À sauver de l’oubli de l’Histoire, cette chienne

lundi 21 décembre 2015, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Il a beaucoup voyagé – son bagage n’est jamais très lourd.
Depuis longtemps, les idées qu’il a derrière la tête, que vous ne voyez pas quand il vous regarde, se transforment en livres. Aujourd’hui encore, quittant le Japon, il pourrait penser à la République de Hakodate et à ce que ça pourrait donner s’il se renseignait et s’il trouvait des personnages à sauver de l’oubli de l’Histoire, cette chienne.
À chaque fois, il en trouve un, ou plusieurs, parfois une bande. Ici Brazza quand les mémoires n’ont retenu que Stanley et Livingstone, là Yersin que la gloire de Pasteur tenait dans l’ombre.
Rasé de frais, son billet de retour en main – Clémence l’attend déjà dans le hall de l’hôtel – il regarde une dernière fois le paysage gris d’Iidabashi, le canal glauque et relâche le rideau.
Il boucle sa valise et doute de revenir jamais. Est-ce un regret ? est-ce une joie ? On ne sait pas. Il se dit qu’avec le Japon tout est flou, indécis, hybride. Lost in Translation était vraiment bien trouvé – Barthes avait pataugé et n’avait été sauvé que par l’ignorance crasse des Français de l’époque. Et lui, marchant dans le couloir, craint de ne pas faire mieux. Ou si, justement ! Hakodate, ça pourrait être autre chose que le centre vide de Tokyo…
L’ascenseur dévoile un couple en kimono. Il y entre, intimidé. Mais déjà des guerriers en armure sortis d’un film de Kurozawa lui apparaissent… Et une idée à écrire, vite. Dans le hall, son carnet à la main, il prie qu’on l’attende un moment. Il part mais un livre commence…

© Berlol, 2015.

Texte écrit le 8 novembre 2015 à l’Institut français de Tokyo, lors de l’atelier d’écriture animé par Patrick Deville. La consigne était, sur le modèle du premier chapitre de Peste & Choléra, de traiter d’un départ.
Parallèlement, j’animais un cours de 10 semaines sur ce même roman, cours qui s’est achevé le 11 décembre et dont les notes peuvent être retrouvées ici.
Au printemps, j’ai également donné un cours sur
L’empire des signes de Roland Barthes et n’en ai pas retiré tout le « plaisir du texte » que j’escomptais et dont j’avais gardé le souvenir. En étudiant l’expression et les références tout au long du livre – en grattant le vernis, donc – il m’a semblé que le propos sur le Japon était un tissu d’incohérences (en partie assumé, il est vrai) et que le livre était en fait une charge contre les contemporains français de l’auteur. Comme si une sémiotique de l’exotisme habillait de rances rancœurs domestiques.

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Publié dans le JLR

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