Le monde était entièrement analogique

mercredi 6 août 2008, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Maintenant, l’appartement où nous avons habité depuis 7 ans n’est plus qu’un hangar où s’entassent, pas encore pêle-mêle, les affaires majoritairement destinées au voyage de Nagoya. Pas encore parce que la configuration des meubles correspond à ce que notre mémoire a connu vivant. Mais d’ici une semaine, il n’y paraîtra plus. Nous rendrons l’espace à son anonymat, sa disponibilité, ce qui lui a permis d’être l’habitat de cinq, sept, dix locataires successifs — ? — depuis la construction de l’immeuble dans les années 60.
Cependant, nos ordinateurs y sont encore. J’y suis donc venu ce matin travailler une heure, répondre à des courriers, constater que Globat n’a toujours pas retrouvé le chemin de mon blog. Ai reçu réponse après mon dernier courrier, on me dit qu’il y a un problème, qu’on y travaille, qu’on est désolé pour moi — traduction : un méga problème parce que ça fait quand même quatre jours entiers.

Après le déjeuner, quand la batterie de la perceuse est chargée, je fais deux beaux trous l’un en face de l’autre de chaque côté d’une cloison — j’ai bien mesuré et me suis quand même planté de sept centimètres à cause d’une plinthe cachée, donc second trou de ce côté-là — pour passer le câble réseau qui ira à l’imprimante dont on a bien l’intention maintenant de se servir aussi comme fax. Le trou étant juste, il faut scotcher la prise réseau pour qu’elle ne s’accroche pas comme un hameçon quand on voudra la faire repasser et lui mettre un guide fait d’un trombone déplié pour qu’elle atteigne le trou d’en face et ressorte de la cloison… Est-ce assez clair ?

Enfin, profitant de ma pause sieste, je paramètre Acrobat Reader pour lire des pdf sur deux pages, plein écran, et découvrir les autres paramètres ajustables d’Adobe, ce que je n’avais jamais fait, l’utilisant toujours au minimum nécessaire. Bien installé, je peux enfin apprécier les trente premières pages du recueil d’Olivier Rolin intitulé La Chambre des cartes (Publie.net, 2008).
Celui qui commence son ouvrage en saluant Julien Gracq et Claude Simon ne peut pas m’être indifférent ! Surtout quand j’ai déjà grandement apprécié son Tigre en papier de 2002, pour ne citer que celui-là, commenté au Graal en 2003, et eu l’honneur de l’entretenir plus d’une heure devant le public de l’Institut franco-japonais en juin 2003, comme cette mauvaise photo en témoigne. Ah, les numériques de ce temps-là !… Je l’avais asticoté un peu, me faisant l’avocat du diable, sur l’aspect témoignage, ainsi que sur la misogynie dont certains l’accusaient du fait d’une jeune femme un peu trop silencieuse dans la voiture de son narrateur. Mais il s’en était très bien sorti.

« Sur d’autres cartes du même Atlas, celles du « Grand archipel d’Asie », par exemple (l’Indonésie), on voit des lignes qui ne se referment pas sur elles-mêmes, n’enclosent aucun espace : comme des fêlures sur le verre de l’océan, des rides du vide. Derrière, il doit y avoir des îles, qu’on suggère par une ombre grisée, une sorte de fantôme, mais on s’astreint à ne plus dessiner que ce qu’on a observé, mesuré. Le monde est lacunaire, incohérent, mais assuré. Les terres de fantaisie disparaissent en quelques années. Sur les cartes qu’emporte La Pérouse, et dont Louis XVI, qui ne s’intéressait pas qu’à la serrurerie, gardait les doubles, la Nouvelle Guinée est flanquée d’une île aussi grande qu’elle : vingt ans plus tard, cette chimérique « Terre des Arsacides » s’est brisée en multiples éclats, l’archipel des Salomon. Rien de plus émouvant que de suivre cette constitution graduelle du monde.» (Olivier Rolin, La Chambre des Cartes)

Plus tard, j’en suis sûr, on parlera aussi de notre époque en disant « vingt ans plus tard »… Le monde était entièrement analogique, avec la télé, la radio, le livre, les voyages, etc., et vingt ans plus tard, la révolution de l’internet, plus encore que celle de la micro-informatique, avait intégralement changé le monde, recartographié tous les usages, tous les chemins des gens, des objets, des idées et des désirs.

Sortons enfin, quand il fait moins chaud, pour aller au magasin Muji de Yurakucho commander des boîtes de rangement. Puis dîner chinois au RenRenRen — d’où tout le personnel chinois a disparu. Un serveur à qui T. s’en étonne répond qu’ils sont tous partis, soit du fait de problèmes de visa, soit pour participer à l’aventure des Jeux Olympiques… Ça nous laisse perplexes.

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Publié dans le JLR

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