoie »
    • p. 91, rencontre de hasard, conversation entendue, « Mme Blin » reconnue…
    • p. 92, problème de bagages (nombreux = femme riche, monde du luxe, etc.)
    • p. 93, Dekker sidéré par la rencontre d’une femme dont il était question dans un livre lu peu de temps auparavant + souvenir du Val de Grâce où Dekker était « hospitalisé » l’automne précédent (pour quelle raison ? pour échapper au service militaire, voir p. 104). Donc Comment ils ont fait fortune est incidemment posé comme étant à l’origine de toute l’histoire. On ne nous explique pas comment Blin a fait fortune, mais sa célébrité explique la rencontre comme point de départ. (Comment telle ou telle personne a fait fortune est devenu un type de récit, avec des éléments stéréotypés, que Modiano ne veut pas nous obliger à subir…)
    • p. 94-97 : Dekker se propose pour le transport des bagages.
    • p. 97-99 : arrangement à la réception de l’hôtel, informations sur les Blin.
    • p. 99-101 : le voyage en train avec les bagages de Mme Blin || rapide confidence de Dekker sur son adolescence dans la région.
    • p. 101-106 : arrivée à Paris puis chez Carmen, la première fois.|| p. 105, Avril au Portugal, chanson célèbre d’Yvette Giraud en 1950 (musique plus ancienne).
    • p. 106-110, l’étrange ambiance de l’appartement où « Madame dort », les premières impressions de Dekker, logiquement très fortes dans le souvenir – étrangeté, oppression, Dekker veut sortir…
    • p. 110-112, tour dans le quartier, jusqu’au soir…
    • p. 112-115, retour dans l’appartement, Dekker va être reçu…
  7. Le 20 février : jusqu’à la page 154
    • p. 115-121, première conversation, repas informel, début d’intimité et de tutoiement… ressemblance de Dekker avec Farmer (voir p. 53-54, repris p. 124), qui avait peut-être été le premier amour de Carmen (elle avait 19 ans, il en avait peut-être 30…).
    • p. 122-123, sur la ressemblance avec Bernard Farmer, pas physiquement, mais « pour une question d’ambiance », selon Rocroy… Selon Cosnard (Dans la peau de P. Mod., p. 81), Bernard Farmer, alias « Michel », nous relie à un véritable « Michaël Farmer [1902-1975], l’un des anciens maris de la vedette d’Hollywood Gloria Swanson [1899-1983], [qui] fréquenta en effet Sylviane Quimfe et Eddy Pagnon au printemps 1944 à Tulle, lors d’une expédition de ce dernier contre le maquis. » [expédition dirigée par Lafont sous uniforme allemand, qui sera un échec.]
    • Gloria Swanson, actrice dès 1916, mariée en 1916-1919 avec Wallace Beery, en 1919-1922 avec Herbert K. Somborn, en 1925-1930 avec le marquis Henry de la Falaise, en 1931-1934 avec Michaël Farmer (décrit comme un « playboy » faisant des crises de jalousie à cause de la célébrité de sa femme…), en 1945-1948 avec William Davey et de 1976 à sa mort avec William Dufty. Elle quitte le cinéma après l’arrivée du parlant en 1934 pour y revenir en 1950 dans Sunset Boulevard ; elle joue jusqu’en 1974.
    • p. 123 : « Vous lui rappelez sa jeunesse. Alors elle vous associe à Farmer. » C’est sans doute la parole la plus juste et universellement compréhensible.
    • p. 123-126 : plongé dans l’écriture, Guise/Dekker écrit en partie avec sa sueur = fusion homme-écriture & passé-présent.
    • p. 124 : il accepte d’être ironiquement le fils spirituel de Farmer, puis sort se promener, le présent et le passé vécus se superposent dans son esprit, ce qui dans l’écriture donne des formes d’association et de succession rapide du présent et du passé. || Opposition entre la banalité décevante du présent, l’uniformité inhumaine des touristes et l’absence des témoins du passé : « les mêmes hommes [et femmes] » VS « Existe-t-il », « déserte… rares… abandonnés », avec emphase lyrique (questionnement, appel à « toi Carmen ? », cette opposition dramatise la situation et la rend intense jusqu’à la fin du passage.)
    • p. 125 : Il va devant l’immeuble où habitait Farmer, 179, rue de la Pompe. || Pense à aller à l’hôtel Malakoff (près Trocadéro, aujourd’hui Hôtel au Trocadéro) – et écrit clairement ce qui est resté caché ou flou jusqu’à maintenant : « ma dernière nuit à Paris […] après le meurtre de Fouquet. » (ce qui ne veut pas dire que c’est lui qui l’a tué…) / voir aussi différence entre meurtre et assassinat.
    • p. 126 : bel exemple d’articulation des trois époques d’un même lieu, la place Victor Hugo, avec sa fontaine : les Japonais à la terrasse du Scossa en 1983, « plus rien de nous » de 1963, « plus grand-chose de… l’époque de Lucien Blin », soit 1943.
    • p. 126-128 : via Blin, on se rapproche de la relation Rocroy / Dekker, encore une fois considéré un peu comme un fils. On comprend un peu comment ces relations tenaient : le jeune Dekker est fasciné par Carmen et ses amis, peut recevoir de l’affection et être aidé dans la vie, tandis que les ainés, Carmen, Rocroy, etc., profitent de la jeunesse de Dekker et voient en lui l’enfant qu’ils n’ont pas eu. || Rocroy aurait pu être « l’historiographe » de « la bande » ; Guise hérite des documents (le dossier donné par Ghita) et essaie de conserver des bribes d’informations (relire en lui ce qu’il avait entendu), mais il constate qu’une bonne partie est perdue à jamais ; « le jeu des cristaux d’un kaléidoscope » donne une bonne image des aléas des relations dans le temps et de l’impossibilité de les rendre.
    • p. 128-133 : écriture et dédicace. || Autres auteurs découverts, « Earl Biggers, Rufus King, Phillips Oppenheim, [Georges] Saint-Bonnet, Dornford Yates… » – tous bien réels et formant, pour nous, une intéressante sélection ! Noter que Saint-Bonnet est le seul Français, avec un assez étrange parcours. || Apprécier la dichotomie : « ceux qui font les livres » et « ceux sur qui les livres se font » ! || Albert Valentin (1902-1968) est également un réel scénariste de cinéma, lié au Surréalisme vers 1929, assistant de René Clair (À nous la liberté) ou de Jean Renoir, réalisateur des années 1930 ; en 1944, son film La vie de plaisir est interdit par Vichy puis une nouvelle fois à la Libération… (écouter la présentation de Marie-Martine, film tourné en 1942-1943, par Raymond Chirat à la Villa Lumière en 2011.)
    • p. 132, distorsion entre le passé des uns, où l’on s’amusait (encore) à Paris, et le présent du jeune Dekker qui vit (à) Paris et ne peut comprendre leur attachement au passé qu’il n’a pas connu… »une ville qui correspondait à mes battements de cœur » fait penser à Baudelaire : « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) », dans Le cygne (in « Tableaux parisiens », Les fleurs du mal, vers 1856, au début des travaux du baron Haussmann…).
  8. Le 27 février : jusqu’à la fin, p. 184.
    • p. 134 : l’arrivée des Hayward et le changement d’époque qu’ils inaugurent – bonne distraction pour les fantômes..
    • p. 135-137 : en voiture avec les Hayward, ambiance.
    • p. 138-142 : ambiance des autres jours/nuits, quand les Hayward ne venaient pas…
    • p. 143-148, avec Carmen au haras, dernier reste de son glorieux passé du temps de Blin.
    • p. 149-154 : bilan des trois mois de cette année-là, le « faux départ dans la vie ».
    • p. 155-162 : un peu sur le mode de Je me souviens de Georges Perec (publié en 1978, soit 6 ans avant Quartier perdu), nous avons l’impression que Guise / Modiano est arrivé à évoquer son passé, sans véritable histoire au présent de la narration. N’ayant pu savoir avec Carpentieri ce qu’était devenue Carmen, il a plus de chance avec Hayward… qui lui révèle qu’elle est morte. Fin de l’histoire.
      • p. 162, mais, comme on l’a dit précédemment : attention, une femme peut en cacher une autre ! ((C’est d’ailleurs le titre d’un film de G. Lautner en 1983 !…)) Carmen disparue, voici que réapparaît, et vient au centre du texte, la mystérieuse « fille brune ». Remarquons, si ce n’était pas encore fait, que c’est le seul personnage qui n’a pas de nom. Par vraisemblance, on pense tout d’abord qu’il s’agissait d’une personne embarquée dans les aventures du groupe sans avoir été nommée à Dekker, qui n’osait pas demander. Il a été dit qu’avec Hayward, le groupe changeait de rythme et de style, qu’il y avait de nouvelles têtes, comme Ludo Fouquet, certes nommé, mais banalisé par l’expression « ce type châtain aux yeux bleus et à l’imperméable léger », dont on sait pourtant que c’est lui qui va mourir depuis la page 55 ! Guise mentionne alors une sorte de complicité (au passé ET au présent) entre Hayward & Dekker, quand Carmen avait trop bu : cela ne plaisait pas à Dekker ; il aimait Carmen mais il n’arrivait pas à s’intégrer au groupe… Problème d’âge, d’histoire antérieure non partagée, sans doute.
      • p. 163, avec ce thème de l’ivresse, puis celui de la présence insistante de Fouquet auprès de Carmen, l’écriture se focalise – « tous les détails de cette nuit » – sur des éléments à connotation négative : le Tagada apparaît plutôt comme un endroit vulgaire…
      • p. 164, autres connotations négatives : la présence de J. Terrail et de « comparses », puis la « nausée » et son accumulation de causes. C’est dans cette ambiance que la « fille brune » veut rentrer chez elle, tout comme Dekker. Elle est une employée, différente de la bande, d’où le fait que ses mots « résonnaient d’une drôle de façon »…
      • p. 165, cette dissonance semble suffire, dans le souvenir et « déjà, à cette époque », à faire disparaître les « fantômes » de la nuit. La série de mots : « fille, « mon genou », « lavande » (VS « nausée » d’Acqua du Selva) apporte des connotations positives – sans que rien ne soit vraiment dit, le texte oriente la sensibilité du lecteur vers un contraste accentué entre le malsain et le sain : Carmen + groupe de fantômes (malsains) ET la fille brune, employée sérieuse qui sent la lavande = saine. || À ce moment, Carmen joue sur les sentiments de Dekker en lui proposant de séduire la fille brune, ce qui déclenche la solidarité entre les deux jeunes gens : il parle « à voix basse », elle se confie à lui à propos de la violence de Fouquet. Pour Dekker, cela devient « terrible », et cela concerne le même Fouquet (avec Carmen et avec la fille brune).
      • p. 166-167, le texte évoque de plus en plus clairement une situation décadente que Dekker n’appréciait pas ; Fouquet aggrave son cas avec des propos à la fois vulgaires, sexistes et racistes : « Quelque chose d’excitant… Une négresse… » ; « la quantité d’alcool » fait peur à Dekker, il veut partir, en obtient l’autorisation de Carmen, comme la fille brune avec Fouquet.
      • p. 168-171 : Dekker et la fille brune font connaissance en marchant ; elle lui donne rendez-vous le lendemain à Saint-Maur, 30 avenue du Nord, au milieu de nulle part…
        • Elle travaille rue de Ponthieu, où Fouquet l’a « repérée », vocabulaire de dragueur / chasseur, dans un quartier connu pour sa vie nocturne, la présence du club Chez Régine. Elle se sent liée à Fouquet par l’argent qu’il lui a prêté. Très jeune, elle est un peu honteuse, craintive… et a exactement le même âge que Dekker, à un jour près.
        • Roland Toutain, acteur-cascadeur célèbre des années 1930-1950.
      • p. 172-174, bluette centrale et… excentrée : centrale parce que cette brève amourette est à l’origine du drame, du crime et du départ de Dekker pour l’Angleterre ; et excentrée parce qu’elle se déroule en dehors du Paris vicié par Carmen et ses relations, dans un cadre bucolique de banlieue tranquille, où deux jeunes gens se rencontrent et s’aiment simplement… Ils sont comme Adam et Ève, se promènent à La Varenne-Saint-Hilaire pendant l’après-midi, dans la zone fluviale, au bord de la plage, etc., et y prennent une chambre au Petit Ritz…
        • Dans Dimanches d’août (1986, le roman publié juste après Quartier perdu), un couple se forme à La Varenne avant de partir en cavale à Nice. Un des personnages, Mme Villecourt, évoque le passé de ce quartier : « Il y a toujours eu quelque chose de noir et de crapuleux sur ces bords de Marne… […] C’était l’endroit où les maquereaux et les tenancières de maisons prenaient leur retraite… Je sais de quoi je parle… » (p. 153)
        • Dans Un pedigree (2005), Modiano y situe, en juillet-août 1943, un séjour de ses propres parents.
        • Pour l’argot du milieu, la mise en valeur du travail féminin et l’ambiance d’après-guerre, on appréciera le film intitulé Les pépées font la loi (Raoul André, 1955, d’après le roman de Raymond Cavailla). Vers la 14e minute, deux femmes parlent de l’obligation dans laquelle elles ont été de fermer leurs « maisons » et de se ranger en 1945, avant d’élever bourgeoisement leurs filles qui ignorent tout du passé de leur mère : « Après tout, on avait un commerce contrôlé par l’État comme les casinos, les stations thermales et les grandes écoles »… Ghita, Carmen, Rocroy, Hayward, etc., ne devaient pas être très différents des personnages de ce film, sans doute moins amusants.
      • p. 174-181 : la nuit du crime, comment Dekker est venu en aide à la fille brune, et ce pourquoi il a aussi dû fuir le lendemain. Elle « n’a pas pu être identifiée » contraste évidemment avec tous les personnages précédents… et relance le mystère, au présent…
      • p. 181-184, pour finir par la retrouver. Fin ouverte : Dekker et Guise fusionnent grâce à l’écriture et aux retrouvailles. Mission accomplie : quartier retrouvé.

Géographie parisienne du roman

Plan de Paris - Quartier perdu

1. Hôtel du narrateur ; 2. Appartement Rocroy ; 3. Appartement Carmen ; 4. Chez les Hayward, lieu du crime…

Albert-Ier (cours), 8e [n°3 sur le plan] :

  • p. 64, adresse de Carmen Blin, donnée (sans numéro de rue) par Carpentieri dans sa déposition de 1965
  • p. 78, filature Carpentieri-Maillot, étape 15
  • p. 83, Maillot était souvent reçu au domicile de Carmen, signalé dans une note de police de 1965
  • p. 97, au 42 bis, adresse de Carmen Blin, donnée à Dekker en Haute-Savoie pour qu’il lui rapporte ses bagages à Paris
  • p. 129, allusion en parlant de chez Carmen

Alexandre-III (pont), 7e et 8e :

  • p. 79, filature Carpentieri-Maillot, étape 16 et dernière, on sort de voiture pour s’accouder au parapet et regarder Paris (p. 80)
  • p. 158, traversé en voiture pendant la promenade Hayward
  • p. 161, évocation du parcours habituel de Maillot & Carpentieri

Alma (place de l’-, pont de l’-), 8e et 16e [n°3 sur le plan] :

  • p. 76, filature Carpentieri-Maillot, étape 11, souvenir de passage à pied avec Carmen
  • p. 78, filature Carpentieri-Maillot, étape 14
  • p. 105, pont traversé en voiture avec les bagages de Carmen
  • p. 110-111, sorti de chez Carmen pour acheter un journal (aller et retour)
  • p. 121, rumeur de la circulation, Carmen s’est endormie
  • p. 129, idée de s’asseoir un jour à la terrasse Chez Francis (place non-nommée)
  • p. 132, souvenir du vent de printemps de cette année-là…
  • p. 141, souvenir de promenades nocturnes avec Carmen
  • p. 160, place indiquée pendant la promenade Hayward et pont traversé
  • p. 161, Guise et Hayward se parlent dans la voiture, Guise pense à attendre le passage de Carpentieri
  • p. 170, Dekker et la fille brune, sortant de chez les Hayward, y arrivent pour trouver un taxi

Anatole-de-la-Forge (rue), 17e :

  • p. 151, dans la liste des rues en pente du quartier
  • p. 183, évoquée encore une fois pour sa pente

Arc-de-Triomphe (rue de l’-), 17e :

  • p. 151, dans la liste des rues en pente du quartier
  • p. 183, évoquée encore une fois pour sa pente

Austerlitz (pont d’-), 5e et 12e :

  • p. 104, en voiture avec les bagages de Carmen

Brunel (rue), 17e :

  • p. 63, au 5 bis, domicile de Robert Carpentieri, dit Tintin, selon sa déposition du 11/7/65
  • p. 85-86, même adresse de Carpentieri mais trouvée dans l’annuaire en 1985

Buttes-Chaumont (parc des), 19e :

  • p. 143, quartier dans lequel Carmen avait gardé la propriété d’un petit cinéma

Capucines (boulevard des) :

  • p. 12, lumières visibles du balcon de l’hôtel

Carnot (avenue), 17e :

  • p. 151, dans la liste des rues en pente du quartier
  • p. 183, évoquée encore une fois pour sa pente

Castiglione (rue de), Paris 1er [n°1 sur le plan] : Lire la suite...

  1. Cela nous incite à regarder l’ensemble du personnel féminin du livre : à part ces deux employées, la mère « girl » de Guise (p. 21) et une actrice de cinéma (p. 57), les femmes sont des épouses ou des veuves sans profession (Carmen, Ghita, Hayward) qui participent aux activités festives et nocturnes que le roman évoque dans les années 60. []
  2. Or Mauriac, notamment avec le Cahier noir publié chez Minuit en 1943 sous le nom de Forez, est devenu une des voix de la Résistance tandis que Montherlant, compromis par la Collaboration et dénoncé dans le Cahier noir, quittera la vie intellectuelle pour « habiter en esprit l’Italie de la Renaissance », cf. Jean-François Domenget, Montherlant critique, Droz, 2003, p. 193 et 201-203. []
  3. Plusieurs membres participeront après-guerre au fameux gang des tractions avant, voir le film Le gang de Jacques Deray, 1977. []

Automne 2014 / Cours sur « Vingt ans après »

Du 10 octobre au 12 décembre 2014, 
à l’Institut français du Japon – Tokyo,
le vendredi de 13:30 à 15:30.

Calendrier du cours

  1. Le 10 octobre : début & reprise à l’époque de la Fronde (1648)
  2. Le 17 octobre : recrutements
  3. Le 24 octobre : l’évasion du duc de Beaufort
  4. Le 31 octobre : un duo pour Cromwell, un duo pour Charles Ier
  5. Le 7 novembre : tous contre le fils de Milady (& un crime en mer)
  6. Le 14 novembre : Sur l’Histoire dans le roman (choix littéraires et discursifs)
  7. Le 21 novembre : Suite sur l’Histoire  (Te Deum & Journée des barricades)
  8. Le 28 novembre : le passage en Angleterre
  9. Le 5 décembre : retour et punition
  10. Le 12 décembre : l’enlèvement du cardinal et comment cela finit pour chacun

Ressources en ligne :

Le 10 octobre : début & reprise à l’époque de la Fronde (1648)

(Étude de quelques passages des deux premiers chapitres, après cette introduction en forme de réflexion d’histoire et de philosophie littéraires…)

« Dans une chambre du palais Cardinal que nous connaissons déjà… » (p. 19)
Ces mots débutent le livre et font directement référence à un passage important des Trois mousquetaires (ici) : en 1625, d’Artagnan, craignant d’être arrêté, était convoqué par Richelieu qui avait « un plan »* pour lui, et il refusait d’entrer au service de Richelieu – alors qu’il va accepter d’entrer au service de Mazarin. Mais que se passe-t-il dans cette référence, d’ailleurs nommée « fantôme » dans le titre du chapitre ? Soit le lecteur a une bonne mémoire et se souvient, soit il retourne au premier volume, soit il fait confiance à l’auteur pour lui rappeler ce dont il aura besoin (car le fantôme n’est pas la personne-même).
En tout cas, l’intertexte, le lien intertextuel est inscrit dès l’ouverture, comme il était déjà inscrit dans le titre, au cas où on n’y aurait pas fait attention : Vingt ans après ? Après quoi ? À peine entré dans le livre, on peut déjà en sortir et y revenir, circuler – c’est un vaste espace virtuel offert à l’imagination du lecteur, et d’abord aux nombreux lecteurs de 1845, époque du feuilleton, qui demandaient une suite… que Dumas ne leur a pas donnée !
Vingt ans, le temps d’une génération, pour les êtres humains : ce n’est pas une « suite », qui devrait débuter où finit le volume précédent, mais une reprise. Et ce temps énorme nous questionnera toujours :que s’est-il passé pendant ces vingt ans ? Le suspense est donc double, dirigé à la fois vers le passé et vers l’avenir. De plus – redoublement, dédoublement, effet de miroir, tension bilatérale -, se re-produit pour chaque personnage, qui est souvent un couple de personnages : chaque (ancien) mousquetaire et son valet, Milady-Mordaunt, Richelieu-Mazarin, Buckingham-de Winter, tandis que les personnages uniques se dédoublent, comme Rochefort-ennemi & Rochefort-ami, Charles Ier en début et en fin de règne, la reine de France qui était épouse et maintenant régente, etc. Lire la suite...

Cours sur « Moderato cantabile » de Marguerite Duras

Session de cours de 5 séances, les vendredis de 13h30 à 15h20, 
du 4 juillet au 1er août 2014, à l’Institut français du Japon – Tokyo.

Le 4 juillet : chapitre 1.

  • Ouverture sans contexte. Évocation de l’écriture / lecture musicale pour jouer un morceau, avec apprenant ; possibilité de mise en abyme du processus de lecture avec contrat participatif : le lecteur doit être comme l’enfant.
  • Moderato cantabile, c’est une forme de didascalie (commentaire en marge des répliques théâtrales) : un sous-discours est mis en avant. Modération, piano (sens du mot en italien), exécution musicale répétitive, presque machinale.
  • « Moderato » va s’opposer au « cri », surgissement unique de l’accidentel et du passionnel dans un cadre d’ennui et de répétition… créant une tension propre à l’œuvre et que Duras fera exprès de maintenir sans la résoudre.
  • Dès le premier chapitre, il y a amalgame (et transformation) de deux éléments biographiques : l’apprentissage du piano par son fils « Outa » et la rencontre amoureuse de Gérard Jarlot, à qui le livre est dédicacé.
  • Par ailleurs, schéma récurrent chez Duras : l’opposition entre un adulte qui représente l’autorité ou l’éducation (et qui exige, parfois jusqu’à l’absurde, ou, crescendo, la colère, p. 9-11) et un enfant obstiné, qui symbolise parfois l’obstination dans la désobéissance, l’insoumission, voire la résistance à l’oppresseur (aboutissement de cela, peut-être, avec le film Les enfants, 1985, adapté en partie de Ah! Ernesto, 1971, cf. 11′ à 14’30 » par exemple).
  • L’enfant possède le talent (capricieux ?), l’obstination (incompréhensible ?), mais aussi la sensibilité, la naïveté : « se souvenir que le soir venait d’éclater. Il en frémit. » (p. 10), « la vedette lui passait dans le sang » (p. 11).
  • Dans le texte sobre, comme mesuré, le lecteur rencontre des expressions ou des images qui surprennent, font saillie, et sont comme la marque d’un dérèglement souterrain ou à venir : « soir… éclater » (p. 10), une « pose d’objet » (p. 11), « passait dans le sang » (11), « aridité » (12), « si glorieuses… blondeur… modifiée » (13), ‘en allé ou ? » (13), « le silence… se fit entendre » (13-14).
  • Les éléments du récit peuvent apparaître comme des instruments dans une pièce musicale :
    • la dame, la mère, l’enfant, descriptions et paroles,
    • la musique du piano (en « si bémol à la clef »), le bruit de la mer, celui de la vedette,
    • le soir, le rose, le paysage,
    • le cri, la plainte, les rumeurs des gens puis de la foule.

    Le 11 juillet : micro-lecture du chapitre 1.

    • Le « si bémol à la clef » peut être pris comme une mise en abyme à plusieurs niveaux :
      • il convient de bémoliser les passions (pour survivre)
      • la langue du texte est en bémol par rapport aux habitudes littéraires (dans le cadre des expériences proposées par des auteurs dits du Nouveau Roman).

      Le 18 juillet : lecture thématique des chapitres 1 à 4.

      • le thème de la ville, des conventions sociales qui la régissent
      • le thème de l’enfant (son existence, le prétexte et la garantie qu’il représente)
      • le thème de l’alcool (le vin)
      • le thème de la nouveauté VS du recommencement
      • le thème de la fascination pour le crime
      • le thème de la passion amoureuse / l’amour impossible / la folie

      Le 25 juillet : chapitres 5 et 6.

      • Nouvelle leçon de piano (donne un cadre hebdomadaire à l’ensemble);
      • l’enfant reste à la fois rebelle et adorable (au moins pour sa mère) – et quand il veut bien jouer, il joue bien ; Mlle Giraud suggère qu’une autre personne l’accompagne à sa leçon de piano (accusant la présence maternelle et cette « éducation » qu’elle donne à son enfant);
      • la « mesure » musicale demandée à l’enfant vaut aussi pour la mère : passer la mesure, c’est ne pas respecter certaines conventions sociales, s’exposer à la réprobation ou au scandale…
      • Nouveau passage au café : l’alcool devient dominant dans la relation, pour se désinhiber, d’abord, puis pour s’approcher à la fois du mystère du crime de la semaine passée et d’une possible aventure entre Anne et Chauvin ; il permet une forme de communion dans l’ivresse des deux personnages, mais sans consommation physique.
      • mais le mystère de l’amour fou et du crime restent inaccessibles – cernables, approchables, mais inaccessibles tant que l’on ne décide pas d’entrer complètement dans cette sorte d’illégalité, de marginalité, d’immoralité, etc.
      • en parlant du dîner officiel et mondain auquel elle prévoit d’arriver en retard, Anne annonce déjà le scandale. Elle est sur la corde raide : rentrer chez elle, c’est possiblement rentrer dans l’ordre (même si elle risque de se faire remarquer), rester plus longtemps, c’est possiblement partir dans l’inconnu (sorte de vertige où elle voit le fantasme ou l’illusion d’un amour absolu, désiré, etc.).

      Le 1er août : chapitres 7 et 8.

      Le dîner mondain (chapitre 7) impose des contraintes nombreuses : il est la quintessence de la mondanité (tradition aristocratique puis bourgeoise d’au moins trois siècles) et repose en grande partie sur la bienséance (p. 101) et l’art de recevoir de la maîtresse de maison, elle-même éduquée, dressée (« on les choisit belles et fortes », p. 109) pour mettre en valeur la maison et la famille dont elle est censée être le cœur, le joyau. Qu’elle manque à son devoir est donc déjà un scandale – auquel s’ajoute la cause immorale (et inexplicable, au moins aux invités) de son manquement. Le texte souligne d’abord ce cadre de tradition (« plat d’argent », p. 101), la qualité supérieure de cette société qui communie au Pommard (107)1 et par le « rituel » du service du « saumon » (101). Puis le texte signale les détails de bienséance auxquels Anne manque successivement : retard à l’accueil des convives (102-103), absence de conversation (104, 113), maintien instable, coiffure dérangée (103), ivresse visible et désagréable (110, 113), jusqu’au vomissement (114). Lire la suite...

  1. On voit tout ce que cette communion bourgeoise, marquée par les rituels du saumon et du canard à l’orange, a de différent de celle permise par le vin mauvais du chapitre précédent… []

Cours sur « Le sang des autres » de Simone de Beauvoir

Session de cours de 10 séances, les vendredis de 13h30 à 15h20,
du 11 avril au 20 juin 2014, à l’Institut français du Japon – Tokyo.

Beauvoir, Flore, 1944, par BrassaïRoman publié en 1945 avec succès (32 rééditions en 2 ans et traduction en 12 langues), écrit entre octobre 1941 (après L’invitée) et mai 1943, en grande partie au Café de Flore (alors chauffé et sans Allemands). Il a été catalogué un peu trop rapidement comme « roman sur la résistance » alors que l’intrigue commence dans les années 30 et avance progressivement jusqu’au milieu de la guerre. Il offre donc un panorama historique plus large.
Pour Beauvoir, son livre était en effet « le premier qui parlât, à ciel ouvert, de la résistance » (La Force des choses, p. 49). Cependant, le thème principal en était « le paradoxe de cette existence vécue par moi comme ma liberté et saisie comme objet par ceux qui m’approchent » (ibid.).
Philosophique et existentiel, le roman montre l’engagement (politique, syndical, guerrier) comme un conflit permanent entre l’individualisme et la solidarité. Sa construction tout en flashbacks souligne le remords, la culpabilité, révèle le sens autrefois ignoré des choses, à la façon de Proust ou de Faulkner.
Les deux personnages principaux s’opposent en presque tout : Jean réfléchit et pèse chaque acte, il veut être responsable de sa vie, alors qu’Hélène, plus jeune que lui, est impulsive, velléitaire, provocante (un peu sur le modèle de Nathalie Sorokine, élève et amie de Beauvoir). Leurs relations sont difficiles, complexes, et évoluent dans un sens imprévu après le début de la Seconde Guerre mondiale. Lire la suite...

Cours sur « Les états et empires de la Lune »

Liens

Cours sur « Arsène Lupin, gentleman cambrioleur »

Liens utiles

Calendrier du cours, du 10 janvier au 28 février 2014

  1. Le 10 janvier – Préface et chapitre I – Contexte littéraire.
  2. Le 17 janvier – Chapitre II – Adaptations.
  3. Le 24 janvier – Chapitre III – Contexte historique de création du personnage.
  4. Le 31 janvier – Chapitre IV – Histoire du roman policier.
  5. Le 7 février – cours annulé.
  6. Le 14 février – Chapitre V et  VI – Sources, mises en abyme et reprises.
  7. Le 21 février – Chapitres VII et VIII.
  8. Le 28 février –  Chapitre IX – Conclusion.

Pour le dernier cours

Chapitre VII : « Le coffre-fort de Mme Imbert » (voir vidéo de série-télé, histoire différente…). Au creux du recueil, ce court chapitre en deux parties, c’est celui de l’arroseur arrosé… Lupin, encore jeune, croit tromper des riches pour leur voler leurs millions mais en fait il est utilisé par eux sous un faux nom pour inspirer confiance et se faire prêter de l’argent. Il vole des titres faux et, quand les Imbert disparaissent, il est considéré comme le voleur. Mais les Imbert ne réapparaissent pas. Mystère… et « bouffonnerie supérieure » (p. 144). Lire la suite...

Cours sur « L’acacia » de Claude Simon

Actualité de Claude Simon

Calendrier du cours 

  • 11 octobre : présentation et chapitre I.
  • 18 octobre : chapitre II.
  • 25 octobre : chapitre III.
  • 1er novembre : chapitre IV.
  • 8 novembre : chapitres IV et V.
  • 15 novembre : chapitres VI et VII.
  • 22 novembre : chapitres VIII.
  • 29 novembre : chapitre IX.
  • 6 décembre : chapitres X et XI.
  • 13 décembre : chapitres XI et XII.

Demandons-nous tout d’abord ce que nous savons de Claude Simon (1913-2005)… Il nous importera surtout de dire ce qu’il disait lui-même : qu’il n’avait aucune imagination (invention), seulement des souvenirs, des documents, avec lesquels il s’efforçait de voir (images) et de revoir pour écrire.

Et si nous savons ce qu’est un acacia (images),

– et ce que ce mot peut signifier en tant que titre d’un livre, Lire la suite...

Cours sur « Candide » de Voltaire

Voir texte en ligne ici (édition Garnier, 1877).  Voir version manuscrite ici (Gallica) (numérisée par Azentis). Voir édition imprimée de 1759 ici (Gallica). Voir autre édition de 1877 ici (Gallica). Version audio ici et , par exemple. Film pour la télévision, 1967.

Calendrier :

  1. 11 octobre : chapitres 1 à 3.
  2. 18 octobre : chapitres 4 à 6.
  3. 25 octobre : chapitres 7 à 9.
  4. 1er novembre : chapitres 10 à 12.
  5. 8 novembre : chapitres 13 à 15, en présence de Stanislas Gros. 
  6. 15 novembre : chapitres 16 à 18.
  7. 22 novembre : chapitres 19 à 21.
  8. 29 novembre : chapitres 22 à 24.
  9. 6 décembre : chapitres 25 à 27.
  10. 13 décembre : chapitres 28 à 30.

11 octobre : chapitres 1 à 3.

Page de titre, Candide ou l’Optimisme, édition anonyme… avec auteur fictif (jeu de conventions). En réalité, c’est donc un texte de Voltaire (1694-1778), qui a 65 ans an en 1759. Il vient d’acheter un château à Ferney, tout près de Genève… mais il a écrit Candide à Genève, d’où les religieux voudraient le faire expulser à cause de l’article « Genève » de l’ Encyclopédie, qu’il aurait largement inspiré à d’Alembert…
– Candide = naïf, innocent…
– Optimisme = vient de la philosophie de Leibniz
Attention, le titre n’est pas Candide, ou l’Optimiste ; choisir l’Optimisme élargit le sous-titre pour proposer un procès en même temps qu’un portrait.
Voltaire est d’abord inspiré par le vrai tremblement de terre de Lisbonne (1755, dont Voltaire a déjà parlé) et le début de la Guerre de Sept Ans (1756). Lire la suite...

Été 2013 / cours sur « Le petit Prince » d’Antoine de Saint-Exupéry

Calendrier du cours

  • Le 5 juillet : du début au chapitre V.
  • Le 12 juillet : chapitres VI à X.
  • Le 19 juillet : chapitres XI à XVI.
  • Le 26 juillet : chapitres XVII à XXIII.
  • Le 2 août : du chapitre XXIV à la fin.

Ressources :

Le Petit Prince, site officiel.

Livre en ligne chez ebooksgratuits (format pdf).

Pour mieux connaître Saint-Exupéry : Wikipédia fr, jp, le site officiel Saint-Exupéry, beau site japonais du Petit Prince, autre page en japonais

En 1935, l’avion d’Antoine de Saint-Exupéry a effectivement eu un accident au milieu du Sahara… Dans son livre intitulé Terre des Hommes (1939), il donne une version de cette panne. Il a été sauvé par des bédouins après trois longues journées. Lire la suite...