Les mains dans l’époche

mardi 18 juin 2013, à 23:59 par Berlol – Enregistrer & partager

Souvent, dans la dernière côte vers la fac, je croise un corbillard qui descend. Il est toujours suivi d’un petit autocar où familles et amis ont pris place pour aller du temple au cimetière. Encore quelques dizaines de mètres à pédaler sous une haie de lauriers-roses et me voici arrivé à l’entrée du campus. Je gare mon vélo sous un abri à cet usage, en face des tennis où les jeunes corps sveltes qui jouent comme des manches me font sourire et oublier l’avertissement quotidien des dangers qu’à vivre je cours.
Et si un camion mettait fin à mon aventure, qui prendrait place dans le petit autocar noir ?

On a toujours senti et dit que vouloir écrire ne suffisait pas. Qu’à trop vouloir écrire sans le faire, c’était l’autocensure et le poil dans la main qui gagnaient. La procrastination a toujours eu mauvaise réputation. On a honte, on s’accuse de faiblesse et de nullité… Ou pire : on se force à écrire les mauvais livres qui emplissent les librairies et maintenant les têtes de gondoles virtuelles. Coulures et dégoulinures pseudo-littéraires engraissent les éditeurs et finissent dans l’égout du recyclage papier.

Mais qu’a-t-on dit sur la tranquillité du non-écrire pour ne rien publier ? Sur la zenitude de la page blanche qui le reste un jour encore ? Sur la joie floue du cerveau qui flotte devant le monde et ne forme pas de mots ? Sur les mains dans l’époche ?
Et sur – conséquemment – le blog qui ne s’ouvre et ne se ferme qu’à mon gré ?

La littérature, en principe, ne sert à rien. C’est ce qu’elle doit être par essence – inutile – pour pouvoir parfois, accidentellement, atteindre quelqu’un et lui donner tout ce qu’il ne rêvait pas d’avoir – une plénitude intempestive. Sans contre-don à prévoir : il ou elle a tout reçu mais ne doit rien à personne. Et c’est comme cela qu’elle – la littérature – dure et se renouvelle.
Tout ceux qui veulent la faire servir l’asservissent et la perdent – fût-ce pour les beaux yeux de la révolution. Ils peuvent gagner l’argent, la gloire, le pouvoir, la prison… mais pas ma considération. Dont ils se passent très bien.

Sinon, j’ai fini Clèves au sport sur un vélo statique, en trois séances. Après la moitié du livre, l’intérêt se relâche – alors que durcissent à l’envi les partenaires de Solange. La démonstration de pédophilie par harcèlement de mineure n’est qu’une thèse, peut-être une réalité, mais ne prend pas d’épaisseur littéraire. Sinon, ici et là, quelques bonnes remarques ou répliques sur les premières règles, puis sur le désir qu’a l’adolescente de se faire bien voir en se pliant aux ordres et fantasmes des hommes, à partir de quoi elle découvrira – ou pas – sa propre sexualité, tentera ses propres expériences et fera – ou pas – ses propres choix.

« Ne m’oblige pas à mettre des mots sur tout. C’est gênant. On peut, genre, parler sans les mots. Vous les filles vous avez un rapport au corps très spécial. Un rapport très direct. Nous il nous faut un peu plus de (il cherche), un peu plus de temps et de formes. Par exemple ça se fait depuis toujours, c’est un fait culturel. À l’époque les Grecs faisaient ça tout le temps parce que les filles voulaient rester vierges, et là par exemple ce n’est pas un reproche mais vu que tu ne veux pas c’est-à-dire qu’on ne peut pas, mais ça va aller tout seul, pour que ça glisse, je veux dire, donc d’abord tu me suces et ensuite ça va tout seul. »

Donc d’abord elle le suce.

Le disque s’arrête, elle comprend (geste de la main) qu’il faut qu’elle le remette, elle attrape le bras du machin en gardant la bite dans la bouche et elle essaie de viser en prenant appui sur un coude, c’est complexe. « Grouille », entend-elle, « grouille, c’est mortel. » Elle sent un filet chaud entre ses jambes. Ça va tacher la moquette. Coiffée-décoiffée1 va moyennement apprécier. Le disque redémarre, elle va finir par le connaître mieux que Billy Jean, il faudrait qu’elle réussisse à lire le nom du groupe mais ça tourne trop vite.
La bite lui glisse hors de la bouche. Il pousse une plainte – le renfourner. Un truc la gêne au fond du palais. Elle se met à tousser et le sang gicle et elle le contient d’une main entre ses cuisses, elle tousse et s’arrête une seconde. Il la regarde avec des yeux tombés des nues. C’est un poil. Frisotté. Pas étonnant que ça chatouille. Elle s’y remet, sa bouche s’active et sa main aussi entre ses cuisses, c’est bon, elle se démène, du nerf, pas mollir.
(Marie Darrieussecq, Clèves, p. 210-211)

Notes ________________
  1. Surnom donné à la mère d’Arnaud par Solange, rapport à sa coiffure… []

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Publié dans le JLR

Une réponse à “Les mains dans l’époche”

  1. Burgrave des Chaussées dit :

    Ça crostille, boulevergifie, irrévergeance, médit tant sans dentales ! Dard, yeux secs, fourre bite à son gré de sève à sang mêlée.