Topos d’aristos las des paix

samedi 14 novembre 2009, à 23:56 par Berlol – Enregistrer & partager

L’Éducation sentimentale, cours n° 6. Je me suis bien amusé ce matin avec la genèse d’un duel (2-IV, p. 274288)… Je ne sais pas si ça s’entend. Et pourtant, c’était pas gagné, comme on dit. Aux aléas d’hier s’est ajoutée la perte d’un paragraphe plein de références sur les qualifications successives de Cisy avant 2-IV, à refaire à six heures du matin parce que cru copié-collé d’une autre page mais en fait pas collé dans la page du cours avant l’extinction des feux à près de deux heures du matin. Un copié-oublié… De plus, la volonté de consacrer une large place à la Némésis de Barthélémy (citée en 2-I, p. 150) parce que Deslauriers en dit trois vers alors que Flaubert est plutôt chiche en citations m’a contraint à parcourir verticalement hier après-midi dans le shinkansen une bonne partie du pdf de Gallica jusqu’à trouver quand « Elle reparaîtra…» (p. 122-123 du livre, soit 134-135 du pdf) alors que j’aurais dû utiliser ces deux heures à prendre des notes sur le dîner chez Cisy.
Retard explosé en soirée parce que T. avait dégoté les dévédés 8 et 9 de la série 7 de 24 Heures et que je ne pouvais décemment pas manquer ces quatre épisodes… (À signaler, côté nouvelles technologies, une étonnante signature électronique à distance mais néanmoins officielle de la présidente US pour autoriser le FBI à attaquer en urgence un bâtiment d’une armée privée…)
Mais revenons à nos moutons flaubertibles et à cette tendance (idiosynchrasie ?) de notre auteur : la foirade montée, comme on dit coup monté. Le duel, épisode éminemment romanesque, topos d’aristos las des paix, longuement mijoté aux prolepses, soutenu par un lectorat sans doute indigné de l’indélicatesse de Cisy au Café Anglais, acquis enfin par tout ce que casse l’assiette volante en une seconde — même si ça n’atteint pas la jubilation du grand magasin de Montbrison littéralement ravagé en moins d’une minute dans Ô Dingos ! ô chateaux ! (exemple qui n’a rien à voir et pourtant…) —, le duel, donc, mis au point dans les règles de l’art par un Regimbart qui surjoue (Frédéric perçoit trop tard cette erreur de casting), le duel n’aura pas lieu, Cisy — « qui semblait une demoiselle » (1-III) — s’étant senti mal et blessé au pouce en tombant, quand Arnoux accourait pour l’empêcher.
L’autre principale foirade montée du roman est bien sûr le rendez-vous entre Marie et Frédéric, destiné à concrétiser leur amour enfin réciproque… et qui n’aura pas lieu parce qu’un enfant malade et une révolution (rien que ça) se mettent en travers — « avertissement de la Providence » (2-VI, p. 349), pensera Mme Arnoux redevenant vertueuse.

L’aventure d’un mot était, ce matin, consacrée au personnel du roman. Il ne s’agit pas de se contenter de ces occurrences pour croire pouvoir analyser les personnages. En effet, les pronoms personnels et d’autres formes référentielles devraient aussi entrer en ligne de compte — ce que des chercheurs ont sans doute déjà fait. Mais même comme partie émergée de l’iceberg onomastique, il y a tout de même des proportions à saisir et des hypothèses à formuler. Par ailleurs, quand bien même d’éminents flaubertiens — que je salue ici bien bas — auraient déjà publié des études approfondies sur tel ou tel sujet, l’édition électronique offre à tout lecteur la possibilité d’explorer lui-même le corpus, d’exercer ses propres intuitions et de rester en contact personnel avec l’œuvre littéraire — ce qui est pour moi l’essentiel, d’où une pédagogie toujours tournée vers l’expérimentation.

Mais mon retard vient de plus loin… Au moins pour cette semaine, il a d’autres coupables : Nicolas Sarkozy, avec sa soi-disant photo berlinoise du 9 novembre 1989, et Éric Raoult, pour son « devoir de réserve » des récipiendaires de prix Littéraires. Partagés entre l’effarement hilare et l’abattement nauséeux, mes neurones n’ont cessé toute cette semaine d’en redemander, de vouloir les dernières dépêches. Dans leur idée de minuscules organismes, être en phase avec les réactions des concitoyens, espérer toujours d’impossibles sursauts d’intelligence — qui n’ont lieu qu’en paroles, hélas, et je m’en accuse aussi — pouvait être un moyen de comprendre leur identité nationale…

Flaubert et Hugo, pour ne prendre que ces deux-là, devaient aussi subir les politiques iniques de leur temps. Et en faire quelque chose dans leurs œuvres. Cela nous les rend proches. Mais c’est une déception de plus : malgré eux et tous les autres, l’horreur politique et l’horreur économique sont toujours là, et plus monstrueuses que jamais.

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Publié dans le JLR

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